Société

Le Souverain, les réformes et l’Histoire

© D.R

On assiste à une forme de liturgie qui scanne la première décennie de règne de Sa Majesté Mohammed VI comme un bilan d’étape. Le Souverain a la durée pour lui. Quelle que soit la pertinence de l’évaluation, elle demeurera de l’ordre de l’analyse incomplète. L’œuvre est en marche. Nuls autres que les historiens ne peuvent se prévaloir de la distance nécessaire pour faire une lecture raisonnée du mouvement d’un pays, de sa dynamique et de son bouillonnement.
Dans la profusion d’appréciations et le foisonnement du commentaire, il y a quelque chose de très frappant. La démarche est binaire. On verse, le plus souvent, ou dans les panégyriques laudateurs et démesurés ou dans les critiques sans nuances. Et sans vouloir s’y attarder, il reste que c’est là le premier acquis de cette décennie MohammedVI : l’incontestable élargissement des espaces de liberté d’expression qui vont jusqu’à devenir, parfois, des lieux de parole débridée et de transgression homologuée.
J’ai participé pour ma part, et c’est un singulier privilège, tantôt comme modeste acteur et tantôt comme témoin à deux dossiers de la décennie : l’Instance Equité et Réconciliation et le dossier de l’émigration. Ces moments d’intenses débats ont renforcé ma conviction dans l’avenir de ce pays sous le règne de Mohammed VI. L’IER, un miroir pour nous-même, une vitrine pour les autres.
Dès son accession au Trône, Mohammed VI va inscrire d’emblée la question des droits humains dans ses priorités. Neuf ans après la création du Conseil consultatif des droits de l’Homme, le jeune Souverain fera annoncer, le 16 août 1999, l’homologation d’une des recommandations du CCDH adressée à son père le 2 juillet 1999.
Que l’on se rappelle. Ce mois-ci connaissait un vrai encombrement de l’agenda royal ponctué qu’il était par la Fête de la Jeunesse du 9 juillet,  un 14 juillet, souvenir exceptionnel pour les Marocains de France, de voir les troupes marocaines défiler sur les Champs-Elysées devant feu Hassan II, visage pénétré par la maladie mais dont émane le regard assuré et ému de l’homme d’Etat fier de l’un de ses symboles. Il décèdera 9 jours plus tard. Mohammed VI s’installera sur le Trône le 30 juillet.
C’est dire, combien, dans la continuité de l’Etat, le jeune monarque aura à cœur d’accélérer les choses et de donner aux événements une autre cadence. La recommandation en question consistait dans la mise en place d’une instance indépendante d’arbitrage qui devait œuvrer  pour l’indemnisation des victimes de violations graves. Elle sera installée dès le 17 août. L’Histoire retiendra qu’elle aura traité, pour être exact, 5167 dossiers qui touchent près de 8000 victimes et ayants droit. La dimension prise par l’IER fera quelque peu oublier ce fait historique. Il fallait le rappeler. Et ce n’est que justice.
Installée par Sa Majesté le 7 janvier 2004, L’IER sera l’un des actes forts de la décennie. L’envergure du dispositif, la qualité des personnalités qui l’animent, le puissant soutien royal lui donneront une exceptionnelle étendue. Elle va s’inscrire, ce qui la diffère de la première instance, dans une logique de justice transitionnelle. Le concept est nouveau. Il est mondialement canonisé. Il ne se confond pas avec la justice pénale ni, encore moins, avec une chasse aux sorcières. Elle prendra garde de ne pas être une instance de l’Histoire qui aurait pu avoir la prétention d’établir toutes les vérités et toutes les responsabilités des acteurs aussi  bien étatiques que non étatiques en conflit durant la période considérée (1956-1999).
Les spécialistes de par le monde reconnaissent les singularités de l’expérience marocaine. Il y a des raisons à cela.
• C’est la seule instance à avoir été initiée dans le cadre de la continuité d’un régime politique, contrairement aux autres (Salvador, Argentine…) qui, le plus souvent, ont vu le jour suite à un changement du régime.
• Elle a élargi la politique de réparation pour y inclure non seulement l’indemnisation des victimes et de leurs ayants droit mais aussi leur prise en charge sanitaire, psychologique et sociale. Elle a aussi innové en introduisant un volet de réparation communautaire en faveur des collectivités particulièrement touchées par la répression, la marginalisation et la privation des services publics essentiels.
• Elle a immédiatement adopté son rapport et l’a présenté à Sa Majesté contrairement aux autres commissions du genre qui ont mis parfois des années à publier leur rapport.
• Elle est la première à avoir indemnisé généreusement les victimes alors que, par exemple, en Afrique du Sud  les victimes attendent toujours les modiques indemnités promises
• Elle est la seule à avoir émis des recommandations touchant des domaines sensibles comme la constitution, la gouvernance sécuritaire et la justice.
Ce sont là des faits. Et personne ne peut les nier. Il reste que la polémique embryonnaire sur l’impunité a un peu pollué le débat. Il est vrai que quand le sage montre la Lune, l’idiot regarde le doigt. Ce qui est en revanche important, ce sont les recommandations léguées par cette instance et dont il faudra entretenir la flamme pour les faire aboutir.
Un conseil pour les Marocain(e)s du monde.
L’IER avait la tâche de se pencher sur le passé. Le CCME est un dispositif d’avenir. Créée auprès de Sa Majesté le 21 décembre 2007, cette instance partage avec l’IER le fait d’être conçue avec le même incubateur : le CCDH.
L’émigration marocaine a une place particulière dans les préoccupations royales et ils sont rares, dans la décennie qui vient de s’écouler, les discours de Mohammed VI dans lesquels il n’y a pas un mot ou une pensée pour les Marocain(e)s du monde.
Il y a lieu, dans la décennie, de retenir trois discours importants. Ils sont adressés à chaque fois à la Nation, toujours le 6 novembre (2005, 2006, 2007). Si sur cette question le discours de 2005 est le plus généreux, le discours 2006 demeure le plus opérationnel. Il y confie au CCDH la mission  d’émettre un avis, avant la fin 2007, sur la mise en place d’un conseil pour la communauté marocaine de l’étranger.
Cette décision donnera lieu à une dynamique et un débat inédits dans notre pays sur la question de son émigration. La volonté de construire un avis éclairé, appuyé sur de l’expertise et accompagné d’une consultation aussi large que possible est une démarche originale et moderne. Singulière et inédite. Nulle part au monde il n’a été procédé ainsi. Cela c’est un  fait. Qu’il me soit permis, parce qu’acteur et témoin intime  de ce process, de rappeler d’autres faits :
• L’avis émis à Sa Majesté est d’une honnêteté intellectuelle manifeste. Il a été précédé d’un diagnostic inédit sur les mutations qu’a connues l’émigration et dont les moindres ne sont pas son ampleur, sa dispersion dans le monde et sa féminisation. C’est un fait
• Autre fait. L’avis dresse l’état du paysage institutionnel qui œuvre dans le domaine de l’émigration. Il souligne la multiplication des acteurs qui peut être source d’incohérence et de dilution des responsabilités. Il suggère la conception d’un conseil dans un paysage institutionnel recomposé sans quoi on ajouterait un dispositif supplémentaire, en contradiction avec la remarque qui précède. Il suggère enfin que dans l’exécutif,  le dossier, vu sa transversalité, soit géré au niveau le plus élevé.
• Autre fait. L’avis propose que le dispositif soit progressif et évolutif.  Que la première mouture du conseil ait la mission d’établir  et proposer à Sa Majesté les modalités de sa composition les plus démocratiques et plus réalistes possibles. La cooptation des premiers membres était la seule voie possible, sans quoi le conseil n’aurait jamais vu le jour dans les délais impartis.
• La composition du conseil, produit d’une commission qui comprend plusieurs départements, répond à des critères précis qu’il faut rappeler pour une fois : il y a, à peu près, 1 siège pour 75.000 Marocains du monde avec des variables d’ajustement. Il a fallu ainsi tenir compte de la féminisation de l’émigration, de sa diversité ethnoculturelle, confessionnelle et des générations montantes. Tous les continents sont représentés. Et chaque pays européen, où se trouvent près de 85% de l’émigration marocaine, a eu sa quote-part. Ce sont là des faits. Le commentaire sur la qualité des personnes choisies reste une liberté de chacun. L’institution, elle, s’est construite sur la base de la connaissance de l’émigration et non pas sur la connaissance intime des immigrés.
Le conseil aujourd’hui est là. Il s’investit pleinement dans ses prérogatives tout en respectant strictement celles des autres. Il y a la ferme conviction que la demande de la majorité de l’émigration marocaine est identitaire et culturelle. C’est un acquis de la consultation du CCDH.  Il lui reste, en tant qu’institution, à mûrir la réflexion sur les modalités de sa composition future. Mais aussi et surtout sur la recomposition du paysage institutionnel dans lequel il devra s’inscrire dans le futur. Durablement.

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