Société

France : Les démons de l’islamisme (48)

© D.R

Les terroristes tournent un film de Noël
Strasbourg, 23 décembre 2000

L’Opel Astra de location file sur la route entre la station thermale de Baden-Baden, en Allemagne, et Strasbourg, en Alsace. À l’intérieur, l’Algérien Salim Boukhari, trente-trois ans, et le Français Fouhad Sabour, trente-neuf ans, ont poussé le volume de l’autoradio à fond. Ils n’ont pas choisi une cassette de musique techno. C’est plutôt requiem pour l’Occident.
Les refrains en langue arabe appellent à la guerre sainte : «Nous levons haut l’étendard de l’Islam. Nous sommes les soldats de Dieu et ne craignons pas la mort», hurlent les haut-parleurs. Les deux hommes empruntent la route fédérale 28 en direction de Kehl. À 16h26, ils franchissent la frontière française. Quelques minutes plus tard, les voilà dans le centre -ville de Strasbourg. En ce 23 décembre 2000, les guirlandes du marché de Noël brillent de mille feux. La foule est dense. Sur la place, la cathédrale en impose avec se flèche se profilant dans la nuit tombante.
Les chalands se pressent autour des échoppes. Un père Noël distribue des cadeaux. Des enfants s’égaient sur un manège. Un groupe de musique joue sa partition de notes claires. Un grand arbre de Noël illumine le magasin Marks & Spencer.
L’Algérien Boukhari sort sa caméra vidéo. Il attarde longuement son objectif sur la cathédrale. En voix off, il commente : «Ceci est l’église des ennemis de Dieu». Le cameraman amateur fixe son appareil sur le piétons : «Ce sont le ennemis de Dieu! Ils dansent et sont joyeux. Si Dieu le veut, qu’ils brûlent en enfer.» Le soir venu, les deux «touristes» reprennent la direction de Francfort. Deux jours plus tard, la police criminelle allemande interpelle les deux hommes et deux complices, Djilali Benali et Lamine Maroni. Le groupe islamiste projetait de poser une cocotte-minute bourrée d’explosifs et télécommandée au beau milieu du marché de Noël. Carnage garanti. Un procédé que l’artificier de la bande avait testé dans les camps afghans. Cette bande avait reçu l’ordre de frapper la France. Le commanditaire serait le recteur en chef d’Al Qaïda en Europe, Abou Doha, installé à Londres. Dans leurs valises, les terroristes disposaient d’un petit dossier de treize pages de format A4.
Ces documents détaillaient la fabrication de poisons mortels, tels l’huile de ricin, l’aniline ou le cyanure. En juin 2003, un tribunal allemand condamnera les quatre hommes à des peines de dix à douze ans de prison. Selon les magistrats d’outre-Rhin, l’objectif de ces moujahidine d’Europe était d’«atteindre la manière de vivre des sociétés civilisées occidentales et tuer à cette occasion les chrétiens, juifs et autres non-croyants dans le cadre de la guerre sainte à l’echelle mondiale, d’attaquer les symboles chrétiens, tels que la cathédrale de Strasbourg et le marché de Noël, et punir la France du fait de son soutien au pouvoir algérien».
L’affaire démontre la détermination des réseaux islamistes à frapper l’Hexagone. Leur animosité active remonte à l’interruption du processus électoral en Algérie en 1992. La France a vu d’un bon oeil le coup de force de l’armée. Au départ, les terroristes algériens utilisent l’Europe, les États-Unis et le Canada, comme «bases arrière». Pour éviter d’être traqués sur deux fronts, ils en font des sanctuaires. Liée à l’Algérie par l’histoire, la politique et l’économie, la France constituera une exception.
En septembre 1993, les premiers ressortissants étrangers assassinés en Algérie sont deux géomètres français. En 1994 et 1995, l’organe de presse du GIA à Londres, Al Ansar, diffuse des communiqués très virulents à l’encontre de l’ancienne puissance coloniale. La police française procède à de premières «rafles» anti-islamistes, notamment l’opération Chrysanthème. Le 22 juin 1995, dans un texte au style fleuri, intitulé «Made in France?», un certain «Oussama Ben Abdel fattah» dénonce l’arrestation de «musulmans» par les «croisés français».
Il fulmine : «Les sbires du régime chrétien ont fait une descente dans de paisibles domiciles, brisant les portes, violant la pudeur et l’intimité sacrée. Leur haine est allée jusqu’à poser des liens de fer sur les mains des faibles femmes, dévotes, innocentes et pieuses. Ils n’ont même pas eu pitié des vieillards blanchis par les ans.» Dans la même édition d’Al Ansar, un autre article étrille le gouvernement français accusé de soutenir le régime «impie» en Algérie: «Chirac n’est que la seconde chaussure de la paire qu’il forme avec Mitterand, ou avec Jospin.» L’auteur fait allusion au détournement d’un Airbus A300 de la compagnie Air France sur l’aéroport d’Alger le 24 décembre 1994 : «Que la France s’attende à recevoir d’autres messages clairs et que les enfants de l’adultère et autres jeunes gens des bordels préparent des chaises en nombre suffisant pour faire face à leurs téléviseurs.»
Cette année-là, les poseurs de bombes du Groupe islamique armé passent à l’action sur le territoire français. Neuf attentats ou tentatives font treize morts et deux cent quatre-vingts blessés. Né en 1992, le GIA est le plus célèbre des mouvements armés qui s’est livré à des actions violentes en Algérie après l’interruption du processus électoral. Enivré par la haine, l’émir du GIA, Djamel Zitouni, lance un défi à Jacques Chirac le 19 août 1995: «Embrassez l’Islam et vous aurez la paix!» Il exige ni plus ni moins la conversion du président de la République! Deux mois plus tard, Al Ansar surenchérit. Le journal publie à la Une un dessin de la tour Eiffel désagrégée sous le coup d’une explosion.
Le sigle du GIA signe ce projet. Un an plus tard, le 3 décembre 1996, une bombe fauche quatre passagers à la station Port-Royal du RER, soit sur la même ligne et quasiment à la même heure que le premier attentat qui avait touché la France. Ultime bravade? Cet attentat est le seul de cette période dont la police n’a jamais confondu le moindre auteur. Enfin, le 27 décembre 1996, le successeur de Zitouni, Antar Zouabri, reprend la plume.
Il écrit une lettre au président français, lui rappelant que Zitouni l’a invité à se «convertir à l’Islam» : «Mais vous avez choisi l’impiété.» Ce charmant nouvel émir sermonne : «Vous demeurez, vous autres Français, parmi tous les impies, les plus dangereux ennemis des musulmans.» Il menace : «À vous donc le feu.»
Les 11 et 15 juin 1999, un troisième homme, Abou Hamza el-Afghani, «émir du bataillon des martyrs d’Europe», menace à son tour la France et la Belgique, coupables de démanteler les réseaux islamistes. La guerre sainte prend de l’ampleur.

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