La semaine dernière, dans une des cliniques de la capitale économique, s’est déroulée la toute première cryoconservation de l’ovaire au Maroc sur une jeune fille de 18 ans atteinte d’une tumeur cérébrale. Pr Jihane Toughza, oncologue et hématologue pédiatrique qui est à l’origine de cette initiative louable, nous livre les détails de cette intervention chirurgicale.
ALM : Vous avez été à l’initiative de la première cryoconservation de l’ovaire au Maroc. Explicitez-nous, Pr Toughza, en quoi consiste cette intervention?
Pr Toughza : Avant d’expliquer la technique du geste de la cryoconservation du cortex ovarien, je souhaiterais vous parler de ce que j’ai vécu en tant que médecin oncologue et hématologue et en tant que femme marocaine. Depuis le début de mon exercice médical au Maroc, je ressentais toujours une certaine culpabilité envers ces jeunes filles qui nécessitent pour leur traitement des greffes de moelles osseuses ou des chimiothérapies hautes doses avec une gonado-toxicité importante, puisque l’infertilité et la dysfonction hormonale ovarienne faisaient partie du prix à payer pour une guérison. En effet, leur histoire personnelle était a jamais marquée, et qu’elles n’avaient pas accès a ce « droit à l’oubli de la maladie» que nous médecins, nous leur répétions à chaque passage à nos consultations de suivi dès lors que la guérison de la maladie était obtenue. Ce sentiment de culpabilité était d’autant plus marqué que lors de mon exercice en France, la préservation de la fertilité était systématiquement proposée et réalisée pour ces patientes. J’avais ce sentiment d’insatisfaction, et l’impression d’un travail inachevé, puisqu’il y avait une inégalité de prise en charge selon la région géographique où nous sommes nés. J’ai fait donc appel à mes chers consœurs et confrères, des experts nationaux et internationaux dans le domaine de l’onco-fertilité, les médecins chirurgiens onco-gynécologues et les biologistes de la fertilité pour faire ce qui se faisait de mieux en France.
La cryoconservation de cortex ovarien est une technique existante de préservation de la fertilité et représente la seule technique de conservation pour les petites filles pré-pubères. S’ensuit une autogreffe ortho-topique de cortex ovarien préalablement congelé. La cryoconservation du cortex ovarien commence avec une intervention chirurgicale, la moins invasive possible, réalisée par un chirurgien gynécologique expert en coelioscopie, sous anesthésie générale, qui ne dure pas plus d’une vingtaine de minutes en général. Durant cette dernière, une ovariectomie de la patiente est réalisée. Postérieurement, ce tissu ovarien est congelé en suivant des protocoles spécifiques jusqu’à ce que l’on opte pour leur décongélation afin de les transplanter à la patiente ; ce dernier récupérant alors sa fonctionnalité. L’avantage principal qu’offre la cryoconservation de cortex ovarien face à la congélation d’ovocytes est qu’elle ne requiert pas une stimulation ovarienne préalable pour laquelle il est impossible de retarder la chimiothérapie, qui est l’urgence vitale pour la patiente.
Dans quels cas fait-on appel à cette démarche ?
La cryoconservation de cortex ovarien et sa greffe postérieure est une stratégie de préservation de la fertilité aussi bien chez des patientes qui vont se soumettre à un traitement antinéoplasique gonado-toxique, que celles qui souhaitent différer le moment de concevoir. Cette technique permet de récupérer ainsi la fonctionnalité de la gonade quant à la fertilité et aussi à la production d’hormones féminines qui évitent une ménopause précoce.
L’opération a nécessité une équipe de médecins chevronnés… Dites-nous- en davantage…
Je me suis adressée à Dr Achour Mohamed, expert dans le domaine de l’onco-gynécologie et de la chirurgie gynécologique mini invasive, ainsi que Dr Filali Mounir, biologiste et expert de la préservation de la fertilité, qui ont tout de suite adhéré au projet. Plusieurs réunions de concertation pluridisciplinaires avec Pr Poirot Catherine, l’une des pionnières de la préservation de la fertilité en France, ainsi que d’autres collègues, Dr Benamar Bahaa, biologiste de la fertilité et de la reproduction, Dr Benjelloune Majid, gynécologue, Dr Benhayoun, biologiste de la fertilité et de la reproduction, se sont succédé pour aboutir à la prise en charge de cette première patiente, porteuse d’une tumeur cérébrale de type médulloblastome.
De quelles infrastructures médicales a besoin le staff médical pour réaliser cette intervention?
La structure nécessite un plateau technique avec des blocs opératoires permettant la réalisation des interventions chirurgicales gynécologiques mini invasives sous anesthésie générale, ainsi que des laboratoires équipés permettant une cryoconservation du cortex ovarien. Une fois prélevé au bloc opératoire, l’ovaire est mis dans un tube stérile contenant un milieu de culture et il est transporté rapidement jusqu’au laboratoire dans la glace pour maintenir une température à 4°C afin de limiter l’ischémie. La médulla ovarienne est retirée afin de ne conserver que le cortex le plus fin possible. Le cortex est ensuite découpé sous forme de fragments. Chaque fragment est congelé selon un protocole de congélation lente. La température descend, progressivement puis l’immersion dans l’azote liquide à -196°C est réalisé pour un stockage en container cryogénique.
S’agissant d’une technique nouvelle au Maroc, prévoyez-vous de sensibiliser autour du sujet pour que les personnes concernées puissent être au courant?
Toutes nos patientes méritent ce type de prise en charge, pour leur permettre de vivre leur vie de future femme et de future mère la plus normale possible. Comme me dirait mon cher ami, Dr Achour Mohamed, « elles sont soignées physiquement et mentalement et la boucle est maintenant bouclée ». Cette technique doit obligatoirement faire partie de la prise en charge globale de toute patiente, petite et grande, atteinte de cancer avec des doses de chimiothérapie ou de radiothérapie gonado-toxiques.
Combien coûte cette intervention ? Est-elle prise en charge par les assurances ?
Cette technique n’est pas encore prise en charge par les assurances puisque nous venons de réaliser la toute première. A nous médecins de défendre cette noble cause pour que toutes nos patientes puissent en bénéficier. S’agissant d’une première au Maroc, le coût n’a pas encore été réellement évalué pour l’heure.