ALM : Peut-on parler aujourd’hui d’avancée en matière de lutte contre la corruption ?
Driss Lachgar : Évidemment, on peut dire que notre pays a enregistré une avancée significative dans la lutte contre la corruption par rapport au passé. Je parle, bien entendu, de la corruption à grande échelle, celle qui concerne les grands chantiers, la construction des ponts, des chaussées… Ceci est perceptible à travers trois grands événements. Tout d’abord, l’avènement du gouvernement d’alternance est un signal fort.
Ensuite, la mise en place de la Commission d’enquête, en ce qui concerne l’affaire du CIH, est une initiative très louable. Le résultat de la création de cette Commission est qu’une nouvelle ère a commencé, celle de rendre des comptes et que, désormais, personne ne pouvait plus confondre les deniers publics avec son propre argent.
En troisième lieu, la cession d’une partie du capital de Maroc Telecom est un indice très révélateur des grandes avancées en matière de lutte contre la corruption, car, pour la première fois, une grosse transaction s’est déroulée en toute transparence.
Ces événements sont-ils à même de faire pareil constat ?
En somme, ces trois événements attestent que beaucoup de choses ont changé et que la corruption a diminué. De plus, l’ouverture de grands dossiers tels ceux de la CNSS, le CNCA ou le CIH est une grande avancée. Même si certains dossiers n’ont pas abouti, peut-être parce que la situation globale du pays n’est pas encore à même de le permettre, le constat, indiscutable, fait état d’une réduction importante de ce mal qu’est la corruption. La vie politique également y a joué un rôle important. Les contrôles ont été facilités et il est désormais difficile et hautement risqué de s’aventurer et d’oser quoi que ce soit.
Lorsque l’on parle de corruption, on parle généralement de la petite corruption, celle qui touche les fonctionnaires de l’Administration entre autres. Quel est votre avis ?
Cette catégorie de corruption est très difficile à enrayer et il est impossible d’y mettre fin du jour au lendemain car, pour ce faire, il faut amorcer toute une série de réformes à plusieurs niveaux. Il y va bien sûr de l’amélioration de la situation des fonctionnaires, qui sont en contact direct avec le public, d’où la difficulté ou plutôt l’utopie de vouloir la neutraliser. En parallèle avec l’amélioration de la situation de ce même fonctionnaire, ses supérieurs doivent, eux aussi, être irréprochables sur ce point précis, sinon, cela enfante un effet de calquage et l’on ne peut neutraliser la petite corruption tant que celle à grande échelle sévit encore.
À qui incombe la plus grande part de responsabilité, au public ou aux fonctionnaires ?
Les deux endossent une part de responsabilité. Il faut reconnaître que le colonisateur a laissé, en ce sens, des traces indélébiles. Tout en sachant qu’en fonction du colonisateur, les traces et les maux légués diffèrent, qu’il soit Anglais, Français ou Portugais. En ce qui nous concerne, nous avons eu un lgs napoléonien.
Le service public, vu ses caractéristiques et, principalement, sa lenteur, aura activement contribué à l’enracinement de la corruption. Attitude adoptée afin d’accélérer telle ou telle procédure. C’est devenu, en définitive, un service payant.
Justement, au tout début de l’Indépendance, y avait-il des inégalités sociales à même de favoriser l’instauration de la corruption ?
Au tout début de l’Indépendance, il n’y avait presque pas d’inégalités sociales. Jusqu’aux années 60, on était tous « oulad derb », tous semblables dans le quartier, tous les gens étaient simples et pour ceux qui avaient plus de moyens que d’autres, la différence n’était pas aussi flagrante, les fortunes ne se comptaient pas en milliards !
Les gens aisés de l’époque, à défaut de dîner modestement avec de l’huile d’olive et du thé, sortaient faire leurs emplettes, tout aussi modestes, chez le boucher du coin ou le marchand de légumes, ça se limitait à cela. Je veux dire que la différence était minime. Aujourd’hui, nous avons des fortunes bâties sur la corruption et l’exploitation des postes importants.
Est-ce qu’une réforme des procédures administratives pourra-t-elle limiter les dégâts en ce sens?
Il faudra envisager une réforme globale, pour ainsi dire, afin de mettre un terme à la corruption. Aujourd’hui, il y a plus de transparence concernant les marchés publics. De même, les nouvelles technologies de l’information, comme Internet, permettent de serrer l’étau autour des transgresseurs.
L’offre publique peut ainsi être consultée à distance et les contacts « intimes » en telle ou telle partie ne sont plus à l’ordre du jour. On peut également citer, en ce qui concerne la loi de Finances, celle-ci stipule qu’une déclaration d’impôt peut être faite à distance, à partir du bureau par exemple.