Société

La chanson engagée espagnole à Rabat

© D.R

Il est vrai que l´étude de la chanson à travers les interprètes, compositeurs et distributeurs, exige qu´on parle d’un jeu de double miroir. Cependant, le cas des  auteurs compositeurs interprètes reste très spécial. En premier lieu, l’auteur-compositeur construit son image à partir d’ une conscience artistique et personnelle particulière. Il écrit, compose et chante animé par un pacte qu´il établit avec son public, en général frôlé par la grâce d´un certain engagement, aujourd´hui en extinction,  d´un dévouement que la logique implacable de l´histoire a engloutit, peut-être pour semer ailleurs.  L´émergence de la figure  des auteurs-compositeurs-interprètes peut être identifiée à une époque où l’on revendiquait l´imagination au pouvoir.
Bob Dylan, Leo Ferré, Leonard Cohen, Joan Baez, Victor Jara, Paco Ibañez, Raimon, Jacques Brel, Brassens, Maria del Mar Bonet, Luis Eduardo Aute, Joan Manuel Serrat, Amancio Prada, Marcel Khalifa et  autres,  ont constitué une extraordinaire pléiade de sources d´illusions pour une époque achevée. Car cette musique, qui était suivie par des gens appartenant à des groupes sociaux très précis, et nourrit par une jeunesse désobéissante, faisait réfléchir et motivait une action avérée.  Elle voulait changer le monde.
Le spectacle qu´organise l´Institut Cervantès de Rabat, le 5 avril au Complexe culturel  Mehdi Ben Barka, à 20 heures, réunit les représentants de deux générations d´auteurs-compositeurs-interprètes espagnols. Tout d’abord, il faut signaler qu´ils ont en commun le fait d´avoir émigré, en quête des cieux plus prometteurs. Les deux artistes sont arrivés à Madrid parce que dans leurs villes d’origine, faire carrière artistique était impossible.  Luis Pastor, originaire d’Extremadura, une zone très déprimée  durant les années de l´après-guerre, appartient à l´époque  pendant laquelle, chanter pouvait tuer ou du moins, être susceptible d’un séjour non désiré dans les geôles de la dictature.  
Pedro Guerra, natif des Iles Canaries,  avait neuf ans en 1975, date de la mort de Franco. Il partage l´esprit de la première génération qui a vécu une adolescence sans le fantôme de la matraque et qui n´a pas connu l´humiliation  propre à tout régime autoritaire et non participatif.
Luis Pastor est un autodidacte. Il abandona l´école à 12 ans  et travailla comme coursier. A l´âge de 16 ans, il s´offre une guitare et découvre Paco Ibáñez et la poésie. Il chantait dans l´église de son quartier, dans les centres de jeunesse et entre amis. Il fuit l´Espagne en 1970 et parcourt les centres des émigrés espagnols en Europe. Il portait dans ses chansons le refus contestataire du régime franquiste. Son premier disque fut censuré.
Les chansons de Luis Pastor étaient très appréciées  par les militants de gauche et le public qui s´identifiait avec la chanson engagée. En 1975, quelques mois avant la mort de Franco, il enregistre son album Fidelidad. Il s´agissait là d´un pacte avec lui-même et avec son public qui assurait la continuité de la voix et le regard revendicatif. Son dernier disque Pásalo, produit par le Brésilien Chico César, reste attaché à l´esprit de liberté.
Pedro Guerra, malgré le fait qu´il ait évolué dans une société plus ouverte et plus dynamique et plus riche que son collègue, s´inspire de la chanson engagée. Mais son engagement cherche d´autres causes et d´autres raisons d´être.
Contamine-moi est la chanson qui a lancé ce jeune chanteur canarien, que le journaliste américain Eliseo Cardona, décrit comme le maigre, l´inquiet et le laid qui  centre la force de son écriture sur la beauté de la simplicité. Et Contamine-moi appelle l´engagement à travers le langage de l´amour comme voie de connaissance et de communion. Pedro Guerra rappelle d´une part les rythmes et le style de la nova trova cubaine de Silvio Rodríguez y Pablo Milanés, qui ont canalisé  un air de détente dans la dureté anachronique du castrisme. Il le fait en adaptant des poèmes de deux grands poètes des années soixante, comme Claudio Rodríguez et Ángel González. D´autre part, on peut reconnaître facilement les sons brésiliens, qui vont directement à la ceinture et la font bouger irrémédiablement.

Par Larbi El Harti
Professeur universitaire

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