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Lamya Lamrani : «Il faut prendre de la distance des discours anxiogènes»

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Entretien avec Lamya Lamrani, psychologue clinicienne, psychothérapeute

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Il faut apprendre à limiter les sources d’informations, choisir des sources fiables et officielles plutôt que de se laisser submerger par le flux de publications sur les réseaux sociaux ou les fake news.

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ALM: Les réseaux sociaux sont devenus le principal canal d’information en cette crise sanitaire. Comment ces plates-formes jouent-elles sur la psychologie de la population ?

Lamya Lamrani : Je tiens à souligner tout d’abord que le Covid-19 est considéré comme étant un événement traumatogène puisqu’il nous confronte directement à la mort, ou du moins à une menace de mort que celà soit de façon directe ou indirecte.

La lutte contre l’anxiété peut prendre de nombreuses formes face à ce type de situation : des achats compulsifs, manger un peu trop ou la consultation obsessionnelle et incontrôlable des flux d’informations en ligne notamment sur les réseaux sociaux, dans l’espoir de calmer ses craintes ou d’avoir l’illusion de contrôler ce qui se passe autour de nous en ayant le maximum d’informations.

Bien que ces comportements puissent aider momentanément, ils peuvent au contraire aggraver la situation et augmenter l’anxiété chez l’individu. Le flux d’informations, parfois de fausses informations, dans un laps de temps très court donne l’impression qu’on est submergé et envahi par toutes ces actualités en restant dans une position passive, dans laquelle on subit les changements et l’évolution des choses, sans pouvoir en être acteur dans un premier plan.

Quels sont les effets de la psychose collective sur la stabilité émotionnelle de la société en ce temps de crise?

Il est tout à fait naturel de ressentir de l’anxiété en réponse à une menace. C’est une réaction humaine. Cependant plus le niveau d’anxiété reste élevé et constant plus nos ressources psychologiques demeurent fragiles en temps de crise. Ainsi, les personnes anxieuses ou présentant des troubles associés sont particulièrement susceptibles de rencontrer plus de difficultés psychologiques en cette période.

C’est pourquoi, il est important de garder son calme, en prenant de la distance, quand on peut, aux discours anxiogènes qui peuvent nous entourer et qui augmentent nos angoisses. En fait, c’est l’incertitude qui est insupportable. Il ne s’agit pas uniquement de la crise qui nous donne ce sentiment d’impuissance mais plutôt de notre manière de voir la crise et le sens qu’on lui donne par conséquent. Il faut aussi savoir donner un sens aux statistiques et aux chiffres qu’on reçoit sinon ils deviennent effrayants par eux-mêmes.

Comment se présentent les choses au Maroc ?

A ce stade là au Maroc, nous sommes en train de développer nos stratégies de coping et d’adaptation à la situation actuelle au fur et à mesure. Chacun de nous doit se poser les questions suivantes : «comment je peux me protéger dans cette situation? Comment protéger mes proches? Et je vais le faire». En somme, il faut s’occuper du problème plutôt que de s’en préoccuper.

Les autorités appellent à se conformer à l’isolement sanitaire. Ce confinement aura-t-il un impact psychique sur les personnes?

L’isolement sanitaire est très important à ce stade là au Maroc. Toutefois, comme dans chaque crise, il va y avoir une désorganisation et un déséquilibre (changement des habitudes, des repères spatiaux et temporelles..), viendra par la suite une étape de réorganisation et d’un nouvel équilibre.

La stigmatisation ou le sentiment d’être une personne à éviter pourrait être une des premières conséquences au confinement. Outre cette impression de rejet, un sentiment de culpabilité peut se déclencher notamment chez certaines personnes mises en quarantaine. La culpabilité surtout de ne pas avoir pris les mesures nécessaires et d’avoir pu potentiellement contaminer d’autres membres de leur entourage.

Selon vous comment peut-on investir cette période d’isolement  pour ne pas sombrer dans la monotonie et la déprime ?

Il faut tout d’abord accepter l’incertitude. Chacun contrôle à son échelle les précautions qu’il peut faire et arrêter de contrôler ce qui dépasse ses capacités. Essayons plutôt de nous connecter à ce qui a du sens pour nous, à ce qui compte dans notre vie, qu’il s’agisse de spiritualité, des relations avec les proches ou de la relation avec nous-mêmes. Avant toute chose, il convient de se protéger soi-même ainsi que son entourage en adoptant des gestes recommandés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Il faut apprendre à limiter les sources d’informations, choisir des sources fiables et officielles plutôt que de se laisser submerger par le flux de publications sur les réseaux sociaux ou les fake news. Il ne faut pas oublier, également, de prendre soin de soi, de profiter de ce temps pour se centrer sur soi même et surtout de continuer à vivre. Et au besoin, faire appel à l’aide d’un professionnel en santé mentale.

Comment peut-on expliquer cette situation aux enfants sans pour autant les inquiéter ?

Il est important d’adapter son discours aux enfants selon leur âge.  Pour les enfants en bas âge (moins de 3 ans), il suffit de leur expliquer les mesures de prévention simples (laver les mains, le moucher, etc.) en leur expliquant qu’elles le protégeront des maladies d’une manière générale.

Quant aux enfants âgés de 3 ans et plus, qui eux ont déjà entendu parler de la pandémie avant même l’interruption de l’école, le discours serait plus rationnel en commençant à expliquer ce qu’est un virus, ses modes de transmission, en évitant de donner trop de détails qui pourraient l’engendrer dans un état d’anxiété et de peur.

Quelles sont vos recommandations pour reprendre le rythme normal après cette période ?

Il ne faut pas sous estimer nos capacités de résilience. N’oubliez pas que vous êtes plus résistant que vous ne le pensez. Cela peut aider à atténuer votre anxiété.

La reprise du rythme normal se fera progressivement en gardant ses repères de la vie anté-Covid 19. 

C’est pourquoi il est important de garder ses rituels habituels durant cette période dans la mesure du possible, bien entendu. Notre esprit et corps est capable de se réadapter à un nouveau changement, en donnant de la valeur à certaines choses qu’on croyait acquises comme la santé, le temps, les liens familiaux, amicaux et professionnels. Mais aussi d’apprécier dans cette expérience l’importance de la solidarité, la proximité, la vie privée dont on est «privé» justement à cause de cet espace virtuel notamment les réseaux sociaux, qui au contraire peuvent  nous éloigner les uns des autres.

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