Aujourd’hui Le Maroc: Etes-vous satisfait du bilan des travaux du Forum pour l’avenir qui s’est déroulé du 10 au 11 décembre à Rabat ?
Thomas Riley : Un énorme travail a été nécessaire en termes d’organisation logistique et sécuritaire de ce forum qui a été une réussite. À ce propos, je tiens à féliciter le gouvernement marocain pour les efforts déployés pour que les travaux se déroulent dans de bonnes conditions. Le temps de toutes les interventions n’a pas dépassé 5 heures. alors que beaucoup de choses restent à faire et à discuter,
Estimez-vous que le temps consacré aux débats était court ?
Ce n’est pas ça, j’ai trouvé que les communications des différents participants allaient à l’essentiel car on ne pouvait pas faire autrement surtout avec la présence de nombreux ministres des Finances et des Affaires étrangères issus de près de 35 pays. Les longs discours n’étaient pas donc possibles. Juste 3 ou 5 minutes pour chaque délégation pour dire “ je soutiens l’effort du forum“ ou donner de nouvelles idées ou expériences dans le domaine du développement.
À la manière américaine, faire court en étant efficace ?
Le préambule du ministre des Affaires étrangères de l’Arabie Saoudite résume la situation. Il a déclaré qu’il va essayer de faire son intervention en trois minutes arabes et non suisses. J’ai trouvé cela plaisant. Cela dit, j’étais agréablement surpris par le degré de participation des pays hôtes : presque tous les pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord ont dépêché leurs ministres. Sans oublier ceux du G8 comme la France et l’Allemagne.
Quelle lecture faîtes-vous de cette participation ?
La qualité de la participation est une marque d’intérêt incontestable pour l’événement. J’ai lu plusieurs articles consacrés à ce dernier, mais ce n’est que le début d’un processus qui a permis de partager les meilleures idées et expériences de la région.
Peut-on dire que la rencontre de Rabat est une première prise de contact ?
Le Forum pour l’avenir de Rabat a offert l’occasion de discuter les réformes déjà engagées dans certains pays comme le Maroc et la Jordanie qui ont développé chacun des expériences intéressantes dans le domaine de l’entreprise et de la micro-finance. L’intérêt de ce débat, c’est de savoir si cette dernière expérience pourrait être reproduite dans d’autres pays comme l’Algérie par exemple. À mon sens, les choses sont sur la bonne voie et l’espoir est permis puisque les pays hôtes des deux prochains forums ont d’ores et déjà été désignés : le Bahreïn en 2006 et la Jordanie en 2007.
Donc, les discussions se poursuivront encore dans ces deux pays…
Absolument. J’ai eu l’occasion et l’honneur de discuter avec le secrétaire d’État Colin Powell qui est vraiment un homme formidable.
Mais M. Powell est partant…
Malheureusement. Mais c’est un grand leader. Il est content du succès du forum au plan organisationnel et de la teneur des débats. C’est un début prometteur.
Comment vous voyez la prochaine étape ?
Je la vois comme une occasion pour discuter des réformes concrètes. J’espère qu’on pourra faire le bilan du programme de la micro-entreprise dans les pays concernés : le Maroc, la Jordanie et le Yémen.
Le Forum de l’avenir sera donc étalé sur le temps avec à chaque foisla mise en oeuvre d’une réforme dans tel ou tel secteur. Est-ce là la vision américaine ?
Le Forum pour l’avenir n’appartient pas seulement aux Etats-Unis. Notre pays a conduit les travaux de la rencontre de Rabat en tant que président du G8. Dans moins de deux semaines, c’est le Royaume-Uni qui va prendre le relais.
Mais les Etats-Unis sont les parrains du forum pour l’avenir ?
Avec le G8. Je peux même dire que les membres européens de ce club ( France, Allemagne, Grande-Bretagne, Italie) ont plus d’intérêt, en ces temps de terrorisme, à ce que les régions du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord soient stables politiquement et prospères économiquement.
Cependant, le statut de puissance mondiale des Etats-Unis nous commande de se préoccuper de ce qui se passe au-delà de nos frontières. Un groupement d’entreprises arabes, Arab Business Council reconnaît que la croissance et l’emploi sont tributaires de la mise en oeuvre des réformes économiques et politiques de telle sorte de créer un environnement favorable à l’investissement. Le même conseil considère que le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord ont besoin de créer pour les 12 prochaines années quelque chose comme 100 millions de postes d’emplois. C’est énorme. Il va bien falloir trouver du travail pour des populations arabes essentiellement jeunes. Là, est le véritable défi.
Les détracteurs du Forum pour l’avenir estiment que les Etats-Unis sont mal placés pour donner des leçons au monde arabe alors qu’ils ont provoqué le chaos en Irak et échoué à régler le problème palestinien…
Ils ont certainement raison de penser ainsi. Colin Powell est d’ailleurs d’accord avec ce point de vue ; seulement voilà, faut-il attendre que tous les conflits du monde soient résolus pour répondre aux besoins des populations défavorisés en termes d’éducation, d’emploi, de liberté, etc… ? Non, ce n’est pas le problème des exclus d’attendre que tout soit parfait pour commencer à s’occuper de leur situation.
Donc pour vous, le conflit israélo-palestinien et le dossier irakien ne doivent pas retarder le développement politique et économique du monde arabe ?
Absolument. Nous n’avons pas un système parfait ou une solution toute faite. Nous pensons tout simplement que l’implication des citoyens dans le développement d’un pays en offrant aux jeunes et aux femmes de se réaliser dans un environnement sain est le gage pour construire un meilleur avenir.
Qu’en est-il maintenant des réformes sensibles qui sont de nature politique et démocratique. Partagez-vous l’idée selon laquelle les changements de fond souhaités ne peuvent venir que de l’intérieur ?
Je pense que oui.
Et si ces réformes ne viennent pas, les Etats-Unis iraient-ils jusqu’à les imposer par la force, à l’instar de ce qui s’est passé en Irak ? Cette solution est-elle envisageable ?
J’espère que non. Les systèmes politiques en vigueur dans les pays arabes sont différents. Prenons l’exemple du Maroc. Il s’agit d’une Monarchie constitutionnelle où des élections sont organisées pour le Parlement et les communes grâce à la participation des électeurs. Le modèle est peut-être le système marocain.
Un modèle pour les autres pays arabes ?
Oui, je le pense. Le système politique américain, un peu compliqué à comprendre y compris pour les citoyens, est différent de celui adopté par la France ou l’Angleterre. Je veux dire par là que chaque pays peut faire sien un système démocratique qui tienne compte de ses spécificités.
Quels sont les aspects qui vous semblent intéressants dans l’expérience politique marocaine qui reste somme toute jeune ?
En fait, plusieurs choses. Depuis ma prise de fonctions le 15 janvier 2004, c’est-à-dire il y a moins d’une année , j’ai vu beaucoup de choses intéressantes. J’ai assisté à des réunions sur l’éducation, la promotion des jeunes, les handicapés, ainsi qu’au lancement de projets dans les communes et les villages, etc. J’ai également rencontré les maires des petites et des grandes villes, à savoir des gens élus. Il y a aussi des réformes courageuses qui sont engagées dans différents domaines malgré les résistances. Ce que j’ai vu est vraiment impressionnant. Pendant la conférence de presse, Colin Powell a répondu à une question d’un journaliste en disant que la démocratie américaine ne s’est pas construite en une journée, qu’il a fallu surmonter de nombreuses difficultés y compris la guerre civile.
Cela veut-il dire que la démocratie ne peut être que le fruit d’un processus douloureux, voire violent ?
Il est plus utile à mon avis pour les pays qui ont le même niveau de partager et d’échanger les expériences de développement de tel ou tel projet. Aujourd’hui, on a plus de chances de réussir en peu de temps pour peu que l’on prenne la peine de faire ce qu’il faut en concertation avec les voisins et les amis.
J’avais l’opportunité de déjeuner à Washington à la table du président américain et du Roi du Maroc. George W. Bush a félicité son hôte pour les réformes engagées au Maroc.
Ne sachant pas ce que doit faire un ambassadeur dans ce genre d’occasion, j’ai demandé à M. Bush si je pouvais ajouter quelque chose. Etant un ami du président, il m’a permis d’intervenir et j’ai dit que Sa Majesté n’est pas un leader seulement au Maroc mais dans toute la région.
Comment les Etats-Unis comptent-ils affronter la montée de l’antiaméricanisme dans le monde arabe et même ailleurs ?
Le gouvernement américain a fait récemment un don au Maroc de 3 millions de dollars pour la lutte antiacridienne. Quand mon pays apporte son appui à un pays, je me sens très fier d’être Américain. La responsabilité des Américains au Maroc est de ne pas oublier leur foi et de soutenir les amis. Il ne s’agit pas de critiquer George W. Bush en le qualifiant de tueur car on ne peut pas plaire à tout le monde. Ce qui est en jeu c’est la responsabilité des Etats-Unis dans le monde d’aider les pays amis à s’en sortir dans n’importe quel domaine. J’espère de tout coeur que le dossier épineux du Moyen-Orient trouvera une solution et je sais que le président Bush travaille dans ce sens.
Le faux problème du Sahara marocain continue à bloquer la marche du pays vers plus de développement et de progrès. Quelle est la position américaine sur ce dossier ?
C’est une affaire qui doit être réglée dans le cadre des Nations-Unies. Par ailleurs, le président américain a encouragé de faire des efforts en direction de l’Algérie qui est une partie importante du conflit pour trouver une solution politique.
Mais l’Algérie traîne…
Oui. Mais si Alger et Rabat parviennent à un compromis, le problème sera résolu.