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Lutte contre la mendicité : Ce que recommande le CESE

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Avis. Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a publié un avis sur la mendicité en dressant un état des lieux de ce phénomène et recommande entre autres de renforcer la répression à l’égard des exploiteurs et trafiquants d’enfants. Les détails…

Le Conseil économique, social et environnemental ( CESE) vient de publier un avis intitulé « Pour une société cohésive exempte de mendicité» dans un contexte marqué par un accroissement de ce phénomène dans les rues et les espaces publics au Maroc. La dernière enquête sur la mendicité qui remonte à 2007 avait estimé le nombre de mendiants à environ 195.950 personnes. Le CESE estime que l’absence d’études et de données actualisées sur la mendicité dans notre pays ne permet pas aux pouvoirs publics de mesurer l’ampleur réelle du phénomène, ce qui rend difficile l’élaboration d’une action publique à même de lutter efficacement contre ce phénomène. Il ressort des enquêtes et des sondages menés sur le sujet que la pauvreté et la vulnérabilité constituent les premières raisons ayant poussé à la mendicité. L’enquête nationale de 2007 avait indiqué que la pauvreté est la principale raison de la mendicité (51,8%) suivie du handicap (12,7%), de la maladie (10,8%) et du manque d’emplois (9,3%). C’est le même constat qui ressort des résultats de la consultation lancée sur la plateforme de participation citoyenne «ouchariko.ma» sur la mendicité qui fait ressortir que 99% des participants considèrent la mendicité comme un phénomène social grave en attribuant les raisons de cette gravité principalement à l’ampleur de la pauvreté.

97% des Marocains jugent le phénomène très omniprésent
Dans le cadre de l’élaboration de son avis sur la mendicité, le CESE a sollicité, entre le 7 et le 28 juin 2023, la contribution des citoyens à travers sa plateforme «ouchariko.ma». Un total de 1.783 personnes ont répondu au sondage. Il en ressort que 96,97% des participants jugent le phénomène de mendicité très omniprésent (83,56%) ou bien omniprésent (13,1%). 98,88% considèrent la mendicité comme un phénomène social grave. Les participants à la consultation citoyenne ont principalement attribué la gravité de cette situation à la pauvreté. La deuxième raison que les répondants au questionnaire invoquent est le fait que la mendicité constitue une atteinte à la dignité des personnes.
La perturbation de l’ordre public engendrée par cette activité, ainsi que les risques d’exploitation par les réseaux criminels se situent au bas des motifs invoqués par les participants. Par ailleurs, c’est dans des lieux tels que la sortie des établissements hospitaliers ou des pharmacies que les répondants déclarent croiser le plus souvent des mendiants. Viennent ensuite les alentours des commerces, les parkings, les souks et marchés, les abords des mosquées et les feux rouges. Pour faire face au problème de la mendicité, les répondants au questionnaire ont majoritairement privilégié de maintenir le don direct de la charité aux mendiants, ou de passer par des associations qui collectent et emploient les dons au profit des mendiants. Les programmes sociaux publics ne viennent qu’en troisième position. Enfin, les répondants considèrent que la mendicité est un phénomène entretenu par le versement d’aumône aux personnes qui font la manche, et qu’il conviendrait de s’abstenir de répondre aux sollicitations des mendiants pour éradiquer ce phénomène. A la question sur les situations qui peuvent être assimilées à un acte de mendicité (parfois masquée), c’est l’activité du gardien de voitures qui est la plus assimilée à une forme de mendicité par les répondants au questionnaire (72,27%). Les participants à la consultation se montrent en revanche plutôt indulgents vis à-vis des personnes qui vendent des produits à prix modeste ou offrent de petits services (mouchoirs en papiers, désodorisants de voiture, porte-clés, etc.). Ils sont seulement 29,81% à assimiler ces cas à une pratique de la mendicité. Concernant les causes principales qui incitent des gens à pratiquer la mendicité, près d’un participant sur deux (49,99%) incriminent l’insuffisance du système de protection sociale et des politiques publiques sociales. Environ le tiers (31,66%) met en cause la faiblesse de la cohésion sociale (rupture familiale, régression de la solidarité familiale, etc.). Les répondants placent ensuite les situations de précarité personnelle parmi les causes menant à des situations de mendicité, à savoir la pauvreté (43,54%), le chômage (40,16%), et l’inaptitude à l’emploi (handicap, maladie, vieillesse, etc.) avec 34,87%.

Notons que la grande majorité des répondants (88,72%) considère, à tort ou à raison, que la mendicité est une activité rentable qui attire beaucoup de gens. Par ailleurs, 67,55% des participants au sondage déclarent donner l’aumône occasionnellement, tandis qu’une proportion non négligeable estimée à 29% ne donne jamais la charité. En revanche, seuls 3% des répondants se disent prêts à toujours aider les mendiants qui les sollicitent. La moyenne des montants de l’aumône que les répondants ont déclaré verser aux mendiants qui les sollicitent est de 10,86 DH. Il faut aussi signaler que 90,73% des répondants considèrent qu’il faut éloigner les mendiants des espaces publics et 69,54% souhaitent que la mendicité soit strictement interdite. Les trois quarts d’entre eux (75,05%) proposent d’alourdir les sanctions contre la mendicité. Ils sont tout aussi nombreux (71,84%) à considérer qu’il faudrait procurer de la formation et du travail aux jeunes mendiants pour lutter contre ce phénomène.

Augmentation du nombre d’affaires liées à l’exploitation des enfants
Le nombre d’affaires judiciaires liées au délit de mendicité a augmenté à partir de 2018, en passant de 4.776 affaires en 2017 à 9.294 en 2018. En 2019, le nombre d’affaires a régressé en s’établissant à 8.756 puis à 6.128 en 2020. En revanche, en 2021, le nombre d’affaires a connu une hausse significative en se chiffrant à 8.595. Il est important de noter que le nombre de poursuites judiciaires reste faible par rapport aux personnes interpellées par les services de police. Sur 28.597 personnes interpellées par la police en 2021, seules 10.899 ont été poursuivies par le parquet. Malgré le nombre relativement élevé d’interpellations opérées annuellement par les services de police parmi les mendiants, la garde à vue n’est appliquée que lorsque la pratique de la mendicité est accompagnée de l’usage de la violence, de port d’arme blanche, d’utilisation de la drogue, ou dans d’autres cas graves. Et par conséquent, les mendiants ne sont pas poursuivis pour cette pratique mais pour la commission d’autres actes délictuels ou criminels. Par ailleurs, on relève une augmentation du nombre d’affaires liées à l’exploitation des enfants dans la mendicité d’année en année. Ainsi, 127 cas ont été enregistrés en 2022 contre 88 cas en 2017, soit une augmentation d’environ 45%. Cela a entraîné une augmentation du nombre de personnes poursuivies qui est passé de 88 à 131 personnes. Le nombre de victimes est également passé de 72 à 154 enfants. L’augmentation du nombre des affaires et des personnes poursuivies est principalement due aux efforts déployés dans le cadre du Plan national de lutte contre la mendicité des enfants. Concernant le lien de parenté avec l’enfant, il ressort des données de la présidence du ministère public pour l’année 2022 que les mères sont les plus poursuivies (50% des cas), suivies des personnes sans lien de parenté avec la victime (18% des cas), et en troisième position les pères (9% des cas). Ces chiffres confirment que le statut socio-économique des familles a un impact direct sur le développement de l’exploitation des enfants dans la mendicité.

Les solutions du CESE
Le CESE estime qu’une résorption efficace du phénomène de mendicité nécessite une mise en œuvre, cohérente et coordonnée, d’un ensemble de mesures. Celles-ci sont structurées autour de quatre axes complémentaires et déclinées en 14 actions, à savoir: éliminer toute forme de mendicité des enfants; assurer la protection des personnes vulnérables contre l’exploitation dans la mendicité; réhabiliter et réinsérer les personnes en situation de mendicité et prévenir la mendicité. Concernant le premier axe, parmi les mesures proposées figure le renforcement des dispositifs territoriaux de protection de l’enfance (UPE) en structuration, organisation, moyens humains et matériels et veiller à leur généralisation au niveau national. Il est aussi question de renforcer la répression à l’égard des exploiteurs et trafiquants d’enfants qu’ils soient parents ou étrangers à l’enfant. Pour ce qui est du second axe relatif à la protection des personnes vulnérables contre l’exploitation à des fins du mendicité, le CESE recommande de punir sévèrement les actes délictuels et criminels sous couvert de mendicité, conformément au Code pénal, particulièrement à l’égard des exploiteurs des femmes, personnes âgées et des personnes en situation de handicap. Le Conseil suggère également de renforcer les politiques de protection et de soutien aux personnes en situation de handicap et âgées. S’agissant du troisième axe qui vise à réhabiliter et réinsérer les personnes en situation de mendicité, le CESE appelle à réviser le dispositif juridique en vue de mettre fin à la pénalisation de la mendicité face à la difficulté de déterminer la capacité de la personne à subvenir à ses besoins et étant donné que les infractions criminelles, qu’elles soient individuelles ou collectives, associées à cette activité, sont déjà prises en compte dans de nombreuses dispositions du code pénal. Il s’agit aussi de renforcer les politiques d’assistance sociale à travers l’identification des vulnérabilités des ménages (données collectées dans le RSU), la définition de critères socio-économiques équitables d’inclusion dans les programmes, la restructuration et le renforcement des moyens des centres sociaux ainsi que la mise en place de services d’assistance répondant aux besoins et adaptés à chaque catégorie de profil. Enfin, pour prévenir la mendicité, le CESE recommande de renforcer la résilience socio-économique des ménages par la réduction du chômage, la lutte contre la pauvreté et les inégalités sociales et spatiales, l’amélioration de l’accès aux soins, l’amélioration de l’accès à l’éducation, à la formation et à l’emploi. Le Conseil insiste aussi sur la révision de la Moudawana et incite les donateurs à privilégier le don aux associations et fonds de solidarité.

Mise en place des mécanismes de suivi et d’évaluation
Evolution du phénomène. Le CESE recommande de mettre en place des mécanismes de suivi et d’évaluation de la mendicité, ce qui permettrait d’approfondir la connaissance de ce phénomène du point de vue sociologique et statistique, en collaboration avec les départements ministériels concernés, les universités et la société civile. Selon le Conseil, le Recensement général de la population 2024 constitue une réelle opportunité pour mener des études nationales et territoriales spécifiques à la mendicité et au vagabondage en collaboration avec le HCP. Ces mécanismes de suivi permettraient de rendre compte au chef de gouvernement de l’évolution du phénomène et des mesures adoptées pour y faire face.

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