Société

France : Les démons de l’islamisme (49)

© D.R

Un espion de la DGSE est assassiné au Liban
Beyrouth, 2 février 1988

Le 3 février 1988, la presse annonce l’assassinat à Beyrouth de l’expatrié français Jacques Meurant. En pleine guerre civile, ce jeune homme de vingt-sept ans a été abattu la veille, au moment où il ouvrait la porte de sa BMW rouge, dans le quartier d’Achrafiyé, en secteur chrétien de la capitale libanaise. La victime, selon les services de l’ambassade de France, est un représentant de commerce en tabac, envoyé par la Seita au pays du cèdre. Malgré son passeport au nom de Meurant, des sources parisiennes livrent aux journalistes une identité différente: Jacques Meurant s’appellerait en fait Jacques Merrin. Une radio phalangiste, la Voix du Liban, le présente comme le numéro deux des services secrets français au Liban.
Selon l’enquête de la police libanaise, le jeune homme sort de la Sûreté générale quand des tueurs, armés de pistolets-mitrailleurs dotés de silencieux, tirent une première balle dans le cou et deux autres dans la poitrine. Pour cueillir ainsi le Français, les assassins ont sans doute bénéficié de complicités au sein même de l’enceinte.
Sur le moment, des journaux français se font intoxiquer. Quatre jours après le drame, un article d’un journaliste qui fréquente de près les services spéciaux, Roland Jacquard, conteste formellement que Jacques Merrin soit un agent des services secrets français et le présente comme un «simple honorable correspondant» travaillant «pour son propore compte», sans être en mission. Sur la tombe du faux représentant de commerce, l’armée de l’air déposera pourtant une plaque indiquant que le défunt est décédé «en service commandé», a été fait «chevalier de la Légion d’honneur» et cité à l’ordre de l’armée en obtenant la «croix de la valeur militaire avec palme».
Plus de quinze ans après, la mère de l’espion de la DGSE verse encore des larmes dès que l’on prononce le nom de son fils, dont le véritable nom était en fait Jean-Pierre Maranzana. Par respect pour son fils, pour la carrière qu’il avait embrassée, elle ne cherche pas à savoir qui le lui a enlevé.
La DGSE n’a pas non plus oublié ce jeune lieutenant de l’armée de l’air qu’elle avait recruté. Et certains, parmi les anciens du service, nourrissent de la rancoeur à l’égard de la DST, qui avait été saisie de l’enquête judiciaire. Le dossier, toujours ouvert au cabinet du juge Jean-Louis Bruguière, n’a jamais rien donné. Il jaunit sous la poussière dans l’un des placards de la galerie Saint-Éloi, couloir du palais de justice de Paris où sont regroupés les juges anti-terroristes. Une partie de la DGSE croit pourtant connaître les coupables. L’un des agents secrets de la «Piscine» assure : «Le Libanais que nous considérons être le commanditaire vit dans le 16ème arrondissement de Paris. Via le ministère des Affaires sociales et de la Solidarité, il lance régulièrement des procédures de demande de naturalisation française. Nous ne cessons d’émettre des avis négatifs, au motif qu’il est susceptible d’être mis en examen un jour.» À la DGSE, les mauvaises langues estiment que la DST «protège les coupables, car ils font partie de ses informateurs». Rue Nélaton, au siège du contre-espionnage, on défend une tout autre version qu’à la caserne Mortier. L’un des commissaires de la Surveillance du territoire s’offusque : «Il est faux de dire que nous n’avons pas travaillé. Je sais bien que nos cousins de la DGSE prétendent que nous sommes gênés par l’affaire, mais c’est tout à fait faux. En fait, nous avons suivi deux pistes qui n’ont rien donné, celle du Hezbollah et celle des Forces libanaises.» Sachant que la DST a entretenu des liens assez étroits avec les Forces libanaises. Quelle que soit la vérité, le corps de ce jeune homme continue à perturber les relations des policiers de la DST et des militaires de la DGSE.
La résistance à l’extrémisme islamiste est d’autant plus délicate que les deux services chargés de la protection des intérêts de la France se déchirent souvent. Cette fâcheuse rivalité ne s’est pas cristallisée qu’au Liban. Le Maghreb est un autre terrain où se livrent de féroces luttes d’influence. Ainsi, en Algérie aussi des animosités se font jour. Directeur de la DGSE de la fin 1982 jusqu’en 1985, l’amiral Pierre Lacoste se souvient d’une «guerre» entre sa «maison» et celle du ministère de l’Intérieur. Alors que le directeur de la DST, Yves Bonnet, choisissait d’établir des liens étroits avec les services algériens, Lacoste se méfiait : «J’étais très réicent au rapprochement avec l’Algérie, où sévit une nomenklatura à la soviétique avec une tradition ethnologique identique à celle des mafias. La génération du FLN est constituée d’hypertordus. Pour travailler avec leurs services spéciaux, il vaut mieux prendre une grande cuiller.» Drôle d’ambiance entre le DGSE et le DST. La première accuse la seconde de compromission. Et la seconde accuse la première d’être mue par les vieux réflexes de l’armée française pendant la guerre d’Algérie.
Le 26 décembre 1991, le Front islamique du salut emporte haut lamain le premier tour des élections législatives en Algérie. La France doit-elle soutenir les généraux, enclins à interrompre le processus électoral? Directeur de la DGSE à l’époque, Claude Silberzahn se souvient que son service a multiplié les notes pour dissuader le pouvoir de laisser se perpétrer un coup d’État : «Nous avions prévu la victoire électorale des islamistes, mais nous considérions que cela n’avait rien à voir avec l’islamisme iranien, qu’il restait toujours un président en cas de dérive, et qu’au final ce ne serait peut-être pas un mal pour le pays.
Tandis qu’arrêter le processus électoral, c’était se lancer dans une aventure.» Ce qui fut fait, avec l’aval des autorités françaises. «Au sein de notre appareil d’État, nous n’avons pas réussi à trouver d’allié pour défendre notre idée qu’il valait mieux laisser la vague islamiste s’écraser et s’éteindre d’elle-même», commente Silberzahn. L’idée prévaut cependant qu’il vaut mieux arrêter l’idéologie verte de manière abrupte avant qu’elle n’atteigne nos frontières. C’est notamment l’idée de la DST.
Au-delà des débats de fond, des règlements de comptes surviennent. En 1991, la DGSE rédige une note très négative sur Yazid Sabeg, un entrepreneur français d’origine algérienne qui dirige la Compagnie des signaux, une entreprise très sensible dans le domaine des communications. Les ministères de la Défense et de l’Intérieur font d’ailleurs partie de ses clients. Or, le service de renseignements relaie des informations, ou plutôt des rumeurs, selon lesquelles Sabeg aurait financé les terroristes du GIA. On imagine la stupeur des clients et les dégâts commerciaux pour la Compagnie des signaux. D’autant que la DGSE récidive, avec des notes complémentaires. Le directeur adjoint de la DST, Raymond Nart, ne croit guère à ces allégations. Il convoque l’intéressé et finit par considérer, comme lui, que le mauvais coup a été porté par un concurrent aux méthodes peu orthodoxes. Ce concurrent, maître en désinformation, se serait servi d’une officine privée pour organiser une intoxication à laquelle se serait prêté un officier traitant de la DGSE. Même si la Compagnie des signaux a mis un moment à se remettre de l’affaire, Yazid Sabeg reste dans les petits papiers des services. Ainsi déjeune-t-il bien entouré au Salon aéronautique du Bourget, en juin 2003, lors d’un repas en présence du Premier ministre Jean-Pierre Raffarin. Assis à droite de Sabeg, les yeux attentifs auront reconnu Jean-François Clair, le directeur adjoint de la DST, et à sa gauche Alain Juillet, le directeur du renseignement de la DGSE. Tout est bien qui finit bien. Ces plats partagés symbolisent un changement d’époque. Les relations entre les deux services se sont à peu près normalisées. Il était temps.

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