Le Maroc se situe parmi les pays les plus mal classés pour ce qui est de la prévention et de la lutte contre l’enrichissement illicite, a estimé Abdellatif Lamtouni, juge chargé des crimes et délits financiers auprès du ministère de la justice. Le magistrat qui intervenait au cours de la table ronde organisée samedi à Rabat par Transparency Maroc sur les causes de l’enrichissement illicite et les moyens d’y remédier, a considéré que la législation marocaine a pris du retard sur les ambitions qu’on était en droit de nourrir depuis que la communauté internationale a reconnu la pertinence des mesures prises par le Royaume pour éradiquer le blanchiment de l’argent sale.
Le juge a laissé entendre que la lutte contre l’enrichissement illicite n’a pas fait l’objet de la même volonté d’aboutir. Il a cependant estimé que cette lutte n’est pas une affaire aisée. «Pour la mener à bien, il faut au préalable opérer une refonte totale de la législation. Il faut même commencer par délimiter les concepts».
Le magistrat a en effet estimé que la définition contenue dans l’article 20 de la convention des Nations Unies sur l’enrichissement illicite est moins précise qu’un arrêt de la Cour suprême égyptienne pour qui cet enrichissement englobe tout à la fois la prévarication – situation d’un responsable qui ne se plie pas aux devoirs de sa charge et qui, ce faisant, met l’administré devant un déni de prestation- et, la concussion. Cette dernière étant le fait du titulaire d’une charge qui monnaye ses services. Distinctes sur le plan conceptuel, les deux sont en fait intimement liées dans le réel. Elles sont de surcroît difficilement constatables, «ce qui rend malaisé l’établissement de la preuve de leur existence».
Pour contourner cet obstacle, certains avis préconisent d’inverser le principe de la présomption d’innocence, de manière à ce que ce soit l’accusé qui fasse la preuve de la non-pertinence de l’accusation plutôt que ce ne soit l’action publique qui l’établisse. Mais, l’idée est difficilement soutenable et risque d’être âprement contestée puisqu’elle est contraire à l’un des principes fondamentaux de la justice. Cependant, cela ne doit pas empêcher la criminalisation de l’enrichissement illicite. On s’accorde même à dire que l’efficacité de l’action de lutte contre le fléau passe par cette mesure.
Mais cependant elle suppose des préalables aussi incontournables que le libre accès à l’information, la réforme du système judiciaire et la protection des personnes qui ont informé des actes délictueux. Elle transite également, cette efficacité, par l’obligation de déclaration du patrimoine. Difficile à mettre en pratique après coup, cette mesure peut être grandement facilitée si on en fait, à l’exemple de la fiche anthropométrique ou de la copie du casier judiciaire, un des documents du dossier de candidature.
Mais, considèrent les experts, rien de tout cela ne peut prendre si le système judiciaire ne progresse pas dans sa globalité. Il faut donc réviser la législation financière, créer des juridictions spécialisées dans les affaires financières, élargir le domaine d’investigation, étendre le contrôle, protéger les informateurs, limiter le secret bancaire et promouvoir la coopération internationale pour une meilleure collecte de l’information et pour une mutualisation de l’effort des pays contre le crime organisé.
Cependant il y a une chose sur laquelle il ne faut pas transiger entre toutes : l’application des lois. Les intervenants à la table ronde l’ont dit nettement : «C’est bien de faire des lois, mais c’est beaucoup mieux de les appliquer quand on les a faites».













