Société

Courrier des lecteurs : La portée du socialisme contemporain

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Depuis les révolutions libérales, la vie sociale est placée sous le diktat du marché. Dès lors, la question essentielle se réduit à la bonne gestion, à la part respective du marché et de l’Etat, du contrat et de la loi, de la liberté et de l’ordre public…du bon ordonnancement du développement.   
Le marché est d’abord une construction intellectuelle dont les fondations philosophiques et économiques ont été jetées au XVIII ème siècle par la pensée libérale, et repose sur deux idées essentielles: La première est que, loin d’être amorale, c’est la poursuite d’intérêts individualistes qui permet de servir l’intérêt général. La deuxième idée est que la conjonction harmonieuse des intérêts privés et de l’intérêt général n’est possible que par le mécanisme de la concurrence. La conséquence de ce double postulat est une hostilité affichée à l’égard de toute intervention de l’Etat.
Le marché symbolise donc la rationalité et l’efficience, l’Etat, l’irrationalité et l’inefficacité. Le marché sanctionnerait les lois de la justice naturelle, l’Etat imposerait l’arbitraire au nom d’une prétendue justice sociale masquant des intérêts particularistes peu avouables. Sauf que les conclusions qu’on peut tirer de l’expérience actuelle, partant de cette dynamique de rétablissement d’une organisation naturelle de la société alimentée par le marché, est que le libéralisme économique n’est pas la concrétisation du rêve de Smith, celui de la richesse et de la prospérité des nations, mais la traduction de rapports de force nouveaux entre les Etats, les nations et les groupes d’intérêts économiques. L’hégémonie du paradigme libéral véhicule l’illusion qui laisse prétendre que le creusement des inégalités ne devrait pas constituer une réelle préoccupation car il sanctionnerait les apports effectifs de chacun à la collectivité et que le problème de la grande pauvreté dans les pays en voie de développement n’est dû qu’au sous développement du marché.
Enfin, le marché établirait même la paix : La thèse remonte à Montesquieu qui affirmait dans l’esprit des lois que «partout où il y a du commerce, il y a des mœurs douces» (Marx ou Schumpeter ont, au contraire, souligné les tendances de l’économie de marché à produire la violence).
Ce monopole intellectuel consacrant le modèle de marché situe l’alternative socialiste dans une dynamique d’adhésion réformatrice, lui imposant une redéfinition réductionniste de sa substance et de ses méthodes. Le cordon déployé entre les libertés fondamentales, résidu de la pensée socialiste, et l’organisation des rapports économiques, n’est que l’une des manifestations de l’évolution séparée du marché et des droits de l’Homme.
La différence fondamentale qui sépare ces deux derniers paradigmes composant l’actualisation de la social-démocratie amené par Marx au XIXème siècle, tient à ce que celui du Marché soit fondé sur le rejet méthodologique d’une complémentarité des divers aspects de la réalité sociale, tandis que celui des droits de l’Homme en fait son objectif essentiel. L’un véhicule la vision d’un développement forcément inégal parce que fondé sur une règle du jeu qui exclut autant qu’elle intègre, tandis que le second se veut le fondateur d’un développement partagé qui résulte d’une insertion acceptée, dynamique et contributive à un avenir choisi.
Aussi, le paradigme du marché étant devenu mondialisé, a relancé le débat sur ce néologisme ambigu qu’est la « gouvernance mondiale». En réalité, il est permis de penser que c’est précisément l’égoïsme sacré des Etats riches qui leur fera prendre conscience que la subsistance d’une immense poche de pauvreté, dont la non résorption provoque des conflits distributifs, un profond mécontentement et peut-être un parachèvement des doctrines populistes, constitue une menace pour l’ordre mondial dont ils sont les véritables bénéficiaires. La libéralisation du commerce et le démantèlement des barrières douanières ont certes permis de raccorder les économies en développement à l’économie mondiale, mais ils ont accentué la vulnérabilité des économies les plus fragiles et provoqué une nouvelle segmentation de territoires nationaux désormais découpés en sous espaces dont seuls ceux qui peuvent offrir des biens et services sont réellement articulés au marché mondial, qui est indifférent à la notion de citoyen, ne connaissant que celles de consommateur ou de sujet.
Désormais, l’accent est mis sur la nécessité d’un dispositif juridique d’accompagnement des réformes économiques, inspiré des droits de l’Homme, impliquant le nécessaire renforcement de l’Etat de droit.
Mais cette redécouverte des vertus du droit opère sur toile de fond de la croyance incontestée que le salut des sociétés, quel que soit leur mode de développement, réside dans l’extension du marché. Le droit doit seulement conforter le marché dans son rôle d’horloger de la machine sociale.
Mais un esprit des lois condamné à enregistrer les humeurs du marché ne peut se poser en un instrument d’une action collective productrice d’ordre et de signification pour les Hommes. Jusqu’à présent les indices sont encore insuffisants pour que l’on puisse parler d’une nouvelle orientation tendant à placer le paradigme des droits de l’Homme au cœur de la reconstruction de l’ordre économique ou la fondation d’un ordre démocratique national, qui se doivent d’être repris dans une perspective d’institutionnalisation. Le pouvoir ne pourra donc pas se soustraire aux exigences de légitimité de son action et les institutions internes devront être orientées vers la prise en charge des besoins de leurs populations. Un contrat de démocratie entre le pouvoir national et son peuple devient donc incontournable. Mais penser que le sous-développement est dû à de simples facteurs locaux, c’est occulter le poids des facteurs externes et le rôle des normes qui expriment, reproduisent et légitiment les inégalités et les rapports de domination. La question des rapports entre l’intérieur et l’extérieur, entre le national, le régional et l’international, doit être explicitée dans le cadre d’une approche intégrée du développement qui est à la fois un effort interne des sociétés concernées et un effort externe de ce que l’on range sous la rubrique de communauté internationale. La contradiction fondamentale qui accentue la séparation de la richesse et des peuples réside dans la relation entre le caractère oligarchique des institutions économiques et politiques et l’affirmation du principe de « l’égale participation de tous au développement ».
La socialisation par le marché irait de pair avec une socialisation et une démocratisation du marché, dans lesquelles les droits de l’Homme devraient pleinement jouer leurs rôles de régulateur social en vue de favoriser de manière optimale les conditions structurel et les environnements conjoncturelles du développement. Le socialisme se transforme donc d’un modèle alternatif à la lutte des classes en une dynamique régulatrice des rapports de domination.
        
      

Omar-Mahmoud Bendjelloun Membre du Conseil
National de l’USFP

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