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Entretien avec Abdallah Baalla : «Le suivi psychologique des victimes est une urgence»

Santé mentale  

Le tremblement de terre qui a frappé le Royaume dans la nuit de vendredi à samedi a causé un stress inhabituel chez les personnes qui ont survécu à cette catastrophe. Quel impact psychologique du tremblement de terre et commet y faire face ? Des éléments de réponses avec Abdallah Baalla, spécialiste en psychologie et membre de la Ligue des spécialistes de la santé mentale.

ALM : La Ligue des spécialistes de la santé mentale a lancé une cellule d’écoute gratuite pour apporter son soutien à tous ceux qui ont vécu ou ressenti de près ou de loin le tremblement de terre. Depuis sa mise en place, combien d’appels recevez-vous quotidiennement ?
Abdallah Baalla : En réalité, il n’y a pas de nombre déterminé mais nous remarquons que le nombre d’appelants augmente de manière exponentielle. Le premier jour ils étaient quelques dizaines, mais le lendemain, c’est-à-dire à partir de dimanche, ils étaient des centaines si bien que nos collègues les spécialistes de la santé mentale et psychique se sont retrouvés submergés par les appels et souvent tard la nuit. Nous avions franchi, le lundi matin, le cap des 700 appels, heureusement que d’autres psychologues et psychiatres se sont joints à l’opération pour prendre la relève. Nous avons travaillé comme une équipe soudée. Pour être plus organisés, nous avons créé un groupe WhatsApp et nous avons nommé un coordinateur, un superviseur et un responsable de communication afin que notre action soit plus pragmatique et plus efficace.

Selon vous quels sont les effets psychologiques et les risques causés par le tremblement de terre ?
Un séisme est un événement violent et fortuit qui laisse des séquelles parfois à vie. Celles-ci peuvent être à la fois physiques et psychologiques. Pendant les premiers instants de la catastrophe, c’est la brutalité de l’événement qui plonge un individu dans un choc émotionnel à cause de la difficulté à assimiler l’ampleur de la violence. Il s’ensuit ce qu’on appelle en psychologie un état de stress aigu durant lequel des symptômes apparaissent pour renseigner sur la gravité de la perturbation psychique de la victime rescapée. On peut citer notamment les troubles du sommeil, l’irritabilité ou accès de colère, une attention exacerbée à la possibilité d’un danger.
Ceci on l’appelle aussi «hypervigilance», une difficulté à se concentrer, des réactions excessives à des stimuli brusques, c’est-à-dire des réactions de sursaut, etc. Cependant, si le stress aigu n’est pas bien pris en charge par un spécialiste de la santé mentale, ce trouble pourrait évoluer et devenir ce qu’on appelle en psychopathologie un trouble du stress post-traumatique qui peut se déclencher chez un sujet un mois après la catastrophe.

Les enfants sont considérés comme le groupe le plus sensible et ont besoin d’une attention particulière en cas de catastrophe naturelle ? Quels sont vos conseils ?
Effectivement, les enfants sont les plus vulnérables, surtout au niveau psychique, aux conséquences d’un événement violent tel qu’un séisme. Celui-ci crée en effet une espèce de rupture dans l’ordre des choses auxquelles un enfant est habitué. S’il n’a pas subi lui-même des dommages psychiques, le spectacle des violences engendrées par la catastrophe risque fort de perturber son équilibre psychique très fragile. Les images de mort, de sang, de cris, etc. provoquent des blessures et des séquelles psychologiques car ils sont exposés à la violence des images perçues. Pour cela, l’urgence impose que les enfants soient écartés des zones sinistrées et mis loin du spectacle désolant de la mort et des horreurs. Ils doivent être mis dans les conditions d’une vie normale, comme le stipule le guide de l’OMS pour la protection des enfants face aux catastrophes naturelles. Ils doivent également être occupés par des activités routinières relatives à leur scolarité pour les impliquer dans un rythme habituel de la vie. Des structures d’accueil doivent être mises en place afin de prendre en charge les enfants devenus orphelins à cause de la catastrophe.

Que se passe-t-il lorsqu’ une personne souffre de trouble de stress post-traumatique ?
Le trouble du stress post-traumatique ou TSPT survient généralement un mois après l’exposition directe ou indirecte et de manière extrême à un événement particulièrement violent. Ceci menace la vie du sujet et cause un traumatisme.
Ce dernier est diagnostiqué comme souffrant d’un TSPT lorsqu’il présente les symptômes suivants (selon le DSM) : souvenirs et rêves répétitifs et de manière intrusive, altération négative des cognitions, sentiment intense et prolongé de détresse psychique, réactions dissociatives, réactions physiologiques marquées à des stimuli qui rappellent l’événement, comportement d’évitement de ces stimuli, attentes négatives persistantes…

Que conseillez-vous pour faire face à ce problème ?
La première action d’urgence qui s’impose est de procéder au suivi psychologique de ces victimes dès les premiers jours de la catastrophe afin de prévenir l’apparition d’un TSPT. Des centres d’accueil doivent être installés et des psychiatres et des psychologues doivent y être affectés en permanence. Ces structures seront mises à la disposition des spécialistes de la santé mentale et psychique, surtout à proximité de la zone sinistrée pour faciliter les déplacements des victimes rescapées. Le travail est de longue haleine mais les protocoles thérapeutiques conçus par les spécialistes donnent généralement de bons résultats, surtout en travail concerté entre psychiatres et psychologues, si les victimes consultent régulièrement.

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