Société

«Les télévisions ont failli à leurs engagements»

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ALM : L’IRCAM célèbre aujourd’hui le 5ème anniversaire du Discours d’Ajdir. Quels sont, à votre avis, les principaux acquis réalisés en faveur de l’amazigh depuis ce discours ?
Ahmed Boukous : Les acquis en faveur de l’amazigh depuis le discours prononcé par Sa Majesté Mohammed VI à Ajdir le 17 octobre 2001 et la création de l’Institut royal de la culture amazighe (IRCAM) sont très importants. Ils sont d’ordre politique, culturel, linguistique et psychologique. Sur le plan politique, pour la première fois dans l’histoire du Maroc, un Souverain reconnaît à l’amazigh son importance dans la constitution de la culture et de l’identité nationales. Cette reconnaissance a eu un effet considérable sur la conscience collective des Marocains, qui commencent à se réconcilier avec l’autre part d’eux-mêmes. Sur le plan culturel et linguistique, la culture et la langue amazighes commencent à avoir droit de cité dans le système éducatif et dans le paysage médiatique marocains alors qu’elles y étaient exclues par une idéologie exclusive. Sur le plan psychologique, les Marocains, notamment de souche amazighe, se réapproprient leur identité individuelle et collective alors que naguère ils subissaient les affres du déni d’existence. C’est le début de la fin de la schizophrénie endémique qui nous aliène depuis des siècles.

La place de l’amazigh à la télévision nationale est au centre d’une polémique. Plusieurs activistes amazighes reprochent à la SNRT d’avoir manqué à ses engagements envers la culture amazighe. Que répondez-vous à cela ?
Il est dit expressément dans le discours royal d’Ajdir que la culture amazighe fait partie intégrante de la culture nationale et que sa promotion relève de la responsabilité nationale, notamment sa promotion dans l’enseignement, dans les médias et dans la société et les institutions sur les plans national, régional et local.   Dans le domaine des médias, il a été créé une commission mixte regroupant le ministère de la Communication et l’IRCAM dans le but de faire des propositions relatives à l’introduction de l’amazigh dans les chaînes de télévision publiques et dans le but d’assurer le suivi des mesures d’exécution. L’essentiel de ces propositions a été entériné dans le cahier des charges de la SNRT et de la SOREAD-2M. Malheureusement, tous les engagements pris n’ont pas été respectés, notamment la réalisation de programmes culturels quotidiens et hebdomadaires, la diffusion de films et de pièces de théâtre et le journal télévisé sur 2M.  Une année après la signature du cahier des charges, il est normal que l’on commence à s’inquiéter et il est légitime que l’on commence à se poser des questions.

La création d’une télévision en langue amazighe serait-elle suffisante pour garantir une représentativité honorable de l’amazigh sur notre PAM ?
Tout d’abord, il faut souligner que le projet de télévision d’expression amazighe ne viendra pas se substituer aux autres chaînes; lesquelles devront respecter la teneur de leur cahier des charges. Cette nouvelle chaîne va enrichir le paysage médiatique national en offrant de nouvelles opportunités à l’amazigh et en  étant un outil de communication, de diffusion de la culture et de loisirs qui contribue à éduquer et à cultiver le citoyen. Pour cela, elle doit être une TV de proximité, diffusée par voie terrestre (en analogique ou en numérique) pour toucher aussi les zones enclavées, une TV à la ligne éditoriale et aux contenus servant effectivement la promotion de l’amazigh.

La politique des quotas est-elle la meilleure solution pour assurer une place à l’amazigh dans le champ culturel national ? Cette politique ne contredit-elle pas le principe de concurrence qui doit s’appliquer à tout produit culturel national, en dehors de son mode d’expression ?
Je crois qu’il y a méprise sur la notion de quota. Il s’agit de faire en sorte que la TV nationale, en tant que service public, reflète la diversité culturelle et linguistique objective qui marque notre société. Cela exige que soit accordée une place honorable à la production en langues nationales, entre 60 et 70%, dont 30% reviendraient à la production en amazigh. Je ne crois pas que cela entrave le principe de concurrence, si ce dernier pouvait effectivement être un levier pour l’assurance qualité. En tout état de cause, je crois que la production en amazigh soutient largement la comparaison avec les produits qui nous sont servis en ce mois sacré par les chaînes nationales !

L’IRCAM a-t-il vraiment permis de promouvoir la culture amazighe ?
Il est peut-être encore tôt pour procéder à une évaluation à froid de l’apport de l’IRCAM. Mais quelques arguments d’ordre quantitatif et qualitatif doivent d’ores et déjà être versés à ce dossier. L’IRCAM a produit en l’espace de quatre années plus de publications, couvrant tous les domaines de la connaissance, que ce qui a été publié au Maroc depuis son indépendance. L’IRCAM a assuré la formation continue de 2200 enseignants et de 270 inspecteurs et il a réalisé le manuel de l’élève et le guide du maître pour les quatre premiers niveaux de l’enseignement primaire.  Aucune institution n’a fait cela auparavant. L’IRCAM a procédé à la codification de la graphie tifinaghe qui a été homologuée à l’échelle internationale. L’IRCAM est en train d’aménager la langue amazighe pour en faire un outil performant de communication, de création et de travail; auparavant c’était un ensemble de dialectes réservés à la communication orale. L’IRCAM contribue au développement humain en accordant un soutien conséquent aux associations culturelles, aux artistes, aux créateurs et à certains secteurs professionnels, notamment les journalistes. Je répondrais donc oui à votre question en affirmant que l’IRCAM a fait énormément pour la promotion de l’amazigh, en tout cas plus qu’aucune autre institution nationale ou internationale. Ceci dit, nous pourrions faire beaucoup plus et beaucoup mieux si l’IRCAM évoluait dans un environnement politique, juridique et institutionnel  favorable. L’IRCAM doit sa raison d’être essentiellement à la confiance de Sa Majesté et sa force, à la conscience et à l’abnégation du personnel administratif, et au soutien de la société civile qui milite pour les droits humains.

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