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Dr Hachem Tyal : «Les victimes d’une injustice sont amenées à se suicider facilement»

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ALM : Comment définissez-vous «l’erreur judiciaire» du point de vue psychologique ?
Hachem Tyal : L’erreur est généralement définie comme étant la non-conformité à ce qui définit quelque chose. Au niveau de la justice, il y a erreur quand une décision prise par un tribunal n’est pas en conformité avec les règles en la matière. Il y a erreur lorsque quelque chose s’est passée et qui a amené ceux qui doivent prendre la décision à rendre un jugement qui ne devait pas être pris, si on avait pris en compte tous les éléments dont il fallait tenir compte. C’est là où il y a généralement erreur. C’est-à-dire une omission d’un certain nombre de données. Ces dernières auraient amener les gens à véritablement prendre une autre décision. Donc, normalement, l’analyse d’une situation donnée se doit de se faire avec tous les éléments nécessaires, en les prenant en considération dans leur juste dimension.

Comment illustrez-vous cette situation ?
En fait, les gens responsables de prendre des décisions se trouvent devant une situation donnée. Cette situation va devoir être analysée en fonction d’un certain nombre d’éléments. Donc pour qu’il y ait erreur, il faut qu’il y ait un minimum d’omission. C’est d’ailleurs, la raison pour laquelle le tribunal est prédisposé à renvoyer pour avoir un complément d’information. Histoire d’avoir entre les mains les éléments nécessaires pour un dossier déterminé. Aussi, au cours d’un procès judiciaire, quand l’un des justiciables ramène un nouvel élément, le tribunal l’introduit et c’est reparti pour un nouveau tour, histoire d’alimenter au maximum le dossier avec un maximum d’éléments. C’est ce qui permettrait de réduire la marge d’erreur. Ceci étant, et malgré cela, l’erreur reste toujours possible parce qu’on n’arrive pas toujours à rassembler tous les éléments. Il peut toujours y avoir un aléa qui a amené les gens qui prennent les décisions à ne pas décider comme ils auraient dû ou auraient pu le faire. 

Comment évaluez-vous l’impact de l’erreur judiciaire sur la victime ?
En réalité, il y a un certain nombre de choses dans lesquelles l’erreur est par définition inadmissible. Les deux grands exemples que je mets en avant sont l’erreur judiciaire et l’erreur médicale, compte tenu des conséquences physiques pour l’erreur médicale et psychologiques pour l’erreur judiciaire, il faut savoir que l’un des drames les plus graves qui peuvent arriver dans la vie d’un individu c’est la privation de liberté. Nos deux biens les plus précieux sont notre santé et notre liberté. S’il y en a un qui manque, toute notre vie peut être foutue en l’air. D’où l’importance de la prise en compte de tous les éléments pour que le risque d’erreur soit réduit au maximum.

Peut-on établir un lien entre le concept de l’erreur judiciaire et celui de l’injustice ?
En fait, la privation de liberté entraîne la privation de notre bien le plus précieux. Quand cette privation est en conformité avec une sanction normale, et que l’individu va payer pour une erreur qu’il a commise, il pourra digérer la situation même si cela est très dur. Par contre, quand l’individu paye pour une faute qu’il n’a pas commise, cela devient extrêmement problématique. Les conséquences de cette situation peuvent être très graves parce que cela est de l’ordre de l’inadmissible et c’est dans ce sens qu’on touche à la notion de l’injustice. L’injustice est quelque chose qui nous sollicite dans ce qui est le plus profond en nous. L’injustice comme la traîtrise sont des concepts hautement destructeurs pour l’individu. Devant l’injustice, les gens peuvent commettre l’irréparable. Ils peuvent être amenés à tuer parce qu’ils s’estiment victimes d’une injustice. Tout cela pour dire qu’il y a des éléments et des notions de la psyché de l’individu qui peuvent avoir des conséquences très graves. Il n’est pas admissible que quelqu’un subisse une sanction pour une faute qu’il sait ne pas avoir commise, sauf qu’il est seul à le savoir parce qu’il n’a pas pu ou n’a pas su démontrer le contraire. Les conséquences de tout cela vont faire en sorte que les personnes qui se trouvent dans cette situation vont pouvoir réagir sur eux-mêmes ou sur leur environnement.

Comment cela se fait-il?
Les victimes d’une injustice sont amenées à se suicider facilement. Ce sont des gens qui peuvent être facilement dans l’auto ou l’hétéro-agressivité. Parce que, justement, les conséquences du sentiment de l’injustice au niveau psychologique vont être de l’ordre de la destruction d’un certain nombre de valeurs dans leurs têtes. Ainsi, la victime peut se venger sur elle-même ou sur l’extérieur et cela peut devenir extrêmement problématique. Ce sont des choses qui peuvent détruire un individu au sens propre du terme, c’est-à-dire du point de vue psychologique et physique. J’ai eu l’occasion de consulter un certain nombre de personnes qui ont vu leur devenir complètement remis en question parce qu’ils ont subi des situations de l’ordre de l’injustice.

Quel est l’impact de l’erreur judiciaire sur le juge ayant commis l’erreur ?
En fait, cela est très variable. Il est évident qu’il y a des gens plus sensibles que d’autres. La magistrature, comme pour d’autres métiers, est un métier où on ne fonctionne plus avec notre sensibilité. Certes, du point de vue humaniste, il est important de se mettre dans la place de l’autre. Mais, malheureusement, certains arrivent à mettre une cuirasse autour d’eux et donc ne sont plus réceptif à beaucoup de choses. En général, le juge en question se préserve et il y a des défenses psychologiques qui se mettent en place. Le commun des mortels va être plus sensible à cela que les gens qui sont dans la profession. Les défenses psychologiques, c’est ce qu’on construit à l’intérieur de nous. Par exemple, si un chirurgien tombe dans les pommes dès qu’il voit du sang, c’est problématique. Ainsi, il va essayer de se protéger sans s’en rendre compte. Ce sont des défenses inconscientes qui amènent à ne plus être sensibles à un certain nombre de choses. Pour le juge c’est pareil. On dit que le principe de la réalité finit toujours par imposer sa loi et ses règles.

Comment peut-on concevoir un corps social qui perd confiance en son système judiciaire?
En réalité, il n’y a pas plus insécurisant que l’absence de confiance en la justice. Partout à travers le monde, le moteur du développement c’est la sécurité. Un pays qui est en guerre ne peut pas avancer. Il faut, donc, que les gens qui constituent le corps social se sentent sans crainte pour pouvoir investir et s’investir. La justice est un élément de stabilité majeure.

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