Société

Le regard du professeur (18)

Anouar Sadate a poursuivi en disant: «J’ai maintenant la conviction que suivre la voie de la paix avec Israël et obliger celui-ci à l’accepter réalisent nos objectifs plus que ne le fait une guerre qui ne nous donne pas la victoire. C’est aussi pour cela que j’ai tenu à ce que les Etats-Unis, allié d’Israël, soient un partenaire à part entière dans le processus de paix, et que l’accord de paix porte la signature du Président.
Ainsi, les deux pays concernés s’engagent à faire la paix, avec une garantie américaine, et Israël aura à répondre de ses obligations devant les Etats-Unis aussi. Ce que nous avons réalisé jusqu’ici et en trois mois se résume en deux documents. Le premier est un traité de paix entre l’Egypte et Israël qui vise le recouvrement de nos territoires occupés au Sinaï. Le second reconnaît le principe de règlement global du conflit arabo-israélien et concerne tous les pays arabes parties au conflit, à savoir la Syrie, la Jordanie et le Liban. Le second document constitue un cadre pour commencer à résoudre le problème palestinien.
Ainsi, l’objectif est de parvenir à un règlement global du problème du conflit arabo-israélien en tant que tout, et non à un règlement limité au problème du Sinaï. Et, jusqu’ici, nous n’avons convenu que d’un cadre de travail, car les deux accords conclus ne sont qu’un cadre ».
Ici, le Président a utilisé le terme anglais « framework » (cadre), terme qu’il a repris chaque fois qu’il est revenu sur ce sujet, soulignant en particulier qu’il apparaît dans le texte de l’accord et concluant que tout est négociable pour arriver à un règlement global.
Le Président a encore dit : « Nous avons convenu d’un calendrier de discussions selon lequel nous devons parvenir, conformément au premier accord, à un traité de paix entre l’Egypte et Israël en l’espace de trois mois, et au lancement des négociations pour l’autodétermination du peuple palestinien dans un délai de deux ans. Nous espérons que, entre-temps, l’ambiance aura changée pour qu’Israël soit rassuré concernant nos bonnes intentions et convaincu que nous ne voulons pas conclure une trêve provisoire ou un règlement transitoire mais une paix totale et globale pour nous comme pour lui. Ensuite, il sera définitivement mis fin à l’occupation de Ghazza et de la Cisjordanie dans un délai maximum de cinq ans ». Il a encore ajouté : « Comme vous le voyez, je n’ai rien décidé de façon définitive, même pas au sujet du Sinaï, à plus forte raison un accord au nom de la Jordanie, de la Syrie ou du Liban. Certes, en plus de ce qui précède, nous avons échangé des lettres où chaque partie a exprimé ses plans et ses positions. J’ai clairement mis les points sur les i au sujet de l’occupation de la Cisjordanie, de la bande de Ghazza, de Jérusalem et du Golan. Israël, à son tour, a émis des réserves concernant certains points. Il dit, par exemple, qu’il craint pour sa sécurité de la part de l’Organisation de libération de la Palestine, et Menahem Begin continue de dire de la Cisjordanie et de la bande de Ghazza que ce sont « la Judée » et « la Samarie », tandis que nous les appelons Cisjordanie et bande de Ghaza. La différence d’appellation n’est pas importante, l’essentiel est que nous avons convenu que tout est négociable et que les Palestiniens –et ceci est écrit dans l’accord- jouiront d’une autonomie totale, créeront leur propre force de police et prendront en main leur destinée. »
Ensuite, il a dit : « Ce qui m’importe, c’est de faire cesser les souffrances de la population en Cisjordanie et dans la bande de Ghaza » (Le président répétait sans cesse le terme de ‘souffrances’ chaque fois qu’il parlait de la Cisjordanie et de la bande de Ghaza), précisant que « faire cesser les souffrances signifie, premièrement, la levée immédiate du régime militaire et le commencement du retrait à des points précis à convenir en tenant compte des impératifs de sécurité ; deuxièmement, le retrait des forces israéliennes de la Cisjordanie et de la bande de Ghaza jusqu’à des frontières sûres dont nous conviendrons ultérieurement ; et, troisièmement, l’organisation d’élections pour choisir les représentants palestiniens qui exerceront l’autonomie dans une phase transitoire.
Tout cela nécessite que le Roi Hussein se joigne à nous afin que l’Egypte, la Jordanie et les représentants palestiniens élus en Cisjordanie et dans la bande de Ghaza assument une responsabilité conjointe avec Israël».
Au sujet du Golan, le président Sadate a dit: «Dans le proposition égyptienne que j’ai présentée à Camp David, j’ai mis le Golan et le Sinaï sur un même niveau compte tenu de la similitude de leurs conditions. Cependant, seule la Syrie décidera de l’avenir du Golan, et il ne m’appartient pas de discuter ou négocier à son sujet en son nom. Si, toutefois, le président Hafez Al-Assad accepte de se joindre au processus de paix et aux négociations avec Israël au sujet des garanties de sécurité, comme nous l’avons fait, il sera conclu entre lui et Israël un accord comme celui qui porte sur le Sinaï. Israël ne s’y oppose, pas».
Concernant Jérusalem, le Président a dit : «J’ai trouvé auprès du Président Carter un appui total à la position arabe. Nous sommes d’accord que la partie arabe de Jérusalem fait partie de la Cisjordanie et que tout ce qui s’applique à la Cisjordanie s’applique à elle». Puis il a continué : «Nous avons également soulevé la question de la souveraineté et de l’exercice de l’autorité sur Jérusalem et avons échangé des vues au sujet de son administration. J’ai décidé, entre autres, que, pour signifier la souveraineté arabe sur la ville, on pourrait au cours d’une étape transitoire hisser un seul drapeau arabe somme symbole. J’ai indiqué que ce rôle pourrait être confié au Maroc, au nom des autres pays arabes. Je crois qu’aucun pays arabe ne s’y opposerait. Puis il a précisé qu’il a agi ainsi en considération des efforts déployés par le Maroc pour le règlement du problème existant entre les Arabes et Israël. Pendant que je rédigeais le procès-verbal de la réunion, le président Sadate m’a paru sincère dans ce qu’il disait. Il était sûr que les autres parties arabes ne pourraient qu’appuyer sa démarche et y adhérer.
Lorsque le Président égyptien a terminé son exposé, je m’attendais à une réponse du Roi Hassan II.
Cependant, il ne lui a pas dit “je vous approuve sans réserves.” Il ne lui a fait aucune promesse dans ce sens, se contentant de le remercier pour l’exposé exhaustif qui lui a permis de comprendre la réalité de l’accord. Il lui a aussi souhaité plein succès dans ses missions le voeu que les négociations lui permettent d’atteindre ses objectifs. De même, je m’attendais à voir Sadate demender au Roi Hassan II de l’appuyer, mais il n’y a fait aucune allusion.
Quand le Président Sadate est sorti du palais royal et a pris congé de nous, le Roi nous a réunis à nouveau et m’a demandé : “Avez-vous réussi à noter tous les points évoqués dans la réunion?” J’ai répondu : “J’ai bien pris note de tous les points, mais en sténographie. Je rédigerai plus tard le procès-verbal in extenso et le présenterai à Votre Majesté. “Puis Sa Majesté a poursuivi : “Voici maintenant la position du Maroc : nous allons attendre, nous n’allons pas nous hâter d’approuver l’initiative du Président Sadate. Nous sympathisons avec lui et lui souhaitons plein succès, mais il nous faut d’abord disposer de tous les détails et connaître les réactions arabes, de même qu’il faut attendre que les choses mûrissent et s’éclaircissent”. Le Président Sadate n’a pas profité non plus de sa présence au Maroc et de sa réunion avec le Roi pour dire que sa position a le soutien du Maroc. Dans la conférence de presse qu’il a donnée à Rabat à l’issue de sa réunion avec le Roi, le correspondant d’une chaîne de télévision américaine lui a posé la question : “Pouvez-vous dire que le Roi Hassan II a accueilli avec satisfaction les explications que vous lui avez présentées au sujet de Camp David? Et, compte-t-il vous aider auprès d’autres pays arabes?” La réponse du Président a été : “Sa Majesté préfère, comme il en a l’habitude, recevoir les informations de toutes les parties concernées directement avant de se prononcer. Je lui ai fourni des explications exhaustives, ey il n’y a rien à cacher entre moi et lui. Lui-même et son gouvernement prendront les décisions qu’ils jugeront opportunes”. Lorsque, par la suite, les Arabes se sont dressés contre l’accord de Camp David et que l’unanimité se dessinait autour de son refus, le Maroc a adopté naturellement la position qui davait être la sienne parmi les autres pays arabes.

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