ALM : Comment avez-vous su que votre enfant était victime d’actes pédophiles ? Et quelles ont été vos premières réactions ?
Najia Adib : L’affaire remonte à mars 2003. J’avais remarqué que mon fils, Ayoub, âgé d’à peine 4 ans, refusait d’aller à la crèche. Il me disais à chaque fois que je m’apprêtais à l’y emmener qu’il préférait mourir que de s’y rendre. Et une fois devant la porte, il insistait que je lui prenne la main et l’accompagne jusqu’à devant sa salle de classe.
Devant la récurrence de cette attitude et la peur grandissante de mon enfant, je me suis adressée à son institutrice et à la directrice de la crèche, leur demandant des explications. Et à chaque fois, on se contentait de me répondre que ce sont juste des caprices d’enfant gâté. Quand je posais la question à mon fils, il ne répondait rien.
Une situation qui a duré plus de quatre avant que je ne découvre, un jour, des tâches de sperme sur sa culotte. Paniquée, j’ai dû cependant avaler mes peurs et j’insistais sur Ayoub pour qu’il me dise d’où viennent ces tâches. Jusqu’à ce qu’il m’avoué enfin que c’est le gardien de la crèche, un dénommé Saïd Ouha, qui « lui faisait pipi » dessus tout en le menaçant des pires punitions s’il pipait mot de ce qu’il subissait. Je me suis par la suite rendue au laboratoire de la Gendarmerie royale pour des tests ADN qui se sont avérés positifs. Mon fils était la victime d’actes pédophiles d’un gardien criminel.
La gardien a-t-il cherché à se défendre ? Et qu’a-t-il dit dans ce sens ?
Après avoir tout nié en bloc, et devant la preuve par l’ADN, ce pervers a enfin tout avoué. Cela fait 18 ans qu’il pratiquait ces actes atroces sur d’innocents élèves de très bas âge. Et rien que durant les deux dernières années, il a parlé d’une vingtaine de victimes. Quant aux autres, qu’il violait et violentait depuis 1985, il a dit ne même pas se rappeler leurs noms.
Après les avoir attirées, en leur proposant de leur montrer des lapins, il les emmenait après aux toilettes. Et c’est là qu’il passait à l’acte. Sauf que cette fois, il a été trahi par son propre sperme, sachant qu’il avait pour règle de ne jamais laisser de traces derrière lui.
Comment avez-vous réagi à la peine de 5 ans qu’a écopée le coupable ?
La Cour avait condamné, en première instance, le pédophile à 2 ans de prison ferme et à une amende de 10.000 dirhams. Ceci, alors que notre défense avait requis une peine de 15 ans et le versement par l’accusé d’une amende de 500.000 dirhams. Devant l’injustice d’une telle sentence, nous avons fait appel. Et c’est là que le jugement a été revu à 5 ans de prison. A cette peine qui est loin de rendre justice à mon fils s’ajoute l’acquittement pur et simple de la responsable de la crèche, du nom de Ililame, déclarée non responsable de ces actes. Ceci, alors que responsabilité de l’établissement a été avérée, ne serait-ce que pour non-assistance à personne en danger.
Les sévices dont mon enfant a fait l’objet de la part du pédophile ont eu lieu au sein même de cet établissement. Sa direction et donc responsable de ce qui s’y est passé. Mieux encore, et alors qu’une décision de fermeture et de retrait d’autorisation avait été prononcée en juillet dernier contre la crèche, nous avons constaté qu’elle a rouvert ses portes cette année. La fermeture n’aura duré que le temps des vacances. L’établissement a repris son activité, avec la même directrice, la même autorisation et sous le même nom, auquel on a ajouté Agdal. D’Ililane, il est passé à Ililane Agdal.
Une réouverture contre laquelle vous vous êtes insurgée…
Mieux encore, et pour échapper à sa responsabilité, la directrice a même essayé de me faire porter le chapeau, en faisant appel à deux concierges du quartier. Ces derniers devaient, en contrepartie de la modique somme de 240 DH, recopier un modèle de déclarations sur l’honneur, légalisées dans un arrondissement de quartier, où ils m’accusent d’avoir des relations douteuses avec le concierge pédophile, de me rendre chez lui tous les jours après la cours. Ce qu’ils ont fait. Du banc de la mère de la victime, je suis passée au banc des accusés. Portée devant la justice, l’affaire s’est retournée contre ses comploteurs. Les concierges n’ont pas tardé à tout avouer. Accusée à la fois de faux et usage de faux, atteinte à l’honneur et constitution d’une bande criminelle, la directrice, interpellée, elle ainsi que les deux témoins, son chauffeur et sa soeur, a justifié son acte par sa volonté de défendre son établissement. Je ne sais pas comment, mais elle a été innocentée, ainsi que sa soeur. Le chauffeur a écopé de six mois avec sursis, les deux gardiens, d’un an avec sursis chacun. Face à un tel jugement, j’ai dû faire appel. La séance est prévue le 29 décembre.
Que retenez-vous d’une telle épreuve ?
Ce que je retiens de cette expérience, c’est que la vie et l’honneur d’un enfant ne valent rien au Maroc. On a organisé des colloques et séminaires, créé des institutions pour l’enfance au Maroc, la réalité est qu’un enfant n’a aucun droit dans ce pays.
Un crime pareil mérite la plus lourde des peines.
Condamner un tel pervers à seulement 5 ans de prison revient à encourager toutes les perversités et crimes du genre dans notre société. Mon enfant est traumatisé, il ne dort plus de la nuit. Et Dieu seul sait les marques qu’une telle épreuve lui laissera, pour toute la vie. Quant au pédophile, il ne lui reste désormais que trois ans et il sera de nouveau libre.
Et ce qui est sûr, c’est qu’il reviendra à la charge. Ce que je trouve encore plus choquant, c’est l’attitude des autres parents, dont les enfants ont également été victimes de ce barbare. Au lieu de me soutenir à faire éclater la vérité, ils préfèrent se taire.
Mieux encore, certains parmi eux se sont mis du côté de la directrice. Comme pour nier que leurs progénitures aient subi les sévices du gardien. D’autres se contentent de garder le silence que je trouve tout aussi criminel que l’acte lui-même, postes administratifs et réputation obligent. C’est inadmissible.