Société

France : Les démons de l’islamisme (61)

© D.R

Le moudjahid prépare une bombe chimique
Vénissieux, décembre 2002

Pendant des années, on a donc laissé les extrémistes gagner du terrain. Par tolérance? Plutôt par ignorance, par faiblesse, voire par lâcheté. On a laissé prêcher les imams radicaux. Un véritable travail de sape qui conditionne les fous de Dieu. Or, certains d’entre eux se sont laissé convaincre. En 2002, au dixième étage de la tour HLM du 63, boulevard Lénine à Vénissieux, près de Lyon, il y a parfois des vapeurs étranges. La nuit venue, un jeune homme s’isole dans sa chambre, passe des gants en latex et installe une balance de précision. D’un sac de sport rouge entreposé dans le buffet du salon, il sort trois flacons opaques. Il mélange une mystérieuse poudre blanche à d’autres substances. De temps en temps, le «chimiste» branche son micro-ordinateur sur Internet, pour trouver des recettes permettant l’extraction de produits toxiques. Une fois ses opérations terminées, il range les flacons avec soin, comme de petits trophées au-dessus du buffet. Au petit matin, lorsque sa mère se lève, elle hume de curieuses odeurs, «comme on peut en sentir dans les hôpitaux». À vingt-neuf ans, Menad s’est installé une sorte de laboratoire à domicile. Fils aîné de la famille, il ne sort pratiquement jamais de chez lui. Lorsqu’il désire entrer en contact avec quelqu’un, il envoie ses soeures. Jamais il n’utilise le téléphone. L’homme se sent surveillé.
Plusieurs fois par semaine, un ami surnommé «le pharmacien» vient discuter. Dans le salon, il est question de la crème de beauté Botimix contenant de l’acide botulique, aussi de ricine et de bicarbonate de magnésium. Trois poisons mortels. Régulièrement, Menad «remonte» à Paris après avoir conditionné ses mélanges dans des bouteilles de sirop pour la toux ou des inhalateurs. «Je savais qu’il voulait faire des bombes chimiques», confie sa mère devant les enquêteurs de la DST. «C’est l’aboutissement logique de sa volonté de combattre pour le djihad», ajoute son père devant les policiers. Bienvenue dans la famille Benchellali.
Imam de la salle de prière Abou Bakr, le père, Chellali Benchellali, soixante ans, est une figure du quartier. Avec sa barbe fournie et ses épaisses lunettes, il ne passe pas inaperçu. En plus, il a eu son «heure de gloire» aux Minguettes. En 1993, les forces croates en Bosnie l’ont incarcéré six mois pour le convoyage de médicaments et de fonds. Après cet épisode, son fils Menad, très marqué, se serait engagé dans le djihad.
Une véritable affaire de famille. Son frère Mourad, vingt-trois ans, a été capturé par les forces américaines en Afghanistan à la fin 2001. Depuis, il est détenu à Guantanamo, avec un voisin et ami du boulevard Lénine, Nizar Sassi. Menad assume : «C’est moi qui les ai envoyés pour qu’ils apprennent les préceptes du Coran.» Un autre frère, Hafed, n’est pas parti pour l’Afghanistan, mais affiche son fanatisme : «Si je franchis le pas de partir, ce n’est pas seulement pour combattre quelques années, mais pour mourir en martyr», dira-t-il aux enquêteurs. Le 24 décembre 2002, les médias annoncent l’arrestation à la Courneuve et Romainville de plusieurs islamistes présumés, soupçonnés de préparer un attentat chimique contre l’ambassade des États-Unis à Paris. À Vénissieux, la famille Benchellali regarde la télévision. Menad est nerveux. Il demande à un ami de le débarrasser de son sac Carrefour contenant des produits chimiques et le disque dur de son ordinateur. Ses proches le rassurent. Mais Menad veut rentrer en urgence à Paris. Un colis à récupérer?
Dans la capitale, le DST l’interpelle. Le 26 décembre 2002, il s’explique devant les enquêteurs sur le bric-à-brac d’apprenti chimiste trouvé lors d’une perquissition : des produits chimiques, un masque à gaz, une combinaison de protection. «La finalité était de parfaire mes connaissances dans l’éventualité de l’appel d’un émir en vue d’un futur combat légitime que j’aurais été censé mener», reconnaît Menad Benchellali. En clair, le fanatique avoue qu’il cherchait à confectionner une bombe, mais qu’il n’avait pas l’intention de l’utiliser en France. Un de ses proches, Mourad M., dit le contraire aux policiers : «Menad m’a toujours dit qu’il voulait commettre un attentat en Europe (…). Il était revenu de Géorgie chargé de haine. Il disait qu’il voulait faire le djihad, partout en Occident, donc par conséquent aussi en France.» Entre Lyon et Paris, Menad promenait ainsi ses fioles de la terreur. Ses motivations. «À force de lire le Coran, mes convictions religieuses se sont renforcées.
L’envahissement des terres musulmanes par les colonisateurs comme la Russie, Israël, la situation du Cachemire ou la présnece américaine en Afghanistan me poussent à soutenir le djihad.» Une vocation concrétisée sur le terrain par un voyage en Afghanistan puis en Tchétchénie, où il aurait subi des stages physiques et d’entraînement au tir : «Puis, j’ai décidé d’apprendre la chimie afin d’essayer d’obtenir un entraînement complet (…). La chimie est un des composants que doit acquérir chaque combattant dans le cadre de la formation paramilitaire.» Il confie : «Je suis prêt à me sacrifier dans une guerre juste et nécessaire.» Sciemment ou pas, la plupart des membres de la famille Benchellali ont participé à la croisade islamiste. L’une des soeurs concède être allée acheter du bicarbonate de magnésium pour le compte de son frère. Selon la DST; le père de Menad aurait été chargé de l’envoi de fonds en Afghanistan et en Tchétchénie. Dans sa mosquée, il aurait été missionné pour accueillir des islamistes «exfiltrés» des zones de combat. Enfin, les policiers ont relevé qu’en 2001, du poste téléphonique de l’imam, quelqu’un a appelé l’artificier du «groupe de Francfort», soupçonné d’avoir préparé un attentat contre la cathédrale de Strasbourg. La même année, la même ligne aurait été en relation avec Slimane Khalfaoui, autre membre présumé du «groupe de Francfort». À partir de 1999, le père Benchellali prend fait et cause pour la cause tchétchène. Dans sa mosquée, il diffuse des cassettes montrant les victimes des attaques russes. Il s’occupe de collectes de fonds. Dans les commerces environnants, il dispose de nombreuses urnes «SOS Tchétchénie» pour recueillir les dons. Le 30 novembre 2001, il envoie 15.000 francs en dollards américains à la Western Union à Tbilissi. L’imam s’active aussi depuis longtemps via l’association Ouverture, qui gère la mosquée Abou Bakr. Proche de l’Union des jeunes musulmans (UJM) de Lyon, ce lieu de prière a été le premier à être ouvert sur le plateau des Minguettes. Lorsque la fille de Benchellali est exclue du collège Elsa-Triolet de Vénissieux parce qu’elle refuse de retirer son voile, les dirigeants de l’UJM soutiennent la famille. Puis l’UJM prend ses distances, jugeant les positions de l’imam trop extrémistes. Après le 11 septembre 2001, les services de renseignements s’intéressent de près aux prêches du religieux : «Les surveillances ponctuelles n’ont pas permis de relever une allusion à caractère politico-religieux 1.» Cependant, selon les RG, Benchellali serait proche de certains extrémistes du Groupe salafiste pour la prédication et le combat. En janvier 2004, l’ensemble de la famille est interpellée.
Par prudence, la DST choisit de ne pas perquisitionner la mosquée Abou Bakr afin de ne pas enflammer la cité. La peur de l’intifada à la française oblige à prendre des précautions. L’opération policière suscite malgré tout des manifestations dans le quartier des Minguettes. Les habitants dénoncent l’amalgame «entre Islma et terrorisme». «L’imam n’a jamais appelé à prendre les armes», assurent les fidèles. La famille attend la fin de l’instruction judiciaire et le procès. De leur côté, les policiers s’interrogent : où sont passés les flacons de Menad Benchellali, Quelles étaient les complicités éventuelles? C’est tout un réseau qu’ont en tout cas commencé à démanteler les enquêteurs. Jusqu’où remonteront-ils?

1- Note RG, 13 février 2002.

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