Société

«Le Maroc peut abolir la peine capitale»

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ALM : Le 10 octobre marque la journée mondiale de l’abolition de la peine de mort. Le Comité national contre la peine de mort prévoit-il des activités de sensibilisation dans ce sens ?
Youssef Madad : Depuis l’année 2003, la célébration du 10 octobre en tant que Journée mondiale contre la peine de mort est une occasion pour appeler les citoyens et les organisations attachés à l’abolition universelle de la peine de mort, à organiser le même jour de chaque année des centaines d’initiatives locales, dans le monde entier : débats, manifestations. Initiées de manière décentralisée et locale, ces initiatives donnent une portée élargie et internationale à la revendication de l’abolition de la peine capitale. La journée s’adresse autant aux opinions publiques, aux dirigeants des pays qui n’ont pas encore aboli la peine capitale qu’à ceux qui l’ont fait, en étant convaincus que le sens de l’abolition et d’une justice sans peine de mort doit être transmis et entretenu constammen, notamment auprès des jeunes générations.

Quel est le nombre de condamnés à la peine de mort depuis l’indépendance du Maroc jusqu’aujourd’hui ?
Selon le ministère de la Justice, de l’indépendance à 1994, le nombre de condamnés à mort s’est élevé à 198. En 1994, une grâce générale avait excepté treize condamnés.
Au Maroc, il n’y a pas eu d’exécutions entre janvier 1982 et août 1993. A retenir selon des sources officielles, qu’en 1999, il y avait au Maroc 75 condamnés à mort dont une femme. A la date du 30 décembre 2003, 149 condamnés se trouvaient toujours, en attente dans les couloirs de la mort.
Fait paradoxal, le Maroc est un pays abolitionniste de fait depuis 1993 (la dernière exécution remonte à cette date), toutefois, les sentences de mort sont encore prononcées, ce qui rallonge la liste de celles et ceux qui attendent leur exécution. Au lendemain des attentats du 16 mai 2003, il y a eu normalisation de la peine capitale.

Quel est le nombre de condamnés à mort qui n’ont pas encore été exécutés ?
Officiellement, le nombre des personnes condamnées à mort est de 127 dont sept femmes. Au cours de cette année, il y a eu deux condamnations à mort.

Dans le code pénal marocain, combien d’infractions sont-elles passibles de la peine de mort ?
Sur le plan législatif, le Maroc a signé, le 19 janvier 1977, le traité sur les droits économiques, sociaux et culturels. Le 3 mai 1979, il l’a ratifié.
Cependant, il n’a toujours pas signé le deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort
Le code pénal marocain de 1962 et le code pénal militaire de 1956 n’ont pas connu de changements relatifs à la question de la peine de mort durant les quatre dernières décennies.
La multitude des crimes passibles de la peine de mort dans ces codes est inquiétante à plusieurs égards. Selon une étude du Maître Abdellah El Oulladi, l’ensemble des crimes passibles de la peine de mort dans le code pénal marocain est de 563. Si on rajoute ceux du code pénal militaire, ceux de la nouvelle loi anti-terroriste et ceux relatifs aux crimes de participation, ou d’association, on aboutit à 1176.
On retient que la récente loi n°03-03 du 28 mai 2003 relative à la lutte contre le terrorisme, a rallongé la liste des crimes passibles de la peine de mort. Ce qui est contraire aux principes des traités qui appellent les pays qui n’ont pas encore aboli la peine de mort, à réduire les infractions  passibles de la peine de mort en vue de son abolition, et de limiter l’application de cette peine aux crimes les plus graves, comme l’exige l’article 6 du pacte.
 
Qu’est-ce que le comité a entrepris comme actions depuis sa création pour sensibiliser le gouvernement à approuver le deuxième protocole facultatif ?
Depuis sa création en 2003, le Comité national contre la peine de mort, composé de sept associations, a entrepris plusieurs actions pour sensibiliser l’opinion publique et le gouvernement marocain.
Conscients de la dimension universelle du combat contre la peine de mort, nous avons tenu à siéger dans le comité de pilotage de la Coalition mondiale contre la peine de mort. Le comité était parmi les intervenants lors du 2ème congrès mondial contre la peine de mort tenu du 7 au 1er à octobre 2004 à Montréal et nous avons pu organiser la deuxième assemblée générale de la coalition mondiale à Casablanca le mois de juin dernier.
Mais malgré toutes ces percées, nous devons reconnaître que le débat sur la question de la peine de mort n’a pas encore gagné en maturité politique. Nous nous étions engagés à œuvrer pour sensibiliser l’opinion publique sur cette question, mais il faut reconnaître que nous sommes encore à la traîne, surtout que les conditions locales sont largement favorables : la dernière conférence sur la politique pénale tenue à Meknès a consacré la position courageuse et noble du Maroc d’aller graduellement vers l’abolition finale de la peine de mort. Le choix du Maroc pour l’organisation de la troisième assemblée générale de la Coalition mondiale contre la peine de mort est porteur de plusieurs symboles. Cela fait du Maroc un pays initiateur de réformes dans la région, rôle qu’il faut conforter par un travail laborieux dont le lancement a eu lieu lors de la conférence internationale organisée à Casablanca le 10 octobre 2003. En cette occasion, il y a eu mobilisation d’un groupe d’associations de défense des droits de l’Homme sur cette question, sans que cette mobilisation ne réussisse à rehausser le niveau du débat. La cause est à rechercher peut-être dans l’excès de militantisme. Afin de reconduire ce débat, le 3ème congrès mondial qui se tiendra à Paris le 3 février 2007, consacrera une bonne partie de ses travaux au monde arabo-musulman. La langue arabe sera une langue officielle du congrès. Susciter ce débat est aujourd’hui primordial pour consolider les projets de réforme pénale dans le monde  arabe.

Y a-t-il un véritable débat sur le sujet ?
Le débat sur la peine capitale semble aujourd’hui heurter un ensemble de perceptions qu’il serait utile de clarifier.
Le fait de revendiquer l’universalité des droits de l’Homme va de pair avec les efforts entrepris dans la région de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient tendant à démystifier les différents discours produits sur cette région, comme étant un univers imperméable à la modernité, et sur l’Islam comme étant immuable et incompatible avec le principe-clé de non-discrimination élaboré par la philosophie des droits de l’Homme.
Avec l’émergence d’Etats modernes, sources des législations qui gouvernent les sociétés, la plupart des codes arabes ont banni la loi du talion et les « houdoud » (sanctions islamiques).
Nous pouvons dire aujourd’hui que le «sécularisme» et le multiculturalisme sont profondément redéfinis dans la sphère sociopolitique d’un certain nombre de pays de la région. L’éviction du droit pénal musulman de l’ordre juridique de ces pays pourrait apporter des éclaircissements sur les différents rapports entre le droit positif et l’ordre religieux.

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