Société

Le banquet pétrolier de Saddam Husseïn

© D.R

Le régime déchu de Saddam Husseïn ne payait pas seulement de mots ses soutiens étrangers. Il savait les récompenser en barils de pétrole.
C’est ce qui ressort d’une liste publiée dimanche 25 janvier par le journal irakien “ Al Mada“ où figurent des personnalités de haut rang, des sociétés et des organismes de pas moins de cinquante et un pays soupçonnés d’avoir bénéficié de la générosité de l’ex-président irakien. Dès sa divulgation, cette affaire sulfureuse a suscité de la part des mis en cause des réactions d’indignation. Qui a crié au mensonge et au complot, qui a dénoncé une opération de manipulation… Au total quelque 262 supposés bénéficiaires.
Devant chacun d’eux est mentionné en millions de barils la quantité d’or noir réceptionnée. Le Maroc est présent sur cette liste noire à travers trois particuliers dont les noms ne sont pas inconnus. Il s’agit de Abdallah Slaoui (7,5 millions de baril), fondateur du magazine «Masculin». Celui-ci n’est autre que le fils de feu Driss Slaoui l’ex-conseiller du Roi défunt, Hassan II. Contacté par nos soins, M. Slaoui a réagi de manière succincte: “j’ai visité l’Irak. Mais je ne sais pas de quoi il s’agit là. Je trouve cette histoire bizarre“. Le deuxième homme est une personnalité très connue du paysage politique national qui avait acquis ses titres de noblesse dans la résistance avant de vouloir fomenter la révolution au Maroc : Mohamed Fkih Basri (4,5 millions de baril), décédé il y a quelques mois. L’intéressé était par ailleurs connu pour ses relations étroites avec toutes les figures se réclamant du nationalisme arabe y compris celles du régime du Baas irakien.
Le troisième individu compte également parmi les grands militants de la résistance marocaine. Il s’agit de Nadel Hachemi (5,7 millions de barils). Octogénaire, il s’est converti dans les affaires en créant une société du nom de Somifia établie à Casablanca, spécialisée dans l’export de divers produits finis (chaussures, denrées alimentaires, vêtements…) vers les pays arabes notamment. Parmi ses clients figure en bonne place l’Irak de Saddam Husseïn où M. Hachemi a ses entrées. Cependant, cette entreprise de négoce, à l’instar de beaucoup de sociétés dans le monde, a récolté des impayés considérables pour cause de la première guerre du Golfe en 1991. Interrogé à ce sujet par ALM, Nadel Hachemi a déclaré “ n’avoir pas reçu de pétrole du régime irakien qui lui est au contraire redevable de 20 millions de dollars au titre des marchandises exportées par sa société depuis 1988“. Il ajoute : “Je suis plutôt victime de l’Irak. C’est un responsable de ce pays du nom de Kanbari qui a monté cette histoire de toutes pièces. Je peux vous assurer que je n’ai rien à voir avec le pétrole de Saddam. J’attends toujours l’intervention des autorités marocaines pour m’aider à récupérer mon dû auprès de l’État irakien“.
Cette liste a fait scandale. Elle comporte des noms prestigieux à travers le monde. En France, 11 personnes sont pointées du doigt dont l’ex-ministre de l’Intérieur, Charles Pasqua, (12 millions de baril) et l’ancien ambassadeur de France à Rome et à l’ONU, Bernard Mérimée, (3 millions de baril). En Palestine, c’est Abou Abbas (11,5 millions de baril) et le département politique de l’OLP (5 millions de baril) qui sont mis en cause. Les enfants de personnalités politiques arabes et occidentales sont mentionnés : le fils du ministre syrien de la Défense, le fils de l’ex-président égyptien Gamal Abdenasser et le fils du président du Liban, Émile Lahoud. Le Premier ministre de l’Indonésie, Mégawati (2 millions de baril) et l’ultranationaliste russe, Vladimir Jirinovski (79,2 millions de baril) ont eux aussi été récompensés en pétrole.
Cette gigantesque toile de prébendes pétrolières a été tissée aux quatre coins du monde par Saddam Husseïn lui-même à travers la Somo, l’Organisation de marketing du pétrole de l’État. C’est par le truchement de cette société qui contrôlait la rente pétrolière du pays que le régime irakien achetaient les amitiés hauts placées dans tel ou tel pays. Le système fonctionnait à merveille sous différentes formes. Il y a d’abord le fameux programme “Pétrole contre nourriture“ entré en vigueur en 1996. Les fonds générés par le pétrole irakien sont domiciliés dans un compte spécial géré par les Nations-Unies pour éviter que le régime de Saddam n’utilise le produit des ventes pour acheter des armes. Ce compte sous tutelle de l’ONU servait à payer les fournisseurs des denrées alimentaires. Ces derniers avaient cependant toute altitude de négocier directement les prix avec le gouvernement irakien. Ce qui laissait la porte ouverte à des pratiques comme la surfacturation. Par entente directe, les deux parties s’arrangent pour augmenter les tarifs officiels d’une marge de 10% ou 15%.
Le montant de ces dessous-de-table en espèces transite ensuite sur un compte officiel du régime irakien. Autre procédé pour contourner l’embargo imposé à l’Irak était de réexporter dans le cadre du même programme des matières premières destinées initialement au marché local.
Ces opérations de revente permettent de dégager des marges bénéficiaires aux sociétés de commerces locales qui sont contrôlées par les dignitaires du parti au pouvoir ou par leurs enfants. Un autre moyen pour tromper la vigilance de l’ONU réside dans le recours à des intermédiaires locaux politiquement puissants étant donne qu’il est interdit de faire des affaires avec le gouvernement irakien, embargo oblige.
Les sociétés jugées amies désireuses de s’approvisionner en pétrole de contrebande à bas prix signent donc des contrats avec eux. Une fois que la cargaison de pétrole arrive au port du pays acquéreur, on falsifie le “certificat d’origine“, ce qui permet de l’écouler ensuite sur le marché international au prix fort. Tout porte à croire que le programme “pétrole contre nourriture“ a donné lieu à un gigantesque et juteux commerce où l’ensemble des protagonistes se sucrait au passage.
La SOMO a rivalisé d’astuces et de subterfuges pour casser l’embargo et arriver à soudoyer les uns et les autres. Certains témoignages d’anciens membres du Bass irakien font état d’un système de remise directe d’un bon permettant à son titulaire de bénéficier d’une quantité de pétrole soit à l’oeil soit à tarif réduit. Or, cette liste faisant partie des archives de la SOMO, dont l’authenticité a été confirmée par les responsables du journal irakien «Al Mada», ne concerne que l’année 1999. Ce qui laisse supposer l’existence d’autres documents de la même eau pour des années précédentes ou ultérieures avec des noms de personnalités qui ont été invitées au banquet pétrolier de Saddam Husseïn. Des révélations en perspective. Le sentiment laissé par ce scandale politico-financier chez les Irakiens est que leur ex-président déchu a dilapidé les richesses du pays sous forme de corruptions distribuées aux soutiens et amis étrangers d’un régime sanguinaire.

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