ALM : Quel est votre avis concernant les pratiques frauduleuses qui accompagnent la préparation du scrutin du 8 septembre 2006 ?
Saïd El Fekkak : L’usage de l’argent lors d’opérations électorales est un crime contre la démocratie et une grave insulte aux institutions. Il risque tout simplement d’hypothéquer l’avenir démocratique du Maroc et de porter atteinte à son image. C’est d’autant gravissime que les réformes entreprises par notre pays ont commencé à être données en exemple à travers le monde. L’usage de l’argent et les autres pratiques frauduleuses déteignent aussi sur l’image des institutions et remettent en cause leur crédibilité auprès des citoyens; une crédibilité qui est déjà mise à mal.
La Koutla dont fait partie votre formation politique est montrée du doigt pour son recours à ces mêmes pratiques. Qu’en dites-vous ?
Par principe, nous sommes contre le recours à ces moyens illégaux dans n’importe quelle opération électorale et quels qu’en soient les responsables. Ce sont des pratiques condamnables et inacceptables. Toutefois, il faut dire aussi que la composition de cette Chambre, la nature de ces élections et le mode de scrutin retenu favorisent l’émergence de ces pratiques délictueuses. Il faut, à mon avis, rechercher d’autres méthodes et mécanismes plus adéquats pour faire face à ce phénomène. Pour revenir à votre question, je dirais que nous condamnons ces pratiques, qu’elles soient l’œuvre de la Koutla ou de notre propre parti.
A ce propos, que dites-vous à propos de la démission du député PPS Ahmed Tahiri pour se porter candidat à la deuxième Chambre ?
Je pense qu’il faut qu’on traite ce genre de questions avec beaucoup de réalisme. La démission à laquelle vous faites référence n’est pas interdite par la loi. De ce fait, ce qui n’est pas prohibé peut être admissible. On dit aussi qu’il s’agit d’un problème éthique et il y en a même qui ont comparé cette démission avec celle des députés de l’USFP en 1981. Moi, je dis qu’il n’y a pas lieu d’établir une telle comparaison car, en 1981, il était question d’une position politique alors que, dans le présent cas de figure, c’est motivé par le désir de briguer un siège à la Chambre des conseillers. En France, par exemple, ce genre de démissions ne suscite pas autant de polémiques, sauf que les élections sont refaites. Pour revenir au cas marocain et à celui d’Ahmed Tahiri, on oublie que les électeurs, en septembre 2002, ont d’abord voté pour la liste d’un parti politique et donc pour tous les membres de cette liste qui appartiennent à une même famille d’esprit. Le Dr. Bahejji, deuxième sur cette liste, prendra la relève. On ne peut parler dès lors d’une trahison des électeurs. Il faut qu’on s’écarte un peu de ces lectures étriquées.
Sinon, que pensez-vous de la position du gouvernement affirmant qu’il ne disposait pas de preuves accablantes contre les fraudeurs ?
Il faut être réaliste. L’usage de l’argent ne doit pas être appréhendé en dehors du contexte national et de la réalité. La disparition de ces pratiques, à mon avis, ira de pair avec le développement de notre expérience démocratique qui est encore embryonnaire. On peut dire qu’il est presque normal, dans un contexte social et économique sous-développé, de se retrouver encore face à une majorité de grands électeurs analphabètes et mal encadrés qui agissent avec beaucoup de légèreté. Evidemment, l’Etat assume une grande part de responsabilité car un ministère comme celui de la Justice a les moyens d’initier des poursuites. Mais il y a aussi la responsabilité des partis politiques qui ne font que condamner ces pratiques à tel point qu’on croirait que les auteurs de ces dernières sont des extraterrestres !
L’Etat, s’il avait une réelle volonté de le faire, pourrait maîtriser la situation. Pour preuve, il suffit de rappeler le groupe de conseillers communaux d’Agadir arrêtés à Témara avant d’être relâchés ou encore les grands électeurs arrêtés à Marrakech. Vous savez en plus qu’il y a toujours moyen de remonter l’origine de fonds même s’il est difficile d’effectuer des arrestations en flagrant délit.
Pour vous, que devrait-on faire de cette deuxième Chambre qui est au centre de toutes les polémiques ?
Pour résoudre tous ces problèmes, je pense qu’il faut revoir les attributions et les prérogatives de cette Chambre. Elle a été créée en 1996 dans des conditions particulières qui relèvent du passé. Mais le problème de fond demeure : elle a presque les mêmes attributions que la première Chambre et nous nous retrouvons dans les faits avec deux Parlements à la fois. Il est inacceptable que l’on continue à écouter des questions orales identiques traitées deux jours de suite. C’est une perte de temps pour le gouvernement, pour le Parlement et une dilapidation des deniers publics. Cela dit, notre parti n’est pas d’accord avec ceux qui appellent à l’abolition de cette Chambre. Il ne faut pas occulter les intérêts suprêmes du pays et surtout son intégrité territoriale. Notre pays a besoin d’une vraie régionalisation au moment où il s’apprête à octroyer aux régions du Sud une large autonomie dans le cadre de sa souveraineté. Il est de notre intérêt de disposer d’une Chambre de conseillers où les régions bénéficieraient d’une réelle et efficace représentation. Nous devons déboucher sur une parfaite complémentarité entre les deux Chambres.