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Le télétravail, encore loin d’être plébiscité par les dirigeants

© D.R

Comment les patrons évaluent-ils avec du recul le modèle télétravail expérimenté lors de la crise Covid ? Quelle méthode de recrutement de hauts dirigeants ? Comment peut-on concilier le caractère familial d’une entreprise et l’impératif de gouvernance ? Quel avenir pour le statut d’administrateur indépendant au Maroc ? Dans une étude récente, le cabinet Exec Avenue a sondé des patrons d’entreprises. Dalil Guendouz, partner Maroc du cabinet Exec Avenue, livre les principales conclusions.

ALM : Dans l’étude que vous avez récemment réalisée, les chiffres semblent indiquer que les dirigeants sont quelque peu réticents au maintien et/ou à la généralisation du télétravail…
Dalil Guendouz : Exec Avenue étant un cabinet de conseil et de recrutement auprès des dirigeants, je précise que l’étude que nous avons menée concerne exclusivement la pratique du télétravail des équipes dirigeantes (comités exécutifs, comités de direction …). A ce niveau de responsabilité, les dirigeants constatent de manière assez sensible que le télétravail conduit à une certaine perte de lien, au sein des équipes dirigeantes, même lorsqu’il n’est mis en œuvre que de manière partielle. Ils semblent, de manière majoritaire, privilégier le présentiel lorsque des décisions importantes sont à prendre.

Comment pouvez-vous expliquer cette appréhension ? C’est un manque de confiance vis-à-vis des collaborateurs, un souci de garder le contact humain, une crainte que les outils technologiques ne soient pas efficaces… ?
A ce niveau de responsabilité, la confiance n’est pas remise en cause, pas plus que les outils qui marchent d’ailleurs bien et qui se sont encore considérablement améliorés. Il s’agit plutôt du risque de dégradation de la circulation de l’information informelle et de la performance collective au sein de l’équipe de direction.

Mais ces liens peuvent être préservés grâce au contact et à l’interaction quasi permanents que permettent les outils technologiques comme cela a été vu lors du confinement…
Aussi performants soient-ils, les outils technologiques sacrifient une dimension à la communication interpersonnelle. Derrière un écran, l’on perd forcément tout le côté non verbal de la communication, mais aussi tout ce qui fait que beaucoup de sujets sont réglés en face to face, dans un bureau, un couloir, ou devant la machine à café. Beaucoup des patrons interrogés restent convaincus que l’aspect humain du contact direct est déterminant et craignent qu’à terme, le télétravail ne vienne briser ce lien qui contribue tant à la performance collective des équipes de direction.

Comment peut-on alors expliquer qu’aujourd’hui certaines grandes entreprises marocaines opérant dans des secteurs névralgiques ont maintenu un mode de télétravail presque généralisé ? Ce n’est pas là la preuve éclatante que le télétravail est parfaitement adapté ?
Notre enquête ne traite pas du télétravail en général mais du télétravail des équipes dirigeantes, ce qui est différent. Si l’ère post-Covid a révélé des avantages indéniables au télétravail, il n’en reste pas moins qu’en France, par exemple, de plus en plus de dirigeants voient comme un point de vigilance le risque de diminution de la dynamique et de l’énergie collective des équipes exécutives, pourtant nécessaires à l’alignement stratégique, à la capacité à relever les défis et à la compétitivité.

Ce n’est pas non plus le fruit du hasard si quelques grands patrons américains n’hésitent plus à mettre en avant les limites d’un télétravail qui réduirait les liens sociaux, inhiberait la transmission fluide de l’information et fragiliserait la culture d’entreprise. Les patrons des PME, des ETI et des grandes entreprises doivent donc rester sensibles aux signaux faibles pour ne pas voir se réduire la cohésion et la dynamique de leurs équipes dirigeantes.

Comment peut-on expliquer qu’un échange ou un contact intense sur des plateformes digitales comme Zoom, Teams et autres soit moins efficace, moins productif que des réunions classiques en présentiel ?
Nous étions tous heureux que ces plateformes existent quand nous n’avions pas d’alternative et qu’il fallait continuer à échanger et à travailler. Mais lorsque des écrans s’interposent entre les personnes, la communication est amputée, les pertes en ligne sont inévitables et la production d’idées créatives s’en trouve inhibée…

Dans le monde du recrutement, rencontrez-vous des candidats qui exigent qu’une partie de leur temps se fasse en télétravail ? Si oui, cela ne signifie-t-il pas qu’ils le perçoivent comme étant un avantage au même titre que des avantages sociaux, financiers ou autres ?
Les candidats que nous rencontrons au sein d’Exec Avenue ont vocation à occuper des postes de direction. A ces niveaux de responsabilités, je parlerais plutôt de souplesse et de flexibilité plutôt que d’exigences en tant que telles. Cette souplesse, qui n’est d’ailleurs pas un acquis social, est appréciée par les candidats mais elle se met en place de manière presque naturelle selon les situations et les besoins de l’entreprise.

Tel contexte à un moment donné peut nécessiter de s’isoler pour réfléchir et le travail à distance s’y prête bien, alors que tel autre contexte exige au contraire de la présence, des échanges interpersonnels, du partage, et là, le présentiel n’a pas d’équivalent pour être efficace et productif.
Les entreprises qui recrutent, quant à elles, sont généralement plutôt ouvertes à cette souplesse, mais moins favorables lorsqu’il s’agit d’en figer les règles pour les fonctions exécutives.

Vous parlez là de manière générale et sur la base d’observations faites en France. Mais vous opérez également au Maroc. Qu’en est-il de la position des patrons marocains vis-à-vis du télétravail ?
De manière globale, le télétravail au Maroc est sensiblement moins entré dans les mœurs qu’en France. Ce sont essentiellement les grandes entreprises qui y ont recours, de manière plus ou moins régulée selon les entreprises. Pour les équipes dirigeantes, avec lesquelles nous travaillons, il reste relativement marginal.
Côté candidats à des fonctions exécutives, je n’ai pas rencontré au Maroc un seul candidat qui plaçait le télétravail comme une condition au même titre que la rémunération ou les autres avantages…

Pourquoi cette différence à votre avis ? Et faut-il s’attendre à ce que la tendance monte au Maroc ?
Je pense qu’au Maroc la dimension humaine revêt une grande importance pour les uns et les autres et les équipes dirigeantes ont besoin de se voir et d’échanger au bureau. Par ailleurs, les contraintes de déplacement sont généralement moins grandes que dans une ville comme Paris par exemple. Tout cela fait que je ne suis pas sûr que la tendance télétravail pour les équipes dirigeantes se développe davantage, même si la souplesse dont nous parlions restera sans doute de mise et c’est une bonne chose pour le bien de l’entreprise et de sa compétitivité.

En tant que spécialiste du recrutement de profils de dirigeants, quand vous êtes face à un profil intéressant que vous voulez absolument retenir mais qui demande une souplesse en termes de télétravail et de l’autre côté un recruteur plutôt réticent, est-ce que vous essayez de convaincre l’entreprise de faire la concession ou de persuader le candidat d’abandonner son exigence ?
Nous sommes là pour accompagner aussi bien les dirigeants en place que les candidats, en fonction de la nature du poste et des responsabilités, du contexte, de la situation de l’entreprise. Ma position consisterait sans doute à recommander au recruteur comme au futur manager de se parler pour trouver le meilleur compromis pour chacun et de ne pas adopter une attitude figée, de principe.

L’on peut considérer qu’à un certain niveau de responsabilités, l’engagement ne fait pas de doute (sinon c’est que nous aurions mal fait notre travail de sélection) et que le candidat devenu haut responsable ne mettra pas en péril sa réussite individuelle et la performance collective simplement pour une exigence personnelle de pouvoir pratiquer le télétravail. Les mots d’ordre sont souplesse, bienveillance et engagement, qui constituent de bons ingrédients pour la réussite collective.

Loin du sujet de l’étude, le télétravail vu de l’angle des patrons, le cabinet que vous représentez est exclusivement spécialisé dans le recrutement de dirigeants et l’accompagnement des équipes dirigeantes et des actionnaires vers la performance. En quoi est-ce différent de la prestation d’un cabinet de recrutement classique ?
Dans le monde de l’Executive Search, au Maroc comme ailleurs, il est bien connu que les meilleurs candidats (que nous savons d’ailleurs aller chercher au Maroc ou aux quatre coins de la planète, pour nos clients marocains ou internationaux) ne répondent jamais à une annonce LinkedIn ou toute autre forme d’appel à candidatures. Nous devons donc être en mesure de comprendre et de maîtriser les enjeux stratégiques de nos clients et leurs attentes, pour ensuite identifier et parler avec les candidats les plus appropriés qui, 9 fois sur 10, ne sont pas du tout en recherche et n’ont rien demandé à personne.

C’est ainsi qu’Exec Avenue conduit une mission de recrutement de dirigeant, en s’appuyant sur une stratégie de recherche, pilotée par des Partners seniors, dotés de la bonne profondeur d’analyse et de jugement et d’une connaissance sectorielle pointue. Recruter pour un poste de dirigeant est un métier différent de celui de recruter un profil de cadre ou de middle management. C’est un niveau différent de responsabilités, de sensibilité et de confidentialité, tant pour l’entreprise qui nous mandate que pour les candidats que nous rencontrons soit spontanément, soit dans le cadre d’une recherche spécifique.

Vous parlez d’entreprises mais qu’en est-il du secteur public que ce soit des administrations ou des entreprises publiques ?
Disposer des équipes dirigeantes au bon niveau technique et managérial n’est pas l’apanage du secteur privé. Le secteur public marocain, administrations et entreprises publiques, doit également pouvoir s’appuyer sur les meilleurs profils de dirigeants pour accompagner les grands chantiers de l’État, mettre en œuvre et piloter les différentes stratégies sectorielles. Le secteur public a sans doute beaucoup à gagner à adopter, dans le respect des règlementations qui lui sont propres, une approche nouvelle en termes de recrutement ou d’identification de candidats de haut calibre pour être toujours au meilleur niveau qu’impose le développement de notre pays.

Il nous arrive ainsi fréquemment d’être mandatés, en tant que cabinet spécialisé en Executive Search, par un organisme public en Europe, pour l’accompagner dans le recrutement d’un ou de plusieurs membres de l’équipe dirigeante. Cela me semble être une bonne pratique qui mériterait d’être plus souvent implémentée dans notre pays au niveau du secteur public.

 

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Comment concilier le familial et le managérial
Pour revenir à l’entreprise privée, comment à votre avis concilier ce type de démarches managériales évoluées avec le caractère familial très répandu au Maroc ?
Il existe au Maroc des groupes familiaux qui sont de formidables fleurons de notre économie. Ces groupes sont confrontés aux mêmes sujets managériaux que toutes les entreprises de taille équivalente, avec peut-être un niveau de complexité et de sensibilité supplémentaire lié à la nature particulière de leur gouvernance. Certains de ces groupes ont fait le choix de scinder les rôles d’actionnaires, d’administrateurs et celui plus opérationnel que peuvent jouer un directeur général et son équipe de direction, dont la mission est de mettre en musique les orientations stratégiques tracées par le conseil. D’autres choisissent également d’intégrer au sein de leur conseil d’administration des administrateurs indépendants qui apportent une vraie valeur ajoutée et un regard externe et objectif sur des sujets importants. Ce sont autant de bonnes pratiques et de choix salutaires que nous recommandons et qui permettent de mettre en place de bonnes règles de gouvernance. Exec Avenue est souvent sollicité pour accompagner des groupes familiaux dans la transformation de leur gouvernance. Nous les assistons sur tous ces sujets, recrutements d’équipes dirigeantes ou d’administrateurs indépendants, mais également élaboration de charte familiale pour préparer – à froid – la succession et assurer la pérennité du Groupe.

On parle justement de plus en plus de l’importance du rôle des administrateurs indépendants dans les conseils d’administration. Est-ce que les entreprises marocaines y ont recours ?
Il y a aujourd’hui une vraie prise de conscience au niveau des grandes entreprises marocaines, de l’importance d’avoir au sein de leur conseil des administrateurs indépendants. Non pas pour cocher une case ou être en ligne avec les dispositions règlementaires (notamment pour les sociétés anonymes ou celles faisant appel public à l’épargne), mais parce que leur présence au sein des conseils apporte une vraie valeur ajoutée, que ce soit pour challenger la performance sur les sujets stratégiques ou opérationnels, aider à mieux identifier et maîtriser les risques, ou, de manière plus générale, contribuer à accélérer la croissance. Ce sont des ressources précieuses au service de l’entreprise. En termes de process, le recrutement d’un administrateur indépendant obéit par ailleurs à des règles précises et spécifiques et le professionnalisme du processus de sélection est essentiel dans le succès de la mission que celui-ci devra mener durant son mandat.

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