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Le confinement bouleverse les habitudes des ménages

© D.R

«Au début cela n’a été facile pour personne, mais nous étions convaincus par cette décision parce que c’est la seule façon de sauver notre pays de ce virus mortel qui se propage facilement entre les gens».

Depuis le 20 mars 2020, la population marocaine, comme la plupart des pays à travers le monde, a été placée sous confinement afin de limiter la propagation de coronavirus. Le changement des habitudes, en l’occurrence de consommation, ne s’est donc pas fait attendre.

De même, la gestion de la crise sanitaire par les familles, leurs rythmes de vie, leurs rapports familiaux, sont tout autant de détails qui ont été radicalement bouleversés à cause de la mise en quarantaine du pays. Néanmoins, la plupart des personnes sont parvenues à s’adapter à travers des moyens aussi divers que variés.

C’est dans cette perspective que nous avons recueilli les avis de plusieurs familles marocaines pour savoir comment elles ont fait pour s’acclimater à ce nouveau mode de vie.

L’étude qualitative a été menée, dans le cadre d’une recherche à l’Université Hassan II, FSJES, Casablanca, par Hanane DRIOUICH enseignante en Marketing et les étudiants du Master Marketing Promotion 10 Formation Initiale et Continue sous la direction du Professeur et directeur du master Abdellatif SADIKI.
Des entretiens semi-directifs d’une durée qui varie entre 45 et 120 minutes ont été réalisés en face-à-face auprès des familles interrogées.

Le confinement : un mal nécessaire

A l’annonce du confinement au Maroc, la plupart des familles n’ont pas accueilli la nouvelle à bras ouverts. Au contraire, il était parfois difficile d’accepter un changement aussi violent que brusque. Un père de famille interrogé lors de l’enquête a admis en ce sens qu’«il était difficile d’accepter le confinement au début, parce qu’on n’était pas habitué psychologiquement à rester à la maison tout le temps, mais petit à petit on s’est habitué à nous organiser pour respecter les règles de ce confinement et pour satisfaire les besoins de la maison. De toutes les façons nous n’avions pas d’autres choix». Un manque de choix qui, néanmoins, a pu être justifié par les médias au préalable afin que la population accepte plus facilement la situation. «Nous étions convaincus par cette décision grâce aux médias. Ils ont joué un rôle très important puisqu’ils nous ont expliqué le danger de ce virus et comment les gens peuvent facilement être contaminés», souligne un père de famille.

Son épouse, également, consciente de l’importance du confinement, a rappelé qu’«au début cela n’a été facile pour personne, mais nous étions convaincus par cette décision parce que c’est la seule façon de sauver notre pays de ce virus mortel qui se propage facilement entre les gens».
A la fois rassurées et sous la contrainte, les familles marocaines ont pourtant su se préparer à cette annonce si radicale en se procurant les produits qui, pour elles, sont de première nécessité. C’est ainsi qu’une mère de famille a préféré opter pour les produits les plus élémentaires à la vie «en premier, nous avons acheté les antiseptiques pour nous protéger du risque de contamination, les médicaments dont on aura besoin pendant cette période, et bien sûr nous nous sommes approvisionnés de tous les genres de produits alimentaires nécessaires pour la vie quotidienne : eau, lait, viande, etc.». Son époux a même avoué que «l’annonce de confinement a provoqué une panique (…) Au début nous nous sommes dit qu’il pourrait y avoir une rupture de stock dans les supermarchés. Alors, on s’est dépêché pour nous approvisionner (…)». Certaines familles ont même décidé d’acheter des produits en grande quantité, comme c’est le cas de cette femme qui, en pensant que les supermarchés allaient fermer leurs portes, a décidé de prendre un maximum de précautions. «J’ai acheté plusieurs produits en grande quantité dont la farine, l’huile de table, les pâtes, les féculents, etc. mais quand j’ai appris que les grandes surfaces allaient rester ouvertes et que rien n’allait changer on a repris nos habitudes d’antan».

Une autorisation de sortie utilisée avec prudence

L’autorisation de sortie a pour objectif de limiter les va-et-vient de la population et ainsi réduire les risques de contamination. En général, il n’y a qu’une personne par famille qui la possède. C’est le cas de cette femme qui a préféré laisser à son mari le papier lui permettant de sortir faire les cours. Cette décision repose sur plusieurs critères. Selon le père de famille, «j’ai l’habitude de faire les courses, donc automatiquement j’ai pris l’autorisation de sortie». Cependant, l’épouse ne manque pas de lui faire rappeler certains détails. «Je lui fais une liste détaillée des produits à acheter. Je mentionne donc la marque ou encore les produits de substitution si jamais il ne trouve pas le produit en question. Parfois j’ai recours aussi à des captures d’écran afin qu’il achète le bon produit», a-t-elle affirmé. Toutefois, il arrive, en cas de véritable besoin, que plusieurs membres d’une même famille aient cette autorisation de sortie. En effet, cet homme affirme, par exemple, qu’il n’est pas le seul à disposer de l’autorisation. La raison ? «Nous possédons deux autorisations. Une pour moi, je l’utilise pour faire les courses de la maison et une pour ma conjointe qui l’utilise pour aller faire ses contrôles chez le médecin parce que c’est obligatoire. En ce qui concerne le choix, nous avons eu une discussion familiale et nous avons décidé que c’était mieux pour nous tous que ça soit moi qui sort faire les courses». D’autant plus que cet homme tend à respecter toutes les règles d’hygiène afin de se protéger contre une éventuelle contamination, et protéger ainsi les membres de sa famille.

L’impact du confinement sur les habitudes d’achat

Les habitudes de consommation ont été chamboulées pour maintes familles à cause de la pandémie du Covid-19. Avant la crise sanitaire, la liberté de consommation était naturellement plus présente qu’aujourd’hui. Elle n’était aucunement considérée comme une préoccupation.
«Avant l’épidémie j’étais libre d’effectuer les courses quand et où je voulais», a avoué un père de famille. D’autre part, une femme a confié, quant à elle, qu’elle avait l’habitude de «faire une liste de courses chaque semaine et une personne de la famille s’occupait d’acheter les produits». Son époux a ajouté que «les achats avant confinement se faisaient en fonction des besoins de la maison, c’est-à-dire à chaque fois où il n’y avait plus un aliment à la maison nous préparions la liste des courses». De même, avant le confinement, les produits étaient achetés dans divers endroits. C’est ainsi qu’un père de famille avait un choix très varié pour faire ses courses. «Normalement on établit une liste de nos besoins et ensuite nos achats se font dans les zones les plus proches de la maison, comme les supermarchés, souks, ou épiceries. Généralement je pars tout seule faire mes courses et je ne trouve aucune difficulté à les faire», a-t-il confié.
Désormais, les habitudes d’achat sont bouleversées. Les raisons comprennent d’une part le couvre-feu instauré par l’Etat marocain, la fermeture des souks, le risque de contamination en sortant, etc. «Aujourd’hui tout est perturbé, je suis obligé de choisir soigneusement les horaires auxquels je dois faire mes courses pour éviter de me mêler à la foule et préserver la distanciation sociale. À part cela, je peux dire que j’achète plus de produits et aliments sains pour renforcer le système immunitaire», a affirmé un père de famille interrogé. D’autre part, une femme admet que, «en période de confinement, et pour ne pas sortir plusieurs fois, côtoyer plusieurs lieux, et éviter le contact avec les gens de l’extérieur, on essaye de faire les courses une fois par 2 semaines uniquement». Cependant, malgré une consommation fréquente, les achats ont stagné pour cet homme qui estime que «la quantité de nos achats est maintenue inchangée car nos besoins sont identiques». Par contre, pour d’autres familles, la consommation a augmenté. C’est le cas de cette mère qui avoue que son rythme d’achat a augmenté. «Avant, on se réunissait pour un seul repas qui était le dîner. Maintenant on mange tous les repas à la maison».

Une famille toute réunie et une nouvelle organisation qui s’impose

A priori, certaines familles craignaient la cohabitation intergénérationnelle continuelle. Donc une organisation et une séparation des tâches au sein du foyer se sont installées pour fluidifier leurs quotidiens. Généralement, la «couronne» de la cuisine est gardée par les mamans de la famille sauf qu’une aide des autres membres fait de plus en plus apparition. Les premiers participants aux tâches ménagères sont les filles, «Depuis l’annonce de l’arrêt des cours j’ai demandé à ma fille de partager toutes les tâches ménagères et même la préparation des repas, comme ça j’ai plus de temps pour faire autre chose que la corvée», nous annonce Khadija, mère de famille.

Les hommes de la famille n’ont pas manqué eux aussi à la participation à ces tâches mais ceci est considéré comme une aide de leur part, un événement exceptionnel qui crée une satisfaction chez ces mamans surtout que la gestion des tâches ménagères devient petit à petit une collaboration générale. «Ça me fait du bien de voir tout le monde s’activer dans la maison… Ça me permet d’avoir plus de temps pour moi, j’espère que ça restera comme ça après le confinement aussi», déclare cette mère de famille âgée de 48 ans.
Quant aux courses, elles sont devenues un événement qui nécessite une préparation et une organisation au préalable.

La personne qui faisait les courses avant continue à les faire lors du confinement suite sauf dans certains cas où cette même personne est une personne vulnérable. La préparation des courses se fait par la mère vu que c’est la personne qui s’occupe de la cuisine mais une collecte des besoins des autres habitants des foyers est aussi enregistrée sur une liste des courses. Au retour de ce «combat» pour limiter les risques de contamination, toutes les familles procèdent à un lavage et une désinfection des courses et des habits de la personne qui est sortie… Cette peur de la contamination augmente les comportements maniaques de certaines personnes et ce sont eux qui insistent pour la prise en charge de cette mission : «Déjà que ma mère était maniaque de base donc maintenant avec ce virus elle devient trois fois plus maniaque qu’avant, elle passe son temps à tout nettoyer».

Besoin de diversité pour moins de faste

Pour gérer le temps libre, les familles marocaines ne se limitent pas aux courses et tâches ménagères, c’est aussi une occasion pour faire de nouveaux apprentissages, se recentrer sur les priorités de chacun et surtout une chance pour redécouvrir et se rapprocher de sa petite famille.
La technologie facilite l’accès de tout le monde à de nouveaux apprentissages dans différents domaines. Les forums, sites de langues, réseaux sociaux proposent tous des programmes gratuits de sport, danse, langues, cuisine et même de mini-formations auxquelles le peuple mord à pleines dents lors de ce temps libre. «Je suis des forums en ligne pour apprendre de nouvelles choses», dit le père de l’une de nos familles interrogées.

Alors que d’habitude les parents passent leurs journées entre le travail et les tâches ménagères et les enfants dans leurs écoles, toutes ces familles n’avaient le temps ni pour eux-mêmes ni pour donner priorité à ce dont ils ont envie. Aujourd’hui, on observe des familles pour qui ce confinement est l’occasion de s’accorder un moment. Pendant plusieurs semaines, toutes les activités d’il y a quelques mois sont mises à l’arrêt et notre liberté aussi et cela peut être mal vécu si des moyens de divertissement en fonction de ce que chacun aime ne sont pas mis en place.

Les familles marocaines font preuve d’une grande capacité d’adaptation à la situation actuelle, les activités faites par ces familles sont multiples : activités sportives, activités religieuses, visionnage de films et séries, lecture … L’humain de nature a également un besoin de maintenir des liens sociaux, ce qui est compliqué pendant le confinement, il a donc recours à une certaine homéostasie pour retrouver un équilibre entre ce besoin et les contraintes de la situation. Le meilleur moyen pour cet équilibre est la communication via les réseaux sociaux, qui propose la possibilité d’échanger de vive voix mais aussi en se voyant.

Lors du confinement des rapprochements familiaux sont inévitables, grâce au partage des tâches ménagères, les jeux en famille… Ce huis clos offre une occasion de belles discussions et crée des moments de complicité entre membres de famille. Chacun a appris de prendre sur soi et faire preuve d’écoute et compréhension pour retrouver un terrain d’entente et une cohabitation fructueuse.

Les familles marocaines et le e-learning :

Suite à cette épidémie le Maroc a été exposé à un nouveau challenge comme la grande majorité des pays, qui ont été dans l’obligation de fermer les écoles et universités pour mieux gérer la propagation du virus et faire recours à un enseignement à distance. Pendant que 1,6 milliard d’étudiants ont abandonné leurs cours dans 161 pays, “selon un rapport de l’Unesco et Scientific American”, le Maroc devait faire face à ces changements brutaux malgré qu’on souffre de carences dans notre système éducatif, en se classant 121ème en décembre 2019 dans le développement du secteur de l’éducation mondialement.
Le ministère de l’éducation nationale de la formation professionnelle, de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique a créé des plateformes d’apprentissage en ligne pour faciliter l’accès aux cours. Effectivement, chez l’ensemble des familles interrogées, les enfants suivent leurs cours en ligne.
Ces enfants ont dû également faire face à ce changement auquel ils ne s’y attendaient pas. Le e-learning était de la science-fiction pour nos jeunes et le sujet n’était pas pris au sérieux. «Au début, ils ne prenaient pas ça trop au sérieux mais à un moment donné, ils étaient obligés de s’engager», nous confirme la maman d’une de ces familles.
Conscients du manque de ressources et de l’insuffisance des moyens numériques, nous nous demandons si les dispositifs mis en place sont suffisants pour une année scolaire réussie. «Elle suit ses cours à distance, mais pour moi cela n’est pas bénéfique à 100% comme à la classe», explique le père d’une étudiante.
Pour certains, l’accès aux cours était fluide, mais encore une fois nous faisons face à une inégalité scolaire alarmante. Les étudiants en ville, dont les moyens permettent d’avoir des cours en ligne directe avec les professeurs ne se plaignent pas trop, des visioconférences sont mis à leur service pour un apprentissage comme en classe.

Mais pour certains, chaque connexion et chaque heure de cours est une épreuve. «Il y a aussi un autre inconvénient qui est celui du wifi : puisque ma fille suit ses cours à distance elle a toujours besoin d’une connexion internet pour rester à jour», ajoute ce père confiné dans une zone rurale. Les infrastructures internet sur le territoire ne donnent pas accès à cet avantage pour l’ensemble de notre peuple et encore moins dans les zones rurales, ce qui complique la réussite de ce projet e-learning.
Le confinement a donc certes permis à nos familles de revoir leurs modes de vie, mais aussi de pousser la réflexion à la réforme du secteur de l’éducation. La pandémie est peut-être une porte vers un avenir meilleur, un avenir où l’émancipation est retrouvée chez toute personne, un avenir où l’égalité homme et femme dans la gestion des tâches ménagères est générale, un avenir où la complicité familiale trône et un avenir où nos méthodologies éducatives sont dépoussiérées de manière à ce qu’ils suivent le développement culturel et technologique que connaît le monde.

Par Hanane DRIOUICH

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