Entretien avec Yasmine Kadmiri Idrissi et Yassine Bekkaoui, élèves de la Terminale au Groupe Scolaire Jaques Chirac-Rabat
Olympiades de la chimie : Le Maroc en force aux Olympiades 2025 de la chimie des lycées français du monde qui se tiendront le 15 mai à Paris. Le Royaume sera ainsi représenté par Yasmine Kadmiri Idrissi et Yassine Bekkaoui, élèves de la Terminale au Groupe scolaire Jaques Chirac de Rabat, qui, accompagnés de leur professeur de physique-chimie Ilham Chichaoui et de leur ancien enseignant de SNT Yassine Naji.ont décidé de se lancer dans l’aventure et présenter à travers le concours «Parlons Chimie 2025», un projet ambitieux baptisé «La chimie au galop». Conformément à la thématique définie cette année pour les Olympiades «Chimie et sport», ce projet s’articule autour de la Tbourida. Une pratique équestre traditionnelle qui illustre le rôle discret et essentiel de la chimie dans le sport. Yasmine et Yassine ont ainsi choisi d’allier rigueur scientifique et enracinement culturel. L’objectif étant de défendre le patrimoine équin marocain face au fléau du dopage en démontrant le rôle puissant de la chimie dans cette lutte. Dans cette interview, les jeunes chimistes nous ouvrent la porte de leur laboratoire et nous dévoilent les grandes lignes de leur projet et ce à la veille de leur départ vers Paris.
ALM : Comment la chimie analytique peut-elle renforcer la lutte contre le dopage ?
Yassine Bekkaoui : La chimie analytique permet de détecter de manière rapide et précise la présence éventuelle de substances dopantes dans l’organisme d’un cheval. Couplée à des tests de dépistage menés de façon aléatoire, elle garantit qu’aucun cavalier malintentionné ne soit à l’abri d’un contrôle. La chimie analytique joue donc le rôle d’une épée de Damoclès, une véritable arme de dissuasion capable de décourager ceux qui seraient tentés de tricher pour gagner à tout prix.
Yasmine Kadmiri Idrissi :La chimie analytique est une branche essentielle de la chimie qui permet d’identifier, de séparer et de quantifier les constituants d’un échantillon, elle joue un rôle clé dans des domaines variés comme la santé, l’environnement, ou encore la lutte contre le dopage, en fournissant des outils précis capables de détecter même des traces infimes de substances interdites. Dans le cadre de notre projet «La chimie au galop », mené pour les olympiades 2025 de la chimie des lycées français du monde, nous avons exploré les méthodes analytiques utilisées pour détecter le dopage équin grâce à des techniques de pointe telles que la chromatographie et la spectrométrie de masse, il est aujourd’hui possible d’identifier des substances dopantes dans le sang ou l’urine des chevaux, parfois plusieurs jours après leur administration. Ces outils constituent le socle scientifique des analyses menées dans les laboratoires spécialisés.
Encadrés par notre professeure de spécialité, Madame Chichaoui Ilhame, nous avons eu l’opportunité de manipuler du matériel de laboratoire, de simuler des analyses sur des échantillons biologiques, et surtout de comprendre l’importance de chaque étape du protocole pour garantir la fiabilité des résultats. Nous avons également visité un laboratoire de chimie à l’IAV Hassan II, où Monsieur Taha Elkamli, responsable de la recherche dans ce domaine, nous a présenté l’environnement professionnel d’un centre antidopage. Cette immersion a donné une dimension concrète et éthique à nos apprentissages. Enfin, Monsieur Naji Yassir, notre professeur de technologie, nous a accompagnés dans la modélisation numérique, ses conseils avisés nous ont permis de renforcer notre démarche scientifique en intégrant des outils numériques pédagogiques. Par ce projet, nous nous inscrivons dans une dynamique nationale portée par la Sorec et la Fédération royale marocaine des sports équestres, qui œuvrent pour l’intégrité des compétitions et le respect du bien-être animal. C’est un honneur pour nous, élèves marocains, de contribuer à cette cause en alliant sciences, éthique et valorisation de notre patrimoine.
Le Maroc a une longue tradition dans le domaine équestre. Comment peut-on adapter la lutte contre le dopage au contexte marocain ?
Yassine Bekkaoui : Pour lutter efficacement contre le dopage dans le contexte marocain, il est essentiel de s’éloigner des modèles de sensibilisation occidentaux, souvent peu adaptés à notre culture. Au Maroc, il serait plus pertinent de mettre en lumière les conséquences du dopage à travers des sports profondément ancrés dans la tradition populaire, comme la Tbourida, qui est le deuxième sport le plus pratiqué et suivi du pays. Par ailleurs, une approche religieuse pourrait également toucher un large public : dans l’Islam, faire souffrir un animal est un acte interdit. Présenter le dopage comme une atteinte au bien-être animal, donc comme un péché, permettrait d’interpeller davantage les consciences. Enfin, cette sensibilisation doit passer par les médias qui jouent un rôle central. Il est crucial que la population comprenne ce que le dopage implique réellement, tant pour l’animal que pour l’éthique du sport. Comme on le dit souvent : les médias sont le nerf de la guerreet dans cette bataille, ils le sont plus que jamais.
Yasmine Kadmiri Idrissi : Adapter la lutte contre le dopage au contexte marocain, c’est avant tout comprendre et protéger l’âme de notre culture équestre. Dans la Tbourida, pratique traditionnelle aujourd’hui inscrite au patrimoine immatériel de l’Unesco, le dopage est quasiment inexistant. Ce spectacle, véritable joyau culturel, incarne bien plus que l’art équestre : il reflète un mode de vie fondé sur des valeurs de respect, d’honneur et de loyauté envers le cheval. Pourtant, même dans ce cadre traditionnel, une vigilance rigoureuse est assurée par la Sorec (Société royale d’encouragement du cheval) et la Fédération royale marocaine des sports équestres. Ces institutions veillent à l’intégrité des compétitions, qu’elles soient sportives ou traditionnelles. Ce qui rend le contexte marocain unique, c’est cette relation symbiotique entre l’homme et le cheval. Lors de notre visite à la compétition de Tbourida à Tiflet, accompagnés de notre professeure Mme Chichaoui, de M. Naji, et du Dr. Oussidhoum – vétérinaire et responsable à la Sorec – nous avons pu observer cette alchimie profonde entre les cavaliers, leurs chevaux et le public. Le Dr. Oussidhoum nous a montré comment la chimie contribue elle aussi à ce patrimoine vivant, notamment à travers l’utilisation du nitrate de potassium dans le Baroud. La détonation spectaculaire qu’il provoque marque le point culminant du spectacle, à condition qu’elle soit parfaitement synchronisée avec la course des chevaux. Ce moment, attendu avec ferveur par les spectateurs, est au cœur de l’émotion collective. Ce n’est pas simplement une performance technique. C’est un événement culturel majeur, suivi avec passion par un public nombreux – le deuxième au Maroc après celui du football.
Le Dr. Oussidhoum nous a également expliqué l’importance des tenues traditionnelles, de la coordination entre cavaliers, et des règles ancestrales qui régissent cette pratique. Ce qui nous a particulièrement marqués, c’est la dimension intergénérationnelle de la Tbourida : des Sorba composées de cavaliers issus d’une même famille – grand-père, père, fils – unis autour de la même passion. Le cheval est ici bien plus qu’un compagnon de route : il fait partie de la famille. Une telle relation affective constitue une barrière naturelle contre le dopage, tant il serait impensable de porter atteinte à un animal aussi respecté. En parallèle, dans le cadre de notre projet, nous avons découvert les coulisses de la lutte scientifique contre le dopage lors d’une visite au laboratoire antidopage de l’IAV Hassan II, dirigé par le Dr. Taha Elkamli. Il nous a initiés aux techniques modernes de chimie analytique, telles que la chromatographie et la spectrométrie de masse, capables de détecter les moindres traces de substances interdites. Cette approche scientifique complète l’approche culturelle : ensemble, elles forment une réponse globale et adaptée aux enjeux contemporains. En somme, la lutte contre le dopage au Maroc s’appuie à la fois sur la richesse de nos traditions, le respect profond du cheval, et l’innovation scientifique portée par des institutions engagées. Ce projet nous a permis de développer des compétences scientifiques de pointe, tout en nous reconnectant avec notre identité marocaine. Une expérience formatrice, humaine et profondément inspirante.
Est-ce que les Marocains sont sensibles aux défis liés au dopage pour la filière équine ?
Yasmine Kadmiri Idrissi : Oui, les mentalités évoluent.Une véritable prise de conscience émerge, portée par les efforts de sensibilisation de la Sorec et des professionnels du secteur équestre. Aujourd’hui, éleveurs, vétérinaires, mais aussi jeunes passionnés prennent conscience que le dopage ne met pas seulement en péril la santé des chevaux, il ternit aussi l’honneur et la crédibilité des compétitions équestres. Dans le cadre de notre projet «La chimie au galop », nous avons organisé une journée de sensibilisation réunissant des élèves de notre lycée, leurs parents et leurs enseignants. Notre objectif : informer, dialoguer, éveiller les consciences. À travers ce reportage, nous voulons aller encore plus loin. Toucher un public plus large. Faire passer un message fort. Notre slogan résume notre engagement : Le dopage est contraire aux valeurs de la Tbourida. Car au cœur de la Tbourida, il y a plus que la compétition. Il y a le respect, la transmission et, surtout l’honneur. Et aucune substance ne devrait jamais altérer cela.
Yassine Bakkaoui : En règle générale, les Marocains restent peu sensibles aux enjeux du dopage dans la filière équine. Les campagnes de sensibilisation se concentrent essentiellement sur le dopage humain, accaparant ainsi l’essentiel de l’attention du public. Le bien-être animal, et notamment celui des chevaux, demeure relégué au second plan. D’ailleurs, la majorité des personnes interrogées tout au long de notre projet ignorait même que les chevaux pouvaient être dopés.
Parlez-nous un peu de votre projet et des perspectives d’avenir ?
Yassine Bekkaoui : Notre projet, intitulé «La chimie au galop !», s’inscrit dans le cadre des Olympiades nationales de la chimie, et plus précisément du concours Parlons Chimie. Ce concours vise à promouvoir une chimie plus verte, en valorisant à la fois les techniques scientifiques et les compétences en communication, tout en s’appuyant sur un thème annuel à portée locale. Cette année, le thème retenu est «Chimie et Sport». Nous avons choisi de mettre en lumière le rôle de la chimie dans la Tbourida, le deuxième sport le plus populaire au Maroc. Au-delà de l’aspect scientifique, notre objectif est aussi de sensibiliser le public à la nécessité d’un sport propre, éthique et respectueux du bien-être animal. Dans le cadre de notre projet, nous avons formulé un gel anti-inflammatoire, conçu spécifiquement pour les chevaux. Pour l’avenir, nous envisageons de développer ce travail en lançant une start-up dédiée à la commercialisation de ce produit.
Yasmine Kadmiri Idrissi : Notre projet a pour objectif de défendre notre patrimoine équin face au fléau du dopage, en montrant comment la chimie peut être un allié puissant dans cette lutte.
Ce projet allie rigueur scientifique et enracinement culturel. Accompagnés de nos encadrants et des scientifiques qui nous soutiennent, nous avons simulé l’analyse de molécules dopantes telles que la caféine et la bétaméthasone, en utilisant des techniques de pointe issues de la chimie analytique. Cette approche nous a permis de développer des compétences solides en expérimentation, traitement de données et validation scientifique, autant d’atouts pour nos futures carrières dans les domaines de la recherche, de la santé animale et de l’ingénierie. Parallèlement, nous avons apporté une dimension humaine et culturelle à notre travail, notamment à travers des récits interactifs.
L’un d’eux met en lumière le Moqaddem, figure emblématique de la Tbourida, porteur des valeurs de respect, d’honneur et d’intégrité. Le site web dédié à notre projet ambitionne de sensibiliser un large public — élèves, parents, enseignants et passionnés de chevaux — à l’importance d’adopter des pratiques éthiques, fidèles à notre héritage marocain. Défendre un sport propre, c’est non seulement préserver notre culture, mais aussi la transmettre avec fierté, loyauté et modernité.