Société

La caisse noire

Des révélations explosives, il y en a un paquet dans le rapport d’enquête sur la CNSS, réalisé par une commission de la deuxième Chambre. Toutefois, les membres de cette instance se sont contentés tout au long de leur travail de décrire notamment les anomalies qui caractérisent cet établissement public et la gabegie qui y a fait fureur pendant les trois dernières décennies. Évitant de mettre directement en cause les responsables de ce gâchis monumental, les conseillers-enquêteurs se sont donc montrés extrêmement prudents sous peine certainement que les résultats de leurs investigations ne soient taxés par les concernés d’acte d’accusation qui les livre sans preuves en pâture à l’opinion publique. Souvenez-vous, c’est ce qui est arrivé avec le rapport d’enquête de la première Chambre sur le CIH : les mis en cause, mauvais payeurs et ex-dirigeants de la banque, ont crié au scandale dès qu’il fut mis sur la place publique. En un mot, l’action de la commission d’enquête sur la CNSS s’est arrêtée là où elle a estimé que commence le travail de la justice. Une chose est sûre : des pistes intéressantes de détournement et de dilapidation de l’argent de la Caisse ne manquent pas. Du pain sur la planche pour la BNPJ qui a là matière pour convoquer du beau monde. D’ailleurs, les enquêteurs de cette brigade n’auraient qu’à jeter un coup d’oeil aux dernières pages du rapport. Ici sont consignés les noms des différents responsables et cadres de la Caisse: des ex-directeurs généraux qui se sont succédé au fil du temps, aux contrôleurs financiers en passant par les responsables des polycliniques et les fournisseurs privilégiés de la boîte…
Le nombre de ceux-ci ne dépasse pas 15. Les entreprises en question furent chargées de l’équipement des polycliniques de la CNSS. Exceptées trois (CBI et Digital qui ont livré du matériel informatique à la CNSS et SOD spécialisé dans la fourniture des dossiers d’archivage pour des montants très excessifs). Le rapport ne révèle pas les noms des propriétaires de ces heureuses sociétés. Par ailleurs, les enquêteurs ajoutent à cette liste de fournisseurs la société Imprigema qui ne figure pas dans la liste officielle de la caisse et qui a remporté des bons de commande pour quelque 45 millions de Dhs.
Pour un système informatique qui n’est toujours pas au point, les dépenses englouties sont pharamineuses. Rien que les marchés d’études pour sa mise en place ont englouti entre 1992 et 1997 la bagatelle de 40 millions de Dhs engrangée par des sociétés marocaines et françaises. Une bonne partie de cette manne a été réglée en francs français, c’est-à-dire en devises fortes. L’argent coule à flots, pourquoi bouder son plaisir? La CNSS s’est lancée dans la construction des polycliniques, un projet louable s’il n’était pas dévoyé par les fonds énormes qu’il a bouffés. Passons sur les budgets annuels consentis pour le fonctionnement de ces unités et marquons un arrêt devant ce qu’elles ont coûté. C’est la CGI (Compagnie générale immobilière), filiale de la CDG (Caisse de dépôt et de gestion) qui a eu l’immense privilège d’en être le maître d’ouvrage.
À ce titre, elle a touché 3,5% du montant global de l’investissement ( construction et aménagement) hors honoraires des architectes au lieu des 3% consignés dans le rapport du Conseil d’administration de la CNSS. La différence donne une marge indue. Qui en a profité?
Le rapport évalue le préjudice financier global subi par la caisse à 47,7 milliards de Dhs dont 11 milliards de Dhs hors actualisation des produits financiers au titre des dépôts de l’argent de la CNSS à la CDG, rémunérés actuellement autour de 5%. Selon la projection faite par la commission d’enquête, si ce manque à gagner était rémunéré au taux des bons de Trésor, le budget de la Caisse se serait enrichi de 67,7 milliards de Dhs, soit un montant total de 115,4 milliards de Dhs. Trêve de spéculations. Tous ces chiffres relèvent du virtuel. La réalité c’est que ces fonds ont été soumis à un pillage organisé. Les techniques de dilapidation excitent l’imagination.
Le cas de la clinique Benbrahim à Casablanca, cité dans le rapport, est édifiant. Cette clinique a été achetée par la Caisse mutualiste complémentaire d’aide sociale (CMCAS) gérée par l’ONE et par la Mutuelle d’action sociale (MAS) du personnel de la CNSS. Or, le financement de cette acquisition provient du compte des Soins de santé France (SSF) de la CNSS. Mieux, ce que ne dit pas le rapport, c’est que cette clinique est utilisée depuis 1985 par les oeuvres sociales de l’ONE et non pas par la CNSS, alors que l’Office d’électricité n’a pas déboursé un sou dans cette affaire.
En plus, la CNSS s’est lancé sans base juridique dans le financement de nombre d’opérations comme celle de la moelle osseuse, la construction d’un centre d’accueil à Tanger ( 14,5 millions de Dhs) ainsi que la prise en charge des vacances au Maroc des enfants des MRE ( 43,44 millions de Dhs). Quant aux soins dans les hôpitaux de Paris, un dossier extrêmement enchevêtré et sensible, les enquêteurs n’ont pas pu aller trop loin.
Des vertes et pas mûres à tire-larigot. Le rapport publie la liste des employés fictifs, qui étaient payés sur l’argent de la CNSS (plus de 21 millions de Dhs) et débusqués en 1992.
Parmi les 500 entreprises débitrices envers la CNSS, publié dans le rapport, figure la CNSS elle-même et ses polycliniques. La Caisse de sécurité sociale qui ne paie pas les cotisations de ses employés ! Édifiant, non ?

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