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Les troubles psychiques encore mal compris, la stigmatisation forte

© D.R

Entretien avec Dr Wadih Rhondali, docteur en psychiatrie et en psychologie

En 2018, une enquête du ministère faisait état que 48,9% des Marocains avaient souffert, au cours de leur vie, de symptômes liés à l’anxiété ou à la dépression. Dr Wadih Rhondali, psychiatre et psychologue, revient déjà, dans cet entretien exclusif, sur la définition de la santé mentale et fait un bref état des lieux de la problématique. Il nous apporte, par la suite, un éclairage par rapport à la posture à avoir face à un patient qui se trouve dans une situation de souffrance mentale. Son credo «Mieux dans ta tête, mieux dans ta vie».

ALM : Pouvez-vous déjà nous définir la notion de santé mentale ?

Dr Wadih Rhondali : On croit souvent que la santé mentale, c’est juste «ne pas être fou». En réalité, c’est bien plus que l’absence de troubles. Selon l’OMS (Ndlr : Organisation mondiale de la santé), elle correspond à un état de bien-être global: être capable d’aimer, de travailler, de se réaliser, de faire face aux épreuves sans se sentir enfermé dans ses pensées. Un équilibre qui repose aussi, pour beaucoup, sur un ancrage spirituel. La religion peut agir comme un facteur de protection. Elle offre du sens, un cadre, des ressources intérieures. Ce lien a été discuté lors des travaux de l’OMS mais écarté par souci de consensus international. Pourtant, dans une société comme la nôtre, il reste essentiel.

Quels sont les principaux chiffres qui l’évaluent ?

Une enquête du ministère de la santé (2018) estimait que 48,9 % des Marocains avaient souffert, au cours de leur vie, de symptômes liés à l’anxiété ou à la dépression. Les troubles psychotiques concerneraient 1% de la population, soit plus de 350.000 personnes. L’OMS recommande 1 lit psychiatrique pour 10.000 habitants. Le Maroc en compte environ 0,25 pour 10.000, soit 4 fois moins que le minimum recommandé. Le pays dispose de moins de 500 psychiatres pour plus de 37 millions d’habitants, avec de grandes disparités territoriales. Certaines régions rurales n’en comptent aucun.

En tant que praticien, comment évaluez-vous le comportement des Marocains face aux différentes maladies affectant la santé mentale d’un patient ?

Les troubles psychiques sont encore mal compris. Ils sont parfois vus comme une faiblesse morale, une punition, voire une possession. Face à un proche malade, les réactions dominantes restent souvent la négation, l’isolement ou la minimisation. Cela s’ajoute à la souffrance du patient. Heureusement, les mentalités évoluent peu à peu. Certaines familles osent consulter et les jeunes générations, mieux informées, adoptent des postures plus bienveillantes. Mais la stigmatisation reste forte. Tant que ces maladies ne seront pas reconnues comme des pathologies à part entière, les patients resteront marginalisés.

Quelles sont les dernières avancées en la matière au Maroc ?

Le ministère de la santé a lancé plusieurs réformes intégrant des centres spécialisés, des formations. La santé mentale a été définitivement inscrite dans la stratégie nationale. Des campagnes citoyennes émergent aussi. De mon côté, j’ai lancé sur Instagram une série de capsules vidéo conçues comme des ressources accessibles à tous. Elles visent à informer mais aussi à soutenir psychologiquement. Dans un pays où les soins sont inégalement répartis, les réseaux sociaux peuvent aussi devenir des espaces de soutien.

Quelle posture devrait adopter l’entourage d’une personne malade mentalement ?

Écouter sans juger. Trop souvent, on minimise («secoue-toi», «fais un effort»), ce qui isole davantage. Une personne en souffrance a besoin d’un espace d’accueil, pas d’un conseil rapide. Il faut soutenir, encourager, rester présent… sans se substituer au professionnel.

Quelles sont vos recommandations à ce niveau ?

Déjà il s’agit de s’informer et parler sans tabou. Car le patient ne peut pas rester seul face à la charge mentale. La posture à avoir est d’encourager sans forcer. Il ne faut pas non plus tout porter. L’individu dans le sens le plus large doit considérer la psychiatrie comme une spécialité médicale comme une autre. Car plus on en parle, plus on libère la honte.

Existe-t-il des professionnels spécialement dédiés pour accompagner l’entourage de telle sorte à avoir la posture la plus adéquate?

Non, il n’existe pas de professionnels exclusivement dédiés à l’entourage. Mais la plupart des psychiatres, psychologues ou travailleurs sociaux intègrent les proches dans le parcours de soin. Des dispositifs ponctuels existent comme les consultations familiales et les groupes de parole. À l’avenir, les patients experts, anciens patients formés, pourraient jouer un rôle clé en aidant les familles à mieux comprendre et accompagner la maladie.

Le mot de la fin peut-être… 

La santé mentale n’est pas un luxe. Elle nous concerne tous. Il n’y a pas les «fous» et les «normaux», mais une diversité d’expériences humaines. Et il y a urgence : les troubles psychiques, même invisibles ont un coût énorme pour les familles, l’école, l’économie. S’occuper de santé mentale, c’est investir dans notre avenir collectif.

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