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L’inceste, l’un des pires tabous

© D.R

La pédopsychiatre note que tout changement de comportement chez l’enfant doit les alerter dans un contexte suspect , car souvent les signes sont discrets et peu spécifiques . A titre d’exemple, l’enfant qui ne faisait plus caca ou pipi au lit auparavant  et qui commence à présent à le faire..

Au Maroc, en l’absence d’étude sur le sujet, il est impossible d’évaluer le nombre de victimes. Alors qu’en  France par exemple, 4 millions de personnes auraient été victimes d’inceste. Toujours est-il que les affaires d’inceste sont nombreuses dans notre société et les  victimes osent de plus en plus dénoncer les faits. Au sens littéral, un inceste est une relation sexuelle entre membres d’une même famille. Les pères ne sont pas les seuls «abuseurs». Le sont également des mères, des oncles, des grands-pères, des beaux-pères sans oublier l’inceste entre frère et sœur. Mais il conviendrait d’abord de se demander s’il y a un moyen de prévenir l’inceste.

Face aux abus sexuels, comment peut-on protéger son enfant ?

Selon le Dr Salma Azzaoui, pédopsychiatre à Rabat, l’éducation sexuelle à l’école est indispensable. Elle doit commencer même avant le primaire. Les petits apprendront ainsi à nommer toutes les parties de leur corps, y compris les plus intimes. Ils se pencheront aussi, avec leur institutrice, sur la nature des liens qui les unissent à leurs parents ainsi qu’aux différents membres de leur famille. De leur côté, les parents ont un rôle important à jouer. «Ils doivent apprendre à l’enfant que son corps lui appartient et que personne n’a le droit de lui toucher ses parties intimes. L’important, c’est de lui en parler clairement, sans ambiguïté, et avec des mots simples», explique  la pédopsychiatre. Pour y parvenir «la mère peut aborder le sujet en lavant son enfant sous la douche par exemple». L’enfant doit également apprendre à dire non et à ne pas faire confiance à n’importe qui

Par ailleurs, quand l’abus sexuel a lieu, il doit dénoncer l’acte à la personne qui lui est le plus proche, à savoir la mère le plus souvent. «Il ne faut en aucun cas garder le silence mais consulter un spécialiste le plus tôt possible car les conséquences par la suite peuvent être désastreuses», souligne Dr Azzaoui.

Y a-t-il des indices qui doivent soulever l’interrogation des parents ? La pédopsychiatre note que tout changement de comportement chez l’enfant doit les alerter dans un contexte suspect.

Il s’agit souvent de signes fonctionnels non spécifiques touchant la sphère abdominopelvienne , comme la réapparition d’une énurésie (pipi dans la culotte) , ou d’une encoprésie (caca sans la culotte) , des douleurs abdominales ou anales ..

 

Parmi les autres signes à prendre au sérieux, plus rares mais plus fortement suspects, figurent des traces de violence physique, notamment au niveau génital et péri anal (ecchymoses, déchirures, irritation des organes génitaux. La présence de sperme sur le corps ou les vêtements de l’enfant ainsi que l’apparition de leucorrhées (pertes) chez une fille pré pubère par exemple doivent également alerter. Sur le plan psychologique, quand un enfant a subi des attouchements ou a été violé, il peut développer des troubles de sommeil, avec des insomnies ou des cauchemars de l’agression.

A travers les différents témoignages que nous avons pu recueillir auprès de l’association «Touche pas à mes enfants», les cas  d’inceste les plus fréquents ont lieu entre père et fille.

Violée par son père…

Début novembre, un père de famille a été arrêté près de  Khémisset pour avoir violé à plusieurs reprises sa fille âgée de seulement 10 ans. Il sera jugé  le 5 décembre à la Chambre criminelle près la Cour d’appel de Rabat.  Le père profitait de l’absence de son épouse à la maison pour aller violer l’enfant sans défense. La mère n’avait rien remarqué. Un jour, en entrant chez elle, ce fut le choc. Elle surprend son mari en plein acte sexuel  avec sa propre fille.

C’est alors qu’elle dénonce les faits à la police. Le violeur est arrêté.  Craignant pour la santé de sa fille, la jeune mère  l’emmène  chez un gynécologue qui  lui confirme que celle-ci n’est plus vierge. Anéantie, elle décide de quitter la maison avec ses deux enfants. Ce cas est loin d’être isolé. A Sidi Yahia El Gharb, une fille a été violée par son père depuis l’âge de 9 ans. Une fois devenue pubère, le père violeur lui achetait la pilule et l’obligeait à la prendre pour qu’elle ne tombe pas enceinte. Le plus sordide dans cette histoire est que la mère était complice. Eperdument amoureuse de son époux, elle le laissait faire. Au fil des jours, l’état de santé de la jeune fille se détériorait. Elle fut hospitalisée  durant plusieurs jours. Le violeur a fini par être condamné alors que la mère est toujours en liberté.

A Dar Bouazza,  une petite fille de 2 ans a été violée par son oncle.  La mère a retrouvé du sang sur sa couche. Ne sachant quoi faire, elle s’est dirigée au CHU Ibn Rochd.Le médecin lui a expliqué que sa fille avait subi un viol qui a entraîné la perte de l’hymen.

Un autre cas d’inceste a eu lieu à Bni Khiran, près de Khouribga. La mère ayant divorcé n’a pas voulu garder son enfant. Elle laissa à son ex-mari sa fille âgée de seulement 4 ans. La fillette vivait avec son père chez ses grands-parents paternels. Depuis l’âge de 4 ans et jusqu’à 13 ans, la jeune fille a été violée par son grand-père incestueux. Il attendait que la grand-mère soit absente pour passer à l’acte. Après toutes ces années de souffrance, de torture physique et psychologique, la petite fille devenue adolescente décide de tout raconter à sa tante. Finalement, le grand-père sera condamné à 1 an de prison. A Dar Bouazza,  une petite fille de 2 ans a été violée par son oncle.  La mère a retrouvé du sang sur sa couche. Ne sachant quoi faire, elle s’est dirigée au CHU Ibn Rochd.Le médecin lui a expliqué que sa fille avait subi un viol qui a entraîné la perte de l’hymen. Le violeur finira par écoper de 6 ans de prison.

Il y a des conséquences psychologiques…

Les conséquences psychologiques sont nombreuses. D’après le Dr Azzaoui, l’enfant victime d’inceste est traumatisé. «Il peut présenter un état de stress post-traumatique qui peut se traduire par plusieurs signes :  rêves répétitifs de l’événement provoquant un sentiment de détresse chez l’enfant, impressions ou agissements soudains comme si l’événement traumatique allait se reproduire, flash-back (souvenirs répétitifs et involontaires de l’événement) pouvant s’exprimer chez l’enfant à travers un jeu répétitif ,explique-t-elle.Il est possible qu’il présente également un évitement persistant de tout stimuli associé à l’événement traumatique ( exemple endroit , personne..), une altération de la réactivité une hypervigilence continue et des réactions de sursaut exagérées , une perturbation du sommeil ainsi qu’une altération de son humeur ( tristesse , perte de l’envie de jouer) .

Au long terme et en absence de prise en charge adéquate , le sujet peut continuer à présenter des symptômes anxiodépressifs , un risque d’auto ou d’hétéroagressivité et des remaniements pathologiques de personnalité .

Nombreuses sont les victimes qui tombent dans l’enfer des addictions : l’alcoolisme, la dépendance aux drogues, la prostitution devient leur quotidien. A ce sujet, la présidente de l’association «Touche pas à mes enfants», Najia Adib, signale que «plusieurs cas de filles qui ont eu leur premier rapport sexuel avec leurs pères sont devenues des prostituées». Faut-il en conclure que c’est l’acte incestueux qui les a poussées à la prostitution ?

La présidente de l’association relève également que «certaines victimes d’inceste sont devenues lesbiennes. D’autres ont développé un sentiment de dégoût envers le sexe masculin et cherchent à tout prix à se venger».

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Que dit la loi ?

Justice-Maroc-2014-01-20Me Bouchaib Soffi, qui travaille avec l’association «Touche pas à mes enfants», précise que l’inceste est puni par les articles 485, 486, 487 et 488 du code pénal. Il faut noter que le projet de loi N°10-16 modifiant et complétant les dispositions du code pénal durcit les peines à l’encontre des personnes accusées d’agression sexuelle sur des mineurs. Le ministère de la justice a procédé à la requalification de l’agression et de l’abus sexuel contre le mineur, élevés désormais au niveau de crime. L’autre fait nouveau est que le projet de loi prévoit  la non-application des circonstances atténuantes en matière d’agressions et d’abus sexuels contre les mineurs. Pour ce qui est de l’inceste, le nouveau projet de code pénal stipule que «les relations sexuelles entre membres d’une même famille sont passibles de 10 à 30 ans de prison».

La réalité est tout autre. Dans la majorité des affaires d’inceste, les peines ne sont pas proportionnelles à la  gravité du crime comme le fait remarquer la présidente de l’association «Touche pas à mes enfants». «Dans la plupart des cas, le violeur écope d’une année voire de deux années de prison. Certains sont relâchés au bout de quelques mois». Pour sa part, Me Soffi explique que tout dépend de l’appréciation du juge : «Si certains sont condamnés à 2,3, voire 6 ans de prison au grand maximum, d’autres s’en sortent avec un simple sursis». Et d’ajouter : «Le plus alarmant est que bon nombre de victimes d’inceste ne sont pas présentes à l’audience au tribunal pour la simple raison qu’elles n’ont pas été convoquées. Et par conséquent elles ne peuvent pas témoigner de ce qui s’est passé». Et quand les enfants sont amenés à dénoncer les abus sexuels qu’ils ont subis, c’est un moment difficile et très douloureux. «Traumatisés, les enfants ont beaucoup de mal à dénoncer les faits. C’est pourquoi il faut des avocats, des juges ainsi que des institutions spécialisées pour ce genre d’affaire. Ce qui permettra à l’enfant d’être plus à l’aise et il pourra ainsi parler plus facilement», indique-t-il.

Face à cette injustice, Najia Adib revendique la peine maximale, à savoir 30 ans de prison. Et encore, elle estime que les abuseurs devraient être condamnés à la peine de mort car l’enfant est anéanti à jamais.

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