Va-et-vient incessant en cette matinée de vendredi 16 décembre 2005 au service des urgences du Centre hospitalier universitaire Ibn Sina, à Rabat. Des hommes et des femmes envahissent la salle n°7 et s’assoient à même le sol tellement les lieux étaient bondés. Deux jeunes hommes aux visages soigneusement cachés par des compresses tentent, avec beaucoup de difficulté, d’ébaucher une discussion avec les visiteurs. A.G, la quarantaine, arrive tout juste à prononcer quelques mots avant de demander à ses amis de l’aider à s’asseoir.
Visage, cou, torse et mains brûlés, il parle de cette matinée de jeudi dernier avec beaucoup d’amertume. «Je n’arrive toujours pas à comprendre comment j’en suis arrivé là! Je me rappelle tout juste du moment où le feu s’est déclenché, mais après rien!», dit-il, les mains tremblotant au souvenir de ce «jeudi noir». À côté de A.G, il y a un autre jeune homme dont une bonne partie du corps a été touchée par le feu. Profondément affecté, ce dernier souffre en silence et fait souffrir ses amis venus lui rendre visite. Certains ont du mal à retenir leurs larmes, tandis que d’autres n’hésitent pas à appeler le médecin responsable de ces deux patients pas comme les autres.
En effet, ces deux jeunes hommes font partie du groupe composé de 20 chômeurs dits «porteurs de lettres royales» qui ont menacé de s’immoler par le feu durant la matinée de jeudi dernier. Tout a commencé lorsque ce groupe a entamé une marche de «l’embauche ou la mort» du siège du ministère de la Santé vers celui de la Primature. «Nous nous sommes attachés l’un à l’autre avec une corde autour du cou.
Chacun de nous tenait dans une main une bouteille contenant un demi-litre d’essence et dans l’autre main un briquet. Tout en marchant, nous n’avons pas cessé de nous asperger d’essence pour pousser les responsables à mettre fin à notre calvaire», raconte une jeune femme faisant partie de ce groupe. Et d’ajouter que « durant cette marche, nous avons été escortés par un énorme dispositif sécuritaire. Et nous ne savons toujours rien sur les circonstances du déclenchement du feu». Ces chômeurs restent toutefois unanimes ; s’immoler est une «issue» inenvisageable. «Se brûler vivant n’est qu’une menace et à aucun moment, nous n’avons pensé à mettre nos menaces à exécution. Notre objectif n’était autre que de faire avancer les choses, d’autant plus que nous sommes tous détenteurs d’une lettre royale ordonnant l’embauche au sein de la fonction publique au ministère de la Justice ou celui de l’Intérieur», affirme Abdellah Berghazi, le porte-parole de ce groupe.
Et de détailler : «au début, nous étions 72 personnes dont 24 ont trouvé un emploi en 2004 et 27 en septembre dernier. Aujourd’hui, c’est notre tour, et nous en avons ras le bol des promesses non tenues des uns et des autres. Parmi nous, il y a des hommes et des femmes d’âges et de niveaux différents ! Je suis marié et j’ai 41 ans, il me faut un emploi !».
Par ailleurs, ce sont quatre personnes qui ont le plus subi les ravages de cette tentative d’immolation. En plus de ces deux cas admis aux urgences d’Ibn Sina, il y a une troisième personne qui souffre de graves brûlures. «Elle est dans un état critique. Elle arrive à peine à respirer tandis que ses yeux sont sérieusement endommagés», affirme-t-on de source médicale. Pour sa part, la quatrième personne a pu repartir chez elle le jeudi même. Il s’agit d’un handicapé dont la main gauche a été touchée par le feu. Sous l’effet de choc, ces visiteurs particuliers n’ont quitté cette salle des urgences qu’après une ferme injonction des médecins. En découvrant ces corps brûlés, ils réalisent finalement la teneur de leur menace : «L’embauche ou la mort !». Ils ont failli y passer. Pour avoir joué avec le feu….