ALM : Que représente pour vous la réforme de la Moudawana dont les grands traits ont été exposés par SM le Roi face aux parlementaires?
Ahmed Khamlichi: De prime abord, cette réforme dont SM Mohammed VI a dévoilé les grandes lignes représente, en fait, un compromis entre deux courants de pensée dont l’existence ne peut être occultée. Les opinions défendues par l’une et l’autre partie ne reflètent pas des idées personnelles des membres de la Commission royale. Il s’agit de la réalité de la société marocaine. Cette réforme a prouvé que la divergence des avis ne signifie nullement l’exclusion. La vie en communauté, c’est justement la capacité pour chacun de nous de trouver des compromis de ce genre.
Mais le bras de fer était assez rude entre les deux courants.
L’entêtement et l’extrémisme ne mènent à nulle part. Ou plutôt mènent vers l’impasse. Avec le temps et au fil des débats, nous avons réussi à rapprocher nos idées. L’ensemble des membres de la Commission se sont mis d’accord sur plusieurs points litigieux. Mais des divergences ont persisté et c’est tout à fait normal.
Justement, comment avez-vous fait pour rédiger le rapport remis à SM le Roi, malgré certaines divergences?
Comme je vous l’ai dit, les membres de la Commission se sont mis d’accord sur pratiquement tous les points. C’est un travail laborieux qui nous a nécessité de longues heures de réunions. Concernant, les aspects sur lesquels nous n’avons pas pu trancher, nous avons rédigé deux propositions différentes et c’est SM le Roi lui-même qui a pris la décision finale. En sa qualité d’Amir Al Mouminine, c’est à lui seul que revient le droit de valider l’ensemble de nos propositions.
Comment se fait-il que la réforme a été totalement acceptée par les conservateurs?
Je pense que la méthode avec laquelle nous avons travaillé a donné ses fruits. Les réformes apportées par le projet ont toutes une référence de la Charia. Le Maroc est un pays musulman et les dispositions du code du statut personnel ne peuvent nullement transgresser les textes sacrés. Toutefois, certaines pratiques coutumières sont perçues avec le temps comme des règles de la Charia. On a souvent tendance à confondre la Charia et la coutume ou la Charia et l’avis du Fiqh. Je peux vous assurer que toutes les réformes apportées respectent scrupuleusement les règles fondamentales de la Charia.
Quelles ont été les nouveautés dans cette réforme?
Les principales nouveautés ont été présentées par SM le Roi lors de son discours devant le Parlement. C’est le cas de la polygamie par exemple. Une fois que le projet de réforme de la Moudawana entrera en vigueur, la femme peut exiger dans l’acte de mariage son opposition à ce que son mari puisse avoir une autre femme. Une autre nouveauté également concerne le Kholâ. C’est schématiquement le droit octroyé à une femme d’acheter son divorce. Avant, le Kholâ ne pouvait s’appliquer sans l’assentiment du mari. Désormais, le juge peut procéder, même en cas de refus du mari, à l’exécution du Kholâ.
Pour éviter les dérapages, ne pensez-vous pas que cette importante réforme nécessite une vaste campagne de sensibilisation?
La sensibilisation est sans doute le seul moyen de réussir cette réforme. Les citoyens doivent assumer leurs responsabilités. Pour se lancer dans les affaires, il faut étudier le code commercial. Avant de passer le permis de conduire, il faut connaître toutes ses obligations et ne pas attendre l’infraction pour les apprendre. C’est la même chose pour le mariage. Les Marocains et Marocaines doivent connaître leurs droits, certes, mais surtout leurs obligations au sein de la famille. C’est de cette manière que notre pays peut aller de l’avant.
Quel genre de sensibilisation faut-il envisager?
Nous avons tout d’abord pensé à l’enseignement au sein des établissements scolaires. Le droit de la famille doit être inscrit dans le programme des lycées, car c’est là que nous trouvons des jeunes en âge de se marier.