C’est pendue aux lèvres de l’orateur que l’assistance a dégusté, mercredi à Rabat, l’exposé de haute facture qui lui a été présenté sur le désordre mondial après les évènements du 11 septembre 2001 à New York et Washington. Six mois après cette tragédie, dont l’onde de choc n’a épargné quasiment aucun point de la planète, l’heure était non pas au bilan, mais à une énième réflexion sur les enjeux qui seront désormais ceux de l’humanité, après la nouvelle donne consécutive au chaos du 11 septembre.
L’initiative appartient à notre confrère, le quotidien en langue arabe « Al-Joumhour » qui a eu le mérite de convier au dîner débat qu’il a organisé à cette occasion, le Pr. Pascal Chaigneau, directeur du Centre des études diplomatiques et stratégiques à Paris. La démarche académique, servie par une facilité d’élocution tout à fait remarquable, sacrifiant parfois aux tirades à l’usage des avertis, aura permis de voyager dans le temps et dans l’espace. Depuis les minutes qui ont précédé le crash des avions de ligne contre les tours jumelles du World Trade Center, jusqu’au soir même du dîner-débat. Depuis les Etats-Unis, meurtris dans leur dignité et leur sentiment d’invincibilité, jusqu’aux talibans retranchés dans leurs montagnes afghanes, bombardées en continu depuis par ce que l’industrie de l’armement américaine a produit de plus « efficace ».
Ce dîner-débat, qui inaugure une série de rencontres mensuelles autour de thèmes similaires, aura eu le mérite de placer l’assistance dans un contexte esquissé par un occidental aux envolées souvent frappées du sceau de l’objectivité et de la modération.
Tout au long de la soirée on fera le point sur cette tragédie qui aura fait 2400 morts de 60 nationalités, dont, soit dit en passant un demi-millier de musulmans. On revisitera ce Nouvel ordre mondial établi par la force de l’hégémonie américaine depuis 1991 et renforcé, alliés à l’appui, à mesure que les bombes éclatent sur les hauteurs de Tora Bora.
On tempérera jusqu’à l’extrême un bilan, loin d’être fâcheux pour l’administration de George W. Bush. On se penchera, à travers le prisme du semestre post-11 septembre, les nouveaux rapports de force dans le monde. Depuis la France, allié engagé de la première heure des frappes, allié circonspect quelques mois après, jusqu’à la Grande Bretagne qui, par sa politique étrangère dira-t-on, n’agit pas différemment du 51 eme Etat des Etats-Unis, en passant par une Allemagne qui aurait pu peser de tout son poids dans la balance, mais qui demeure dangereusement penchée vers l’ouest de l’Atlantique, tout en s’ancrant du mieux qu’elle peut à son socle européen. On reniflera aussi à pleins neurones l’odeur du pétrole de l’Asie centrale et du Golfe arabique dans la démarche des Américains et leurs alliés immédiats. Un pétrole que rien n’empêchera désormais de couler à flots, comblant par la même le déficit de millions de dollars partis en fumée sur la rocaille afghane.
On accommodera tant que faire se peut pour déceler un quelconque rôle de la Russie pour empêcher ces nouveaux tours de vis donnés, à la faveur du 11 septembre, à l’étau de l’unilatéralisme en place depuis une décennie. On s’amusera même des accès «l’amnésie collective » des Chefs d’Etat de la planète, qui surviennent à chaque fois que de hauts intérêts stratégiques sont en jeu.
Tout au long, enfin, on sourira presque avec indulgence, des grossières manoeuvres de diaboliser l’Islam pour justifier les actions passées et à venir. Argument qu’il n’est même pas besoin de développer. Sous peine de refroidir l’élan intellectuel qu’aura insufflé la soirée.