Société

France : Les démons de l’islamisme (65)

Les services font des propositions à Pasqua
Place Beauvau, 21 septembre 1993

La France vit désormais sous la menace «latente et permanente» d’une attaque terroriste. Les autorités craignent une contagion de la guerre sainte dans les banlieues. Les salafistes gagnent du terrain. Les organisations musulmanes tentent, tant bien que mal, de faire rempart. Mais les modérés ne sont pas toujours à la hauteur. Trop de petitesses. Trop de lâchetés. Trop de dépendances. Les notables musulmans condamnent la violence. Ils la contiennent.
Mais combien de temps les digues vont-elles tenir? En attendant, certaines organisations engagent l’épreuve de force avec l’État, notamment sur la question du port du foulard à l’école. Les imams les plus extrémistes enflamment les mosquées et fustigent l’Occident et ses valeurs. Face à cette situation explosive, les autorités donnents l’impression de ne pas savoir comment réagir. Cornaqué par le ministère de l’Intérieur, le Conseil français du culte musulman ne convainc pas toujours. En tout cas, il ne parvient pas à résorber la propagation d’idéologies dangereuses. Dans l’appareil d’État, des leaders politiques et des hauts fonctionnaires découvrent l’étendue du désastre.
Tout était pourtant déjà écrit il y a onze ans! La consultation des archives permet de mesurer l’étonnant immobilisme effectué par les gouvernements successifs face à la montée de l’islamisme.
Le 21 septembre 1993, le ministre de l’Intérieur, Charles Pasqua, préside ainsi une réunion du comité interministériel de lutte antiterroriste, place Beauvau . À sa droite, Claude Guéant, directeur de cabinet adjoint, qui deviendra huit ans plus tard le plus proche collaborateur de Nicolas Sarkozy. Également autour de la table, Yves Bot, alors chargé de mission auprès du ministre de la Justice, aujourd’hui procureur de Paris.
Toute l’élite de la police et de la gendarmerie entoure Pasqua. Ordre du jour : l’intégrisme islamiste. À New York, les États-Unis ont subi leur première attaque terroriste. Le 26 février, des disciples du cheikh radical de Brooklyn, Omar Abdel Rahmane, ont pris le World Trade Center pour cible. En Algérie, le Front islamique du salut a remporté les élections. En France, les sympathisants du parti islamiste, en voie de radicalisation, gagnent du terrain. Et l’État s’inquiète.
Sérieusement. Un rapport des RG analyse l’implantation du FIS en Ile-de France. Il relève : «Depuis 1990 et la réussite du FIS aux élections communales, une certaine fascination s’est faite parmi les jeunes issus de l’immigration, particulièrement d’origine algérienne et marocaine 1.» Les causes de cette islamisation, une révélation à l’époque, font aujourd’hui figure de banalité : «Le travail militant effectué au sein de nombreuses mosquées tenues par le puissant mouvement Tabligh ad-Dawa a permis aux militants du FIS de s’assurer le concours de sympathisants et militants dévoués.» En France, le FIS est alors un mouvement quasi clandestin, s’appuyant sur une seule structure officielle, la Fraternité algérienne française (FAF), dont l’une des antennes est située à la rue Jean-Pierre-Timbaud à Paris, qui reste aujourd’hui l’alerte la plus «islamisée» de la capitale. Selon un air bien connu, les RG craignent que le mouvement ne fasse tache d’huile dans les banlieues : «Grâce à un réseau de sympathisants constitué par des associations ou individualités, la FAF a pu investir des quartiers entiers tels le plateau de Sartrouville, Cergy-Saint-Christophe, Épinay-sur Seine, Villeneuve-la-Garenne ou le chemin de l’Ile à Nanterre… La FAF n’hésite pas à faire du prosélytisme auprès des jeunes délinquants dans le but déclaré de faire de la prévention en «chassant» les dealers.»
Les autorités semblent découvrir alors que la communauté musulmane constitue un immense réservoir potentiel pour les «fous de Dieu» : «Ces mouvements propagandistes développent un discours revendicatif basé sur le sentiment d’exclusion ethnique et social. Ce discours est généralement bien reçu dans la mesure où les jeunes sont sensibles à la nécessité du respect de leur identité en tant que musulman. Cette influence islamique est d’autant plus efficace que les autres mouvances laïques ont perdu progressivement de leur audience.» Les mouvements non religieux sont débordés par des associations para-islamistes. Conclusion du rapport : «Aujourd’hui, aucune banlieue de la région parisienne n’est épagnée par le militantisme pro-FIS (…). On peut considérer que tout lieu de culte fréquenté par une population arabe ou d’origine arabe constitue un terrain de prosélytisme du FIS.» Un constat qui n’est pas sans rappeler l’offensive menée aujourd’hui par les salafistes, qui ne cessent d’étendre leur influence dans les quartiers sensibles. Les étiquettes changent, les phénomènes restent.
Le dossier confié à Charles Pasqua comprend une note confidentielle de la DST, qui donne -déjà- quelques pistes pour éviter le pire2. Ses préconisations restent plus que jamais d’actualité. Le service du contre-espionnage relève qu’il s’est attaché à «mieux prévenir les risques terroristes». Mais constate aussi : «Peu à peu a été ressentie la nécessité d’appréhender l’Islam et la communauté musulmane dans sa globalité afin d’apprécier d’éventuelles dangerosités qui ne seraient pas uniquement d’ordre sécuritaire.» Une sorte de révolution «intellectulle» au sein du contre-espionnage. En clair, une simple approche policière ne peut suffire pour contrer l’offensive islamiste. Émanant de la DST, cette recommandation aurait mérité la plus grande attention. Il n’en sera rien. Le service relève : «En l’espace d’une douzaine d’années, la communauté musulmane de laquelle émergeait la traditionnelle Mosquée de Paris a connu une tendance au regroupement et au renforcement.» Et de citer la montée en puissance de l’UOIF, de la FNMF, du Tabligh : «Le danger que peut représenter l’action et les dérives de telles organisations et sans doute plus à évaluer dans le moyen et long termes que dans l’immédiat (…). Certaines d’entre elles, qui veillent à s’activer dans le cadre de la légalité française, sont en fait proches par leurs idées de mouvements islamistes ou fondamentalistes étrangers.» L’UOIF est alors soupçonnée de «liens directs» avec le parti islamiste tunisien Ennahda et même le Hamas dans les Territoires occupés, en Palestine, et de «contacts indirects» avec Hassan el-Tourabi, le leader islamiste soudanais, et avec les théologiens des Frères musulmans. Concernant le Tabligh : «Certains dirigeants à Islamabad ne sont autres que d’anciens généraux ou officiers de renseignement.»
La DST redoute la constitution de «groupes de presion», qui «pourraient chercher à faire aboutir des revendications spécifiques d’une communauté minoritaire». Autant de «relais à des États étrangers musulmans ou islamistes qui pourraient appuyer leurs revendications ou réaliser certains de leurs objectifs de politique étrangère». Et de conclure : «Le fondamentalisme religieux de l’Islam se traduit pour la France et l’Europe essentiellement en termes d’ingérence, voire de subversion, sans toutefois écarter des actions violentes ou terroristes.» Le contre-espionnage se fend alors de quelques suggestions, notamment la création d’un «observatoire de l’Islam» pour «dégager les conduites à tenir tant sur le plan social que politique ou diplomatique». Plus de dix ans plus tard, l’observatoire n’a pas vu le jour. Également recommandée, la «canalisation» des aides financières des mécènes étrangers. Pour la DST, il faut aussi «résoudre le problème de recrutement et de formation des imams», «éviter l’implantation des banques islamiques». Dernier conseil : «changer les statuts de la Mosquée de Paris» à cause de l’«impossibilité logique de laisser dans un tel contexte la Mosquée aux mains de l’Algérie». Une proposition politiquement incorrecte. Jamais passée dans les actes, comme on sait. Le 9 novembre 1993, quelques semaines après ce rapport prônant une approche moins «sécuritaire», le ministère de l’Intérieur déclenche une vaste vague de quatre-vingt-cinq perquisitions dans les milieux islamistes. Cette opération s’avérera un véritable fiasco. Seuls six islamistes seront finalement condamnés le 13 septembre 2001, deux jours après la date fatidique de New York. Toujours cette approche sécuritaire…
Pendant ce temps, les islamistes gagnent du terrain.

1- «Implantation du FIS en Ile-de France», DCRG, Comité interministériel de la lutte antiterroritste (CILAT) du 21 septembre 1993.
2- Réflexions sur l’islamisme», DST août 1993.

Articles similaires

Société

AMO Tadamon : Hospitalisation gratuite pour les maladies chroniques ou incurables

Le ministre de la santé et de la protection sociale, Khaled Ait...

SociétéUne

Le Maroc célèbre mercredi le 21è anniversaire de SAR le Prince Héritier Moulay El Hassan

La Famille Royale et le peuple marocain célèbrent, mercredi, dans la joie...

SociétéUne

Comment le ministère de la santé compte éliminer le Sida d’ici 2030

Les décès liés au VIH au Maroc ont baissé de 53% entre...

Société

Pénurie d’eau : La tutelle renforce la sensibilisation du grand public

Le ministère de l’équipement et de l’eau sensibilise à la pénurie d’eau....

EDITO

Couverture

Nos supplément spéciaux