La boulimie, ce trouble du comportement alimentaire continue d’être méconnu dans notre société. Cette pulsion irrésistible de manger avec excès et sans contrôle est loin d’être un phénomène minoritaire au Maroc. « Dans notre société, les deux sexes tombent dans le piège de cette psychopathologie alimentaire. Selon une récente étude menée par une entreprise (Casablanca, 2008-2009) sur l’obésité, 20% d’hommes et 30% de femmes se considéraient «boulimiques», affirme Nabil Ghazouane, docteur d’État en psychologie clinique et sociale. Mais qu’entendons- nous par boulimie ? «La boulimie est une faim insatiable à ne pas confondre avec la voracité ou la gloutonnerie qui est une avidité à manger. En tant qu’hyperphagie aboutissant à l’obésité, la boulimie s’inscrit dans les dérèglements du comportement alimentaire», explique Dr Ghazouane. Il existe deux types de boulimie, avec ou sans vomissement. Dans le second cas, la boulimie s’accompagne d’une perte de contrôle et d’un malaise physique et se termine par des vomissements provoqués. Le sujet va s’empiffrer de quantités phénoménales de nourriture et va par la suite tenter d’éliminer tout ce qu’il a ingurgité en se faisant vomir. Le boulimique est une personne qui accorde beaucoup d’importance à son image. Il mange en cachette par dégoût et honte et ce dans un contexte dépressif. Cette maladie est une réaction à l’angoisse comme le souligne Dr Ghazouane: «Les psychologues s’accordent que l’excès de la nourriture est une réaction à l’angoisse et un para à la dépression. Comme si le sujet se réfugiait dans la nourriture pour supporter une frustration, assouvir et enterrer un manque».Mais quelle est l’origine de cette maladie ? «Dans la boulimie, il s’agit toujours d’un trouble psychologique qui se manifeste comme désorganisation alimentaire. Ce trouble, dans la majorité des cas, se rapporte au stade oral de notre évolution libidinale. Notre bouche -et par la suite tout le système de l’appareil digestif- est notre première zone érogène. C’est que nous absorbons du sein maternel et du lait et de l’affectif (amour, angoisse, crainte…). De ce fait, le nourrisson introjecte de la nourriture visible et invisible, réelle et imaginaire; de la nourriture qui satisfait sa faim mais qui, probablement, ne calme pas son angoisse, sa demande d’amour et de sécurité. Alors, il vomit, il rejette… et ça recommence, jusqu’à ce qu’il pourra verbaliser ce qui lui manque vraiment au-delà de tout aliment !», explique ce psychanalyste. Dans sa forme avancée, la boulimie est une dépendance similaire à la toxicomanie. Cette maladie s’apparente souvent à une attitude addictive. «La boulimie, touchant la pâtisserie (surtout le chocolat) peut devenir une attitude addictive du moment où la personne ne peut supporter le manque», souligne Dr Nabil Ghazouane. La boulimie n’est pas sans répercussion sur la santé. La crise boulimique provoque la dilatation de l’estomac et peut créer d’importants ulcères au niveau de l’œsophage lorsque le sujet vomit immédiatement après la crise. Ces troubles fréquents risquent d’endommager l’ensemble du tube digestif. L’utilisation de laxatifs et de diurétiques peuvent sur le long terme entraîner des troubles au niveau des reins. Des dommages sont également perceptibles au niveau de la dentition ( usure précoce de la dentition, apparition des caries, taches sur les dents). «Les sujets boulimiques, malgré leur compulsivité, ont souvent conscience de leur comportement alimentaire aberrant, non seulement au niveau de leur corps, parce qu’il les met dans des situations inconfortables (vomissement, prises de diurétiques ou de laxatifs, des régimes drastiques pour perdre du poids, des aigreurs d’estomac, etc.), mais aussi, au niveau de la relation qui, souvent, tourne autour de la bouffe. Etiquetés comme «gros mangeurs», ils risquent de perdre celles et ceux qui s’arrêtent à la bouffe», note Dr Ghazouane. Et d’ajouter : «Le boulimique est avant tout «malade» d’un manque de parole ; la verbalisation de la hantise de quelque chose qui l’obsède à l’endroit de son corps, lui fait défaut. S’il aime bouffer, c’est qu’il aime être entouré. Je conseille au boulimique de ne jamais manger seul. La convivialité du repas est aussi une satisfaction alimentaire !». Ce trouble du comportement alimentaire doit être pris en charge à un stade précoce pour une meilleure efficacité des traitements. Ceux-ci reposent sur la prise en charge psychothérapeutique et l’éducation nutritionnelle. Les psychothérapies sont destinées à modifier l’attitude du patient vis- à- vis de la nourriture. Il s’agit de faire le point sur l’histoire alimentaire de la personne, et sur l’image qu’elle a de son corps ou ses difficultés relationnelles. Ces thérapies permettent d’identifier les facteurs déclenchants des crises et d’apprendre à adopter un comportement autre que la frénésie alimentaire. Des consignes sont données progressivement, parmi lesquelles manger lentement, prendre des repas à heures régulières ou résister aux tentations. Le rôle du nutritionniste consistera à modifier les croyances du patient sur les aliments et sur la relation entre alimentation et prise de poids. Le tout est d’aider le malade à vaincre son anxiété déclenchée par la survenue d’une crise de boulimie.