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Dr Intissar Haddiya: «Peu de patients africains avaient une bonne perception de la responsabilité sociale de leurs hôpitaux»

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Entretien avec Dr Intissar Haddiya, médecin néphrologue et professeur de médecine, PhD (doctorat) en responsabilité sociale en santé

Dr Haddiya vient de publier son livre «La responsabilité sociale en santé: quelle application en Afrique? Exemple de la prise en charge de la maladie rénale» dont une traduction en anglais est prévue pour bientôt. Dans cet entretien, la spécialiste, également présidente de l’Association de soutien aux insuffisants rénaux dans l’Oriental et auteure-romancière marocaine, en décortique la teneur. Une démarche qu’elle fait de façon purement scientifique.

ALM : Vous avez récemment publié votre dernier livre «La responsabilité sociale en santé : quelle application en Afrique? Exemple de la prise en charge de la maladie rénale», qui est en fait l’objet de votre thèse de doctorat. Quelle en est la valeur ajoutée?
Dr Haddiya : Notre récent livre paru chez Peter Lang édition (Suisse) traite la responsabilité sociétale en santé. Il s’agit d’un concept fondé sur des principes de qualité, d’efficience, de pertinence et d’équité, qui est fréquemment présenté comme l’une des réponses nécessaires à l’amélioration de la prise en charge des patients dans la plupart des pays développés. Ce concept a fait l’objet de plusieurs études aux États-Unis, en Europe et en Asie, et la notion «socialement responsable» est désormais d’usage courant pour désigner une structure de soin ou un système de santé prodiguant des soins de qualité en accord avec les besoins de la population. En l’absence d’études africaines sur cette question, notre travail s’était fixé pour but d’évaluer la responsabilité sociale des hôpitaux africains en se basant sur les perceptions des patients et des médecins, d’explorer les facteurs influençant ces perceptions et établir des propositions concrètes visant à améliorer la responsabilité sociale des systèmes de santé en Afrique.

Les résultats obtenus sont très édifiants et pourraient être d’un grand apport aux décideurs, contribuer à influencer les politiques de santé, en plus de permettre d’améliorer la performance de nos systèmes de santé et les aider à adopter les actions requises pour devenir socialement responsables.
Toutefois, des recherches supplémentaires dans ce domaine sont nécessaires avant de généraliser les résultats de l’étude. De futures enquêtes impliquant également les décideurs africains des systèmes de santé seraient d’un grand intérêt.

Quel serait l’état des lieux que vous ferez de la responsabilité sociale en santé au Maroc et en Afrique?
Globalement, notre travail a montré qu’une faible proportion de patients africains avait une bonne perception de la responsabilité sociale de leurs hôpitaux. En effet, les patients étaient globalement satisfaits de la prise en charge thérapeutique, en l’occurrence l’implication des soignants dans le processus des soins. Cependant, l’environnement, les conditions générales de l’hôpital, l’accessibilité et l’équité des soins étaient globalement insatisfaisants. Une association positive significative était notée entre l’existence d’une couverture sanitaire, le revenu du pays, ses dépenses publiques en santé et en éducation et la perception de la responsabilité sociale des hôpitaux par les patients.
En ce qui concerne les médecins, la majorité des participants pensait que leurs hôpitaux n’étaient pas socialement responsables et avaient soulevé un certain nombre de facteurs entravant la responsabilité sociale des hôpitaux africains, tels la pénurie des professionnels de santé, la gouvernance, les infrastructures inadaptées, ainsi que des facteurs liés au système de santé (faibles budgets nationaux, coût des soins et absence de couverture sanitaire).

Néanmoins, il est à noter qu’il existe des disparités entre les pays inclus et le Maroc est mieux loti en comparaison avec les pays subsahariens, en termes de personnel soignant spécialisé et d’offre de soins, que nous avons illustré dans ce travail par l’exemple des traitements des maladies rénales qui sont particulièrement coûteux. Ceci concerne en l’occurrence les techniques de dialyse de suppléance et la transplantation rénale.

En effet, les pays d’Afrique du Nord desservent 93% de la population africaine sous dialyse du continent. Ainsi, Au Maroc, 3.500 patients bénéficient d’hémodialyse chronique. Et les programmes de transplantation rénale existent en dépit des contraintes, avec actuellement plus de 710 patients transplantés dont 84 à partir du donneur en état de mort encéphalique.

D’un autre côté, en Afrique, 60 à 70% des dépenses de santé sont assurées directement par les ménages (versus une moyenne mondiale de 46%). L’assurance-maladie ne couvre souvent qu’une minorité de patients. Les populations africaines demeurent confrontées à des besoins de santé non satisfaits. Aussi, des insuffisances et des inégalités, à la fois inter et intra-pays, persistent en matière d’accès aux soins de santé. Concernant la maladie rénale, plus de 80% des patients dans le monde qui reçoivent un traitement pour l’insuffisance rénale se trouvent dans des pays riches avec un accès universel aux soins de santé, alors que la majorité des patients des pays en développement n’a pas accès au traitement car elle ne peut pas en payer le coût.

Le fardeau de cette maladie se fait davantage sentir dans les pays africains où les systèmes de sécurité sociale ou d’assurance-maladie ne peuvent répondre aux énormes exigences financières que la maladie impose aux patients et à leurs familles. Au Maroc, il y a eu d’abord le Régime d’assistance médicale (Ramed), puis, actuellement, l’avènement de la couverture sanitaire universelle (AMO), ont permis plusieurs avantages aux patients insuffisants rénaux en termes d’accès aux soins spécialisés.

Votre ouvrage analyse les problèmes relatifs à la responsabilité sociale en santé. Qu’en est-il des solutions qu’il propose pour améliorer les systèmes de santé en Afrique ?
Dans notre étude, les médecins africains interrogés avaient proposé des solutions pour améliorer l’état des lieux. Toutefois, les propositions suggérées s’adressaient principalement aux responsables des hôpitaux ainsi qu’aux décideurs des systèmes de santé dont ils relèvent, et portaient globalement sur la généralisation de la couverture sanitaire, la production locale des médicaments et leur disponibilité à des coûts accessibles, l’augmentation du nombre des structures de soins et l’effectif des professionnels de santé, les spécialistes en l’occurrence et faire face à la fuite des cerveaux vers les pays développés. Ils avaient aussi mentionné le rôle de la bonne gouvernance et l’intérêt du lobbying afin de convaincre les décideurs des systèmes de santé dont ils relèvent à adhérer à leurs propositions qui étaient sensiblement similaires, avec de discrètes variations entre les régions.

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