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Le dividende démographique : Levier d’accélération de la croissance au Maroc

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La revue des politiques et des réformes à mettre en œuvre pour tirer profit du dividende démographique montre l’importance pour le Maroc de disposer d’une vision intégrée du développement humain.

Par El Hassan El Mansouri (*)

L’exploration de l’interaction entre la démographie, l’économie et le social constitue une piste de réflexion sérieuse entreprise par l’Observatoire national du développement humain (ONDH) qui permet d’approcher les contraintes et les enjeux du développement humain.

Cette réflexion sur le dividende démographique revêt une importance stratégique pour le Maroc, qui se trouve en phase d’achever sa transition démographique. Cette démarche permet d’évaluer les opportunités de l’aubaine démographique sur la création de la richesse et le bien-être de la population, mais aussi mettre en exergue les défis liés notamment au vieillissement de la population, aux mutations des valeurs de la société, aux pressions sur les ressources naturelles, etc.

L’étude réalisée par l’ONDH, en utilisant des outils d’évaluation qualitative et quantitative les plus appropriés, s’inscrit bien évidemment dans le cadre de l’appel de Sa Majesté le Roi à toutes les forces vives à réfléchir sur l’élaboration d’un nouveau modèle de développement pour le Maroc. Un modèle qui devra, entre autres, tenir compte des implications multidimensionnelles de la variable démographique.

Les différents scénarios élaborés à l’horizon 2050 de l’évolution démographique ont permis de questionner l’efficacité des politiques publiques actuelles, en particulier dans les domaines de l’éducation, de la santé et de l’emploi au profit des jeunes, de nature à favoriser le dividende démographique. L’objectif de prendre en considération la variable démographique est d’anticiper des réformes à mettre en œuvre pour la réalisation d’un développement inclusif.

L’approche méthodologique utilisée dans cette étude a permis d’examiner comment la transition démographique a pu générer un dividende démographique et ce depuis 1960, en se basant sur des outils d’analyse complémentaires qui consistent en :

Une mesure de l’impact du premier dividende démographique, une analyse de benchmark (par rapport  à certains pays qui ont su profiter ou non de leur dividende démographique), une analyse prospective (différents scénarios explorés à l’horizon 2050), une modélisation des effets du dividende (s’inspirant des modèles déjà utilisés tel le modèle DemDiv), une analyse des politiques publiques et des stratégies sectorielles pour évaluer leurs contenus implicites en renfort du dividende démographique, leurs cohérences, leurs faisabilités et d’avertir les responsables sur les priorités de développement à long terme.

Cette étude, la première du genre au Maroc, a permis dans une première partie de donner autant que possible et malgré certaines limitations de données, l’état de la question, en analysant tout d’abord l’historique démographique depuis 1960, date du premier recensement de l’après-Indépendance à nos jours.

Au Maroc, dont la baisse de la fécondité fut précoce en comparaison avec les pays arabes et africains, le premier dividende démographique a émergé au milieu des années 1970. Toujours sur sa lancée, il ne commencera à s’essouffler que lorsque le vieillissement démographique sera significatif.

Globalement les tendances démographiques se caractérisent par :

• Une augmentation rapide de l’espérance de vie à la naissance, passée de 49,8 à 76,7 ans chez les femmes et de 47,2 à 74,3 ans pour les hommes entre 1960 et 2015 ;

• Un enfant sur cinq mourait avant d’atteindre l’âge de 5 ans dans les années 1960. Aujourd’hui, cette mortalité a baissé des neuf dixième, mais reste, cependant, assez élevée comparée à celle des pays avancés ;

• La forte baisse de la mortalité a accompagné sinon favorisé une diminution accélérée de la fécondité dont l’indice synthétique est tombé de 7,2 enfants par femme en 1962 à 2,21 en 2014 ;

• La croissance de la population marocaine a été marquée par une forte diminution du taux d’accroissement naturel, de plus de 3% dans les années 1960 à près de la moitié de cette valeur aujourd’hui (1,5%).

L’impact du premier dividende démographique

Cette dynamique démographique a entraîné un changement de structure de la population, avec un impact certain sur les performances économiques et sociales, mais des effets importants, culturels et politiques notamment en ont certainement résulté.

Sur le plan économique, le dividende démographique est approché par le surplus de croissance économique qui pourrait résulter des changements de la structure par âge de la population. Théoriquement grâce à ces changements dans la distribution par âge, moins d’investissements sont requis pour satisfaire les besoins des groupes d’âge les plus jeunes ; des ressources sont ainsi libérées. La population active va croître plus vite que celle qui en dépend, ouvrant ainsi une fenêtre d’opportunité pour une croissance économique plus rapide et l’amélioration du bien-être familial.

Pour approcher empiriquement ces implications, la structure de la population active occupée par groupe d’âge entre 1960 et 2014 a été utilisée pour calculer le ratio de soutien défini comme le rapport entre la population active occupée et les effectifs des consommateurs.

Ainsi, le premier dividende démographique défini comme l’augmentation relative du ratio de support d’une date à la précédente est marqué par des hauts et des bas. Il a d’abord été négatif entre 1960 et 1971 (-0,52%), est devenu positif et a progressé depuis entre 1971 et 2014, avec une stagnation en fin de période.

En dépit de l’évolution positive depuis 1971 jusqu’en 2014, qui tient à l’augmentation de la population active occupée en particulier celle des femmes, les progrès économiques réalisés restent en deçà des attentes. La croissance économique entre 1960 et 2014 a connu des hauts et des bas et le niveau moyen sur toute la période n’était pas suffisant pour rattraper les pays émergents de l’Asie et certains pays de l’Amérique du sud.

La comparaison entre la croissance du PIB et celle du premier dividende démographique a montré que la forte croissance du PIB per capita a pu correspondre à un dividende démographique négatif et, en revanche, c’est lorsque le dividende démographique s’est le plus accru, en 1994-2004 que la croissance du PIB per capita a été la plus faible.

En fait, l’effet limité sur la croissance économique montre que le dividende démographique n’est pas automatique. Il dépend de la qualité des institutions et de la capacité de l’économie à accumuler du capital physique et humain mais aussi d’absorber la population potentiellement active dans l’emploi productif.

Les perspectives du premier dividende démographique

Pour apprécier le dividende démographique dans les prochaines années, voire à l’horizon 2050, il fallait élaborer des scénarios pour discuter des marges de manœuvre du Maroc, afin d’accélérer son développement. Ces scénarios se basent sur des perspectives vraisemblables de population par âge et sexe. L’objectif étant d’apprécier l’apport potentiel de la démographie à la création de la richesse dans l’avenir. 

Selon les prévisions du CERED (Centre d’études et de recherches démographiques, HCP) , la population d’âge actif dans les prochaines années passerait de 24,6 millions en 2015 à 35,8 millions en 2050, c’est-à-dire une évolution à un taux d’accroissement annuel moyen de 1,07%, largement supérieur à celui de la population totale (0,70%), ce qui est de bon augure en faveur du premier dividende démographique.

Trois scénarios sont élaborés sur la base des hypothèses faites sur le taux d’activité et le taux de chômage à l’horizon 2050 :

Le premier scénario, hypothèse volontariste, est basé sur un maintien des taux d’activité des hommes âgés de 25 ans et plus à leurs niveaux actuels surtout chez les jeunes, d’une augmentation des taux d’activité des femmes âgées de 25 ans et plus pour tous les groupes d’âge et sur une réduction du chômage.

Sur la base de ces hypothèses, le ratio de support atteindrait 0,426 en 2050, soit un accroissement annuel de 0,63% qui n’est pas très élevé, malgré la transition de la fécondité, la hausse de l’emploi féminin et la baisse du chômage. Il y aurait donc lieu de prévoir des scénarios où d’autres mesures pourraient stimuler le dividende démographique.

Le deuxième scénario est basé en plus des hypothèses du premier scénario d’une augmentation de l’activité des personnes âgées. En effet, cette tendance est confortée par l’allongement de l’espérance de vie, de l’espérance de vie en bonne santé, notamment avec le passage des activités agricoles ou industrielles au secteur des services, en raison, entre autres, de la hausse du niveau d’éducation.

Selon cette hypothèse, la population active occupée passerait de 11,9 millions en 2015 à 20,7 millions en 2050. Cette augmentation sera réelle mais pas considérable, puisque les seniors ne représentent qu’une part modeste de la population. Néanmoins, le ratio de support, en vertu de cette hypothèse, atteindrait 0,486, soit 14% de plus que dans l’hypothèse précédente, ce qui n’est pas négligeable.

Le troisième scénario est basé sur la tendance probable de la fécondité. D’emblée, un scénario de hausse de la fécondité à l’instar de ce qui s’est passé dans quelques pays arabes et maghrébins semble difficilement concevable.

Plus réaliste que la hausse de la fécondité serait l’hypothèse d’une baisse moins vigoureuse, telle qu’elle ressort de la variante haute des projections du HCP. Ainsi, l’indice de fécondité selon ce scénario ne diminuerait que très peu passant de 2,21 à 2,09 en 2050, soit au seuil de reproduction des générations.

Dans ce scénario la population en âge d’activité passerait de 24,6 à 36,6 millions pour la période étudiée. Si on retient les mêmes hypothèses, sur l’évolution des taux d’activité masculin et féminin et sur les taux de chômage, le ratio de support connaîtrait une légère amélioration pour passer de 0,324 en 2015 à 0,414 en 2050.

Les recommandations de l’étude

Cette étude a révélé que le premier dividende démographique peut constituer une opportunité en perspective, pour promouvoir la croissance économique et le développement au Maroc.

La clé d’entrée réside dans l’amélioration de l’activité des femmes qui reste relativement faible (22% en 2017).

La création d’emplois productifs pour les jeunes est une priorité pressante pour préserver les équilibres économiques et politiques du pays.

Aussi, faut-il investir dans une éducation de qualité, particulièrement pour les filles et les populations vulnérables, œuvrer pour une meilleure adéquation formation-emploi, mettre en place des politiques en mesure d’améliorer l’employabilité et l’entrepreneuriat des jeunes, éliminer la pauvreté et réduire les inégalités, instaurer les règles d’une bonne gouvernance inclusive, promouvoir des pratiques de recrutement non-discriminantives envers les femmes, répondre aux besoins des jeunes en matière de santé mentale, sexuelle et reproductive, éliminer la violence fondée sur le genre et prohiber le mariage des mineurs, impliquer les jeunes dans la décision et dans les programmes engagés pour répondre à leurs besoins.

Par ailleurs, si le vieillissement de la population marocaine n’est pas encore un phénomène très marquant, la rapidité de la transition démographique en fera un problème dans les trois prochaines décennies. Mais le vieillissement démographique n’est pas qu’une évolution néfaste. Dans son sillage, se profile un second dividende démographique qu’il conviendrait de mettre à profit dans l’intérêt économique du pays.

La revue des politiques et des réformes à mettre en œuvre pour tirer profit du dividende démographique montre l’importance pour le Maroc de disposer d’une vision intégrée du développement humain.

Une large coordination s’avère nécessaire entre les différentes politiques et interventions, particulièrement les politiques publiques en faveur des jeunes qui connaissent une fragmentation et un manque de concertation des acteurs, ce qui limite leur faisabilité et leur efficacité.

Les politiques discutées dans cette étude ne devraient pas ignorer le contexte économique, social et politique dans la conduite des réformes et des changements souhaités. La question de la stabilité macroéconomique, les besoins en termes de financement, le soutien de l’innovation sont autant de défis à considérer par les décideurs s’ils veulent réussir, à l’instar des pays émergents, le pari de la transition démographique.

Pour faire rentrer le pays dans une nouvelle étape de son développement, lui permettant de rattraper les pays émergents, le Maroc aura besoin de maintenir un programme de réformes ambitieux, capable de soutenir la croissance, la stabilité et l’équité.

L’aboutissement des réformes est également lié au développement des différentes formes de participation citoyenne, notamment la participation à l’action publique. Surtout celle des jeunes et des femmes.

Dans ce cadre, les pratiques de l’évaluation devraient être renforcées, devenir plus régulières et indépendantes.

(*)  SG de l’ONDH

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