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Face au relâchement par rapport aux gestes barrières, le risque est énorme

© D.R

Pr Marhoum El Filali Kamal, chef de service des maladies infectieuses à l’hôpital Ibn Rochd de Casablanca

A un moment où le monde s’est relâché face au respect des gestes barrières. A un moment où le Maroc a organisé une opération commando pour rapatrier ses citoyens bloqués, depuis plusieurs mois à l’étranger, en plus des étudiants résidents et les MRE qui prendra fin le 31 août prochain. A un moment aussi où plusieurs quartiers de la ville de Tanger viennent d’être confinés, sous l’effet d’un relâchement notable… Pr Kamal Marhoum El Filali, chef de service des maladies infectieuses à l’hôpital Ibn Rochd de Casablanca fait le point sur la situation actuelle au Maroc, envoie les signaux d’alerte urgents, informe sur les tests PCR, sérologique et les vaccins. Il livre aussi les critères qui définissent une seconde vague dans un pays. Le Maroc n’est pas à l’abri. La vigilance est de mise. L’état d’urgence décrété jusqu’au 10 août se justifie à plus d’un titre.

ALM : Quelle analyse faites-vous au regard de l’évolution actuelle de la situation épidémiologique au Maroc ?

Pr Kamal Marhoum El Filali : Nous constatons une augmentation du nombre de cas confirmés. Cela est dû, tout d’abord, à l’administration massive de tests et au déconfinement en faveur de la reprise de l’activité économique. Quand on fait des tests au niveau des usines, des commerces et des entreprises, il est normal de voir le nombre de cas déclarés augmenter sensiblement.

A quel niveau se situe actuellement le taux de létalité (Ndlr : rapport entre le nombre de personnes décédées par Covid-19 et le nombre de personnes qui ont été confirmées comme ayant le Covid-19)? Peut-on le comparer à d’autres pays, notamment d’Europe, d’Amérique ou de l’Asie ?

Au Maroc, effectivement le taux de létalité est très faible. Il est de 1,6% actuellement. C’est parmi les taux de létalité les plus bas au monde sachant qu’en moyenne, si on prend tous les cas au niveau mondial de mortalité et de cas confirmés, le taux de létalité moyen se situe autour de 7%. Si on doit alors comparer les pays entre eux ou les régions entre elles, je dirais qu’en Europe, que ce soit en Espagne, en Italie, en France, les taux de létalité varient entre 9 et 17% selon les pays. Au niveau du continent américain, en particulier en Amérique du Nord et le Brésil, en Amérique latine, la létalité tourne autour de 4%. En Asie, si on prend l’exemple du Japon, le taux actuel est de 4,8%.

Que pouvons-nous en déduire ?
Le taux de létalité n’est que la résultante d’un ensemble de mesures qui ont été mises en oeuvre dans la prise en charge des cas et dans le cadre de celle de l’épidémie en général. Il est clair qu’en Afrique en général, et au Maroc en particulier, la pyramide des âges a une base extrêmement large. Les jeunes sont prédominants, ce qui représente une grande différence avec l’Europe et les Etats-Unis, aussi. C’est un indicateur important quand on sait que la mortalité est plus importante chez les personnes âgées. Second élément, les patients âgés sont sujets à des comorbidités et au Maroc le nombre de comorbidité est relativement faible par rapport à d’autres pays. Nous avons en effet beaucoup de comorbidité avec le diabète mais nous avons peu de comorbidité de type cardiovasculaire, insuffisance coronarienne, problèmes respiratoires chroniques…
Ensuite, la décision d’administrer les tests de manière massive a augmenté le dénominateur, ce qui réduit le taux de létalité. Le dépistage actif au niveau d’entreprises, d’usines a révélé des personnes contaminées mais ne présentant en général aucun symptôme. La forme asymptomatique évoluera probablement vers une forme bénigne.
Enfin, la prise en charge thérapeutique a impacté favorablement ce taux de létalité bas. Le Maroc a décidé d’utiliser, très tôt, l’hydroxychloroquine associée à l’azithromycine. Une récente étude américaine vient de faire état d’une corrélation directe entre ce traitement et la diminution de la mortalité parmi les personnes traitées.

Le Maroc avait procédé dernièrement au rassemblement des personnes atteintes du Covid-19 à l’hôpital Benslimane pour libérer les autres infrastructures hospitalières. Qu’en est-il aujourd’hui compte tenu de la tendance à la hausse ces derniers jours ?

Effectivement, le Maroc a décidé de rassembler les personnes ayant contracté le Covid-19 au niveau de deux structures, celle de Benslimane et celle de Benguerir. L’un des avantages est de libérer les autres hôpitaux pour pouvoir prendre en charge les autres malades non Covid-19. L’intérêt a été de mutualiser, également, les ressources humaines. Malheureusement, compte tenu de l’augmentation du nombre de cas nous n’avons pas pu rester sur ces deux centres et on a été obligés de mettre en place des hôpitaux de campagne. Il a fallu aussi rouvrir les structures Covid-19 dans d’autres hôpitaux qui avaient été fermées. Dans une épidémie, il faut être prêt à s’adapter à la situation et c’est ce qui a été fait dans le cadre de la stratégie nationale basée sur l’isolement de la personne dès qu’elle est testée et diagnostiquée positive. Le traitement des personnes infectées ne pouvant être effectué pour l’heure que dans des structures hospitalières.

A-t-on une idée sur la virulence du virus aujourd’hui ?

Au niveau de l’Afrique, le virus serait moins virulent. C’est dans ce sens que certains ont pensé à une mutation. En fait, on n’est sûr de rien. Et les données actuelles qui commencent à apparaître font état que le virus n’a au contraire pas subi de mutation majeure et qu’a priori il serait toujours le même. Il s’agit donc plus de populations différentes qui fait qu’on a une résultante en termes de létalité et de mortalité différentes. Le climat, la température, les ultraviolets solaires peuvent également y être pour quelque chose. Des études abonderaient dans ce sens mais rien de sûr encore…

Le risque de seconde vague est-il réel au Maroc?

Oui. Le risque est tout à fait réel. Personne n’exclura cette possibilité. Le Maroc a procédé, aujourd’hui, au déconfinement car c’est une nécessité économique et sociale. Maintenant, il faut absolument continuer à mettre en oeuvre toutes les mesures barrières en commençant par le port correct du masque qui est devenu malheureusement pour bien des personnes un ornement plus qu’une protection !
La mesure relative à la distanciation physique entre les personnes laisse aussi à désirer. Bien souvent on trouve des regroupements de personnes qui ne portent pas de masques. Ils se mettent en danger ainsi que la population générale. Enfin, l’hygiène c’est-à-dire l’utilisation de l’eau et du savon régulièrement pour se laver les mains et éventuellement les solutions hydroalcooliques n’est pas systématisée dans certains cas.
Et justement toutes ces mesures demeurent nécessaires pour éviter une seconde vague. Finalement, nous sommes toujours à la merci d’une seconde vague qui pourrait être plus grave que la première.
Parmi les repères qui permettent de définir cette seconde vague, celui relatif déjà au nombre de cas qui augmente. Cela dit ce n’est pas le seul élément à prendre en considération. Il s’agira de voir le type de cas que l’on confirme. Le jour où on commencera à trouver de plus en plus de cas confirmés mais pour lesquels on ne retrouve pas le contaminateur lorsque l’on fait l’enquête; là çà deviendra grave. Car cela voudrait dire que l’épidémie est passée à la troisième phase. Aujourd’hui, on est encore dans la phase de clusters (ndlr : cas groupés).
Le second élément qui permet de définir une seconde vague est le taux de positivité des tests. Tant que cet indicateur reste stable et faible, a priori il n’y a pas de risque de deuxième vague. Le jour où l’on verra que ce taux de positivité est en train d’augmenter là ce serait un signal. Mais ce n’est pas systématique. Le nombre de personnes hospitalisées en réanimation pour Covid-19 s’il augmente est aussi un élément annonciateur de seconde vague…

Où en est-on par rapport au vaccin?

Tout le monde attend le vaccin puisque personne n’est sûr que la maladie laisse des anticorps protecteurs et suffisamment longtemps dans le corps pour protéger les populations. La Chine a déjà un vaccin qui est testé sur l’être humain. Ils sont en train de le tester auprès de militaires chinois. Différents pays, à travers le monde, pour ne citer que le Royaume-Uni, la Belgique, la France, les Etats-Unis, sont en train de rechercher ce vaccin. Chacun est à des phases plus ou moins avancées. Nous allons pouvoir arriver à quelque chose très probablement mais on ne sait pas quand. Personne n’est sûr de rien. Se posera à ce moment le problème de la disponibilité de ce vaccin. Est-ce qu’il pourra être produit en quantité suffisante pour tout le monde ? Est-ce qu’il sera très coûteux ? Ce sont encore des choses qui demeurent encore inconnues…

En tant qu’infectiologue, quels sont d’une manière générale, les risques de se faire vacciner contre de nouveaux virus ?

C’est un vaccin qui sera récent et fabriqué, probablement, en un temps record. Fabriquer un vaccin, le tester correctement, rechercher ses effets indésirables, rechercher d’éventuelles intolérances nécessitent, en effet, plusieurs années d’étude. Dans ce cas précis où l’urgence est réelle de les obtenir, les vaccins qui vont être disponibles n’auront pas été suffisamment testés. Nous n’aurons pas encore suffisamment de recul pour relever d’éventuels effets secondaires. Et c’est valable pour tous les vaccins : il va falloir un suivi des personnes qui auront été vaccinées pour être à l’affût d’éventuels effets secondaires à moyen ou long termes. Les effets secondaires à court terme seront connus car des études seront réalisées parallèlement mais celles à moyen et long termes ne le seront qu’au fur et à mesure de l’utilisation de ce vaccin.

Le monde s’est relâché quant aux mesures imposées… Quel est votre jugement, Docteur, par rapport à un comportement naturel pourtant de l’être humain qui essaye d’occulter la réalité pour tenir bon face à des problèmes, aujourd’hui matériels ou atteignant le moral ?

Oui effectivement et dans tous les pays, on constate un relâchement énorme en ce qui concerne les mesures de prévention, les mesures de barrière en particulier. Et ceci représente un gros problème lié au comportement de l’être humain. Il faut que les personnes gardent des réflexes de prévention et évitent de se laisser aller. Nous avons quitté le monde pré-Covid. Il faut se dire qu’aujourd’hui nous sommes avec un élément dangereux qui circule dans les populations et il faut mettre toutes les chances de notre côté pour essayer d’éviter d’entrer en contact avec ce virus et d’inoculer la maladie. Le seul moyen est d’essayer donc de maintenir coûte que coûte ces mesures barrières car si la personne est contaminée sa guérison dépendra de son capital humanitaire. De plus, il ne faut pas se dire que comme les guérisons atteignent les 80% des cas la maladie n’est pas si grave que ça. Non !

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