Société

Bouteflika : Une imposture algérienne (35)

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La presse algérienne croit savoir que Bouteflika dispose, en outre, d’un ranch et d’un immeuble à Abu Dhabi.
En 2001, le frère de Bouteflika a acquis un appartement chic à Paris « offert » par le groupe Khalifa.
En contrepartie des libéralités dont il jouissait de la part du pouvoir de Chadli, l’opposant Bouteflika s’astreignait à une remarquable politique de l’autruche à propos des évènements qui secouaient son pays. Surtout ne pas contrarier Chadli. A trop s’obstiner à ne prendre parti publiquement pour aucune cause dans une Algérie secouée par un fort mécontentement populaire, Bouteflika finit par déconcerter ses amis. L’ancien exilé partageait habilement son génie politique entre plaire aux opposants sans déplaire aux gouvernants. Son aura l’astreignait à se revendiquer d’une contestation nationale ; son intérêt le dissuadait de brûler ses vaisseaux.
Octobre 1988 fut une véritable épreuve pour le virtuose. Au lendemain des émeutes populaires qui venaient de faire des centaines de victimes parmi les manifestants, et dans un contexte d’immense indignation nationale, Bouteflika a rivalisé de roublardise pour s’éviter de choisir son camp.
Devant la répression qui s’abattait sur les jeunes insurgés, avec notamment le barbare recours à la torture, et dans un climat d’incertitude politique sans précédent, d’éminentes personnalités politiques algériennes décidèrent, dès la mi-octobre 1988, de rendre public un texte de réprobation et de propositions qui allait devenir « la déclaration des dix-huit ».
Les inspirateurs de l’initiative, parmi lesquels se comptaient des maquisards de la première heure tels Lakhdar Bentobbal, Tahar Zbiri ou Selim Saâdi, des personnalités historiques comme Mostefa Lacheraf, Ali Haroun ou Chérif Belkacem, d’anciens ministres comme Lamine Khène, Belaïd Abdesselam ou Rédha Malek, voulaient autant dénoncer la répression qu’avancer une alternative politique à l’impasse à laquelle était arrivée l’équipe de Chadli. « Notre qualité d’anciens militants de la guerre de libération nationale, notre fidélité à la mémoire des martyrs et à l’idéal du 1er Novembre 1954 nous font le devoir d’apporter une contribution au débat national, rappellent les auteurs du texte. Nous nous élevons avec indignation contre la torture pratiquée pendant et après les journées sanglantes qui ont endeuillé le pays. Nous qui avons connu les affres de la guerre de reconquête coloniale, nous ne saurions admettre que des procédés aussi dégradants soient utilisés contre nos enfants. Aussi exigeons-nous l’éradication totale de la torture dans notre pays et le châtiment exemplaire de ses auteurs. » La déclaration se prolongeait par d’importantes propositions d’ouverture politique dont l’audace avait de quoi mécontenter le cercle présidentiel formé autour de Chadli Bendjedid. Les signataires, proclamant la fin d’une « légitimité historique qui s’est épuisée au fil des ans », estiment urgent de lui substituer une « nouvelle légitimité populaire » et suggèrent de confier à une « conférence nationale regroupant les représentants des forces vives de la nation » la mission de « promouvoir sans délai les réformes institutionnelles fondamentales que la situation exige». Le pouvoir de Chadli Bendjedid se trouvait ainsi disqualifié de la bouche de personnalités au passé incontestable.
Abdelaziz Bouteflika fut associé à toutes les discussions préliminaires qui conduiront à la rédaction finale du texte. «Il donnait son avis, approuvant les idées débattues sans zèle et sans passion, mais avec détermination», se rappelle Chérif Belkacem. Au moment de porter son nom au bas du document, aux côtés des dix-sept autres signataires, Abdelaziz Bouteflika se déroba cependant, se souvenant d’une urgente affaire familiale à Mostaganem où habite sa soeur. Il chargea Rédha Malek de signer à sa place, procédé qui ne fut pas admis par le groupe.
« Le subterfuge lui évitait d’avoir à parapher de sa main un document qu’il considérait séditieux et donc compromettant pour ses bonnes relations avec l’équipe de Chadli, explique Chérif Belkacem. On a refusé que Rédha Malek signe à sa place et attendu qu’il revienne de Mostaganem et qu’il paraphe de sa propre main le texte.»
La «déclaration des dix-huit » ne sera rendu publique que le 23 octobre 1988. Le lendemain, Abdelaziz Bouteflika contacte Larbi Belkheir, chef de cabinet de Chadli, pour justifier sa prise de position et en relativiser la portée. « Dès qu’on a eu vent de cette malheureuse initiative qui discréditait en fait tout le groupe, on a provoqué une réunion de clarification avec Bouteflika, souligne Belkacem. Il s’est défendu mollement, reconnaissant avoir pris contact avec la Présidence, mais donnant une version plus nuancée des faits. »
Bouteflika retrouvera naturellement sa place à la direction du FLN quelques mois après. Il réintègre en mars 1989 le Comité central de ce qui était encore le parti unique de l’Algérie.
Chadli n’est pas étranger à cette miraculeuse résurrection de l’ancien exilé : il en a apprécié, plus que la persévérance dans un certain neutralisme politique, cette façon conviviale qu’avait Bouteflika de ménager la susceptibilité du pouvoir. «Ses amis lui ont fait observer la choquante anomalie qu’il y avait pour des gens salis et humiliés par le pouvoir à accepter de réintégrer ce même pouvoir et de partager son discours unanimiste.
Mais il a fait la sourde oreille», souligne une des personnalités politiques exclue en même temps que Bouteflika mais qui a refusé de réintégrer le parti.
C’est que Bouteflika n’ignorait rien de cette anomalie-là. Il s’en accommodait avec ravissement : la réhabilitation qu’il attendait de Chadli pointait enfin le nez et il n’allait pas bouder son plaisir, quitte à trahir la solidarité des personnalités marginalisées, toutes unanimes à rejeter l’offre du pouvoir.
Rachid Benyellès raconte comment, à la veille de rejoindre le FLN, une soirée entière n’a pas suffi à ses compagnons pour dissuader Abdelaziz Bouteflika de les lâcher : «Nous étions quelques-uns, dont Bouteflika, Rédha Malek et Selim Saâdi, à nous réunir ce soir-là chez Mohamed Zerguini pour débattre de l’invitation du nouveau patron du FLN, Abdelhamid Mehri, à participer au congrès du parti prévu pour le lendemain. Pour moi comme pour Hadj Zerguini, Rédha Malek et Selim Saâdi, la cause était entendue: octobre 1988 avait tout bouleversé et l’invitation devenait dérisoire. Bouteflika, lui, était plus réservé. Jusqu’à minuit, il s’obstinait à rester évasif. Au moment de se séparer, je lui fis remarquer qu’on ne connaissait toujours pas sa position. Il me fit une déconcertante réponse que j’eus tort de mésestimer : “Tu vois Rachid, demain matin, j’irai prendre le café avec ma mère, je lui baiserai la tête, et comme d’habitude je lui demanderai son avis. Si elle me dit d’y aller, j’irai. Sinon, je n’irai pas.” Et il y est allé ! »
Chadli venait de mettre fin à l’agréable traversée du désert de «l’exilé». Devenu président de la République, le conciliant opposant Abdelaziz Bouteflika oublia les observances qu’il déploya pour gagner les bonnes grâces de Chadli et les clémences dont il bénéficia pour se lancer dans d’inqualifiables attaques contre l’ancien président. C’est sans doute avec ses propos ingrats sur Chadli Bendjedid, exclusivement tenus devant des étrangers, que Bouteflika donna la pleine mesure d’une certaine indignité dans la gouvernance qui ne le quittera que rarement.

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