Société

M’hamed Nouri : condamné à perpétuité pour un meurtre qu’il n’a pas commis

© D.R

Nous sommes à El Jadida. Qui se souvient de Mohamed Belahrach, de M’hamed Nouri et d’Abdelouahed El Mouli ? Certes, à l’exception des adolescents et des enfants, tout le monde se souvient d’eux. Mais, personne n’en parle maintenant. Leur histoire relève du passé. Elle ne relève du présent que pour M’hamed Nouri qui en parle avec les larmes aux yeux. Il se souvient de cette histoire comme s’il venait de la vivre corps et âme. Il ne l’oubliera jamais. Même quand il s’assoit sur un rocher au bord de la mer, en tenant sa canne à pêche, en lançant l’hameçon et en contemplant les vagues dans l’attente de pêcher un poisson, son histoire déferle devant ses yeux comme un film d’horreur. Et quand il pêche un poisson, il lance un «N’hamdo Lillah» (Dieu merci) puisqu’il n’a pas subi le même sort que ce poisson. Et si c’était le cas ? Une interrogation qui ne le surprend pas. Car, pour lui, tout est possible. «Mais Dieu m’a sauvé», dit-il avec un sourire qui se dessine doucement sur ses lèvres. En effet, c’est avec le même sourire que M’hamed Nouri a accueilli ALM chez lui, dans la rue Ben Chadlia, perpendiculaire à Derb Lahlali qui était, entre 1993 et 2001, la scène de cinq meurtres ayant coûté la vie à Aïcha Slima, Zahra Enniyar, Fatima alias Lkocatéa, Fatima alias Settatia et Yzza Bounouar et sa fille Hayat. «C’est le meurtre d’Aïcha Slima qui a été collé sur nos dos, moi et Abdelouahed El Mouli», confie à ALM ce père d’une fille, âgé de soixante et un ans. Aïcha Slima, une maquerelle demeurant à Derb Lahlali, fief pour ceux qui cherchent à acheter du «plaisir», est retrouvée, mardi 22 juin 1993, chez elle, corps sans âme, en décomposition avancée. Personne ne l’a vue depuis le vendredi 18 juin, le jour de son retour de chez sa nièce qui venait de célébrer sa nuit de noces. D’ailleurs, c’était cette nièce qui est venue la chercher, quatre jours plus tard. À maintes reprises, elle a frappé à la porte. Mais, personne ne lui a ouvert. Pour arriver chez sa tante, elle est passée par la terrasse des voisins en escaladant le mur mitoyen. Et c’était la mauvaise surprise. Aïcha Slima était corps sans âme. «J’étais dans ma boutique de tailleur traditionnel située à Derb Lahlali quand ma fille unique qui avait sept ans est venue me dire que Aïcha avait été retrouvée morte», raconte-t-il à ALM. Rapidement, M’hamed Nouri a mis à part  le caftan qu’il cousait. Il s’est dirigé, aussitôt, vers le domicile d’Aïcha qui n’était loin de sa boutique que de quelques mètres. Les badauds s’y attroupaient déjà. «Elle était l’une de mes fidèles clientes. Je rentrais de temps en temps chez elle», confie-t-il à ALM. Pourquoi rentrait-il chez elle ? Pour prendre un verre ? Peut-être, mais, M’hamed ne donne pas d’explication.

Le témoignage d’une SDF
Les éléments de la police judiciaire sont arrivés et ont diligenté une enquête. Les investigations leur ont permis de savoir qu’un client était venu, la nuit du vendredi 18 juin 1993, frapper à sa porte. Personne ne lui a ouvert. Une femme, sans domicile fixe, qui picolait et inhalait de la colle à dissolution s’est approchée du client et lui a chuchoté à l’oreille : «Je crois que M’hamed et Abdelouahed sont chez elle. C’est la raison pour laquelle elle s’abstient d’ouvrir la porte». Désespéré, le client a rebroussé chemin. En effet, les enquêteurs ont interpellé le client, ce mardi 22 juin 1993, jour de la découverte du cadavre d’Aïcha Slima. Ils l’ont soumis aux interrogatoires sévères. Il a nié être le meurtrier et avoir la moindre idée sur ce crime. La SDF leur a confirmé que ce client était parti quand personne ne lui a ouvert la porte. Par ailleurs, elle a confirmé que M’hamed et Abdelouahed auraient été chez Aïcha. Le lendemain matin, mercredi 23 juin, M’hamed venait d’ouvrir sa boutique quand les enquêteurs se sont plantés devant lui. «Au début, je ne savais pas pourquoi les éléments de la police sont venus me chercher. Je les ai accompagnés au commissariat. J’ai trouvé d’autres jeunes du quartier. Ils nous ont interrogés à propos du meurtre d’Aïcha… Bien qu’ils m’aient interrogé, je ne craignais rien. Puisque je n’ai rien fait», précise-t-il. Vers midi, ils les ont relâchés. M’hamed est retourné chez lui.

La première nuit au commissariat
Après le déjeuner, il a regagné sa boutique. Il a raconté à quelques amis ce qui lui est arrivé le matin, mais sans manifester le moindre signe de frayeur. Cependant, le soir, vers 21 h, les enquêteurs se sont pointés une fois encore devant sa boutique. Que voulaient-ils de lui ?
«Je ne savais pas ce qu’ils voulaient de moi. Mais, je les ai accompagnés calmement au commissariat de police», explique-t-il. Personne ne lui a parlé. Il a été mis dans la geôle du commissariat. Il y a passé la nuit. «Le jeudi 24 juin, ils ont arrêté Abdelouahed El Mouli. Je le connaissais et j’étais convaincu qu’il était innocent comme moi», raconte-t-il tout en se souvenant des détails comme si cela datait d’hier. Les enquêteurs les interrogeaient chacun à part. Ils essayaient de les mettre sous pression psychologique. «Ils me disaient qu’Abdelouahed avait cité mon nom après s’être mis à table. Je leur répondais qu’Abdelouahed était libre de dire ce qu’il voulait et que je suis innocent», affirme-t-il à ALM. M’hamed et Abdelouahed ont remarqué que la police cherchait par n’importe quel moyen à leur coller l’affaire sur le dos. «Ils voulaient se débarrasser de cette affaire dont tout le monde parlait à El Jadida. Dès lors, je ne suis plus le M’hamed que j’étais. J’étais très inquiet, j’avais très peur».

Pression psychologique
Dans un bureau, six enquêteurs l’entouraient, le martelaient de questions, le mettaient sous pression psychologique, mais personne ne l’a insulté ou violenté. Il niait être le meurtrier d’Aïcha Slima, mais il ignorait ce qu’écrivait l’officier dans le PV. «Je ne savais pas ce qu’ils ont consigné dans le PV. Personne ne m’en a expliqué le contenu. Ils ont écrit ce qu’ils voulaient», affirme-t-il. Du mercredi au dimanche, 23 au 27 juin 1993, quatre jours étaient passés. M’hamed Nouri et Abdelouahed El Mouli les ont passés dans la geôle du commissariat, y dormaient à même le sol. Il n’y avait même pas de carton d’emballage pour se protéger. Heureusement, c’était l’été. Dimanche soir, 27 juin 1993. M’hamed et Abdelouahed ont été conduits, pour la première fois, au Palais de Justice à El Jadida. Ils ont été présentés devant le Parquet général. Celui-ci leur a posé les mêmes questions que la police. Ils ont catégoriquement nié les charges retenues contre eux. Il a également écouté les témoignages de la SDF. «J’étais heureux quand j’ai vu le juge accomplir la prière d’Al-Ichaâ. Je pensais qu’enfin nous étions entre les mains d’un vrai fidèle qui ne rate pas ses prières et qui est, sans aucun doute, contre l’injustice. Je pensais qu’il n’allait pas prendre en considération le témoignage d’une ivrogne. Malheureusement, il nous a surpris. Parce qu’il a pris son témoignage au sérieux bien qu’elle ait été sous l’effet de l’alcool et sans qu’il nous ait confrontés à elle», s’exclame-t-il. Le Parquet général les a maintenus en détention préventive. Ils ne savaient pas à quel saint se vouer. Comment devaient-ils prouver leur innocence ? En principe, c’est l’accusateur qui doit avoir des preuves tangibles les mettant en cause. Alors que ni la police ni le Parquet général ne disposaient de la moindre preuve qui les met en cause. Il n’y avait que le témoignage d’une ivrogne. Dès lors, les deux hommes enduraient un vrai calvaire. «Vers minuit de ce jour (dimanche 27 juin 1993), ils nous ont emmenés à la prison Sawar, située au quartier du Mellah. C’était une sorte d’écurie. J’étais perturbé parce que je ressentais que nous étions enterrés dans une tombe», raconte-t-il en se souvenant des détails de cette nuit caniculaire.

Premières nuits en prison
M’hamed Nouri et Abdelouahed El Mouli ont passé leur première nuit les yeux ouverts. Les dizaines de détenus s’entassaient dans une cellule très exiguë. Il n’y avait de place ni pour dormir ni pour s’asseoir. Combien de jours, de mois ou d’années vont-ils y passer ? «C’était un enfer et non une prison», affirme M’hamed Nouri tout en poussant un soupir de regret. Les détenus les ont soutenus. Parce qu’ils jouissaient d’une bonne réputation dans la capitale doukkalie. Armés de patience, M’hamed Nouri et Abdelouahed El Mouli sont, désormais, à l’affût de la phase d’instruction.
«Nous disions que, peut-être cette fois-ci, le juge d’instruction nous rendra justice», se souvient-il.
Malheureusement, leur espoir s’est évaporé. Ils ont été présentés à deux reprises devant le juge d’instruction. Mais, il ne leur a pas posé de questions. De coutume, à l’époque, la phase d’instruction durait plus d’une année. Mais, dans le cas de l’affaire Nouri et El Mouli, elle n’a duré que trois mois.
«Il s’est contenté de nous regarder et écrire sur les papiers qui étaient sur sa table», précise M’hamed Nouri à ALM. Trois mois plus tard, le mercredi 7 septembre, ils ont été conduits, tôt le matin, au Palais de Justice. La première audience a été reportée à huitaine, puis la deuxième. «La Cour a désigné, dans le cadre de l’assistance judiciaire, un avocat pour notre défense», affirme M’hamed. Nous sommes le mercredi 21 septembre 1993. La salle d’audience à la chambre criminelle près la Cour d’appel d’El Jadida est archicomble. La Cour devait débattre de leur affaire, dossier n° 57/93. Tous deux ont clamé leur innocence, ont nié les charges retenues contre eux, ont cru qu’ils seraient innocentés puisqu’aucune preuve ne les mettait en cause, sauf le témoignage d’une droguée et ivrogne.

L’heure du verdict
Vers 22 h, la Cour s’est retirée pour délibérer de l’affaire. Pour les juges, trois heures de délibération étaient suffisantes pour être convaincus que les deux amis étaient coupables. Et la sentence était la bombe qui les a détruits : la peine à perpétuité. «J’ai demandé à ce moment au juge de m’écouter. Je lui ai dit : M. le président, tu nous as jugés, injustement, coupables. Je ne te pardonne pas», explique M’hamed Nouri. C’était l’obscurité absolue pour les deux amis. Ils étaient choqués, très choqués. Personne n’a cru à leur innocence. Ni la police, ni le Parquet général, ni le juge d’instruction, ni la Cour. «Je ne savais pas ce qui m’était arrivé à ce moment. Je riais quand la police me faisait sortir du siège de la Cour d’appel. J’étais comme un fou. Quand je suis arrivé en prison, j’ai commencé à sangloter comme un enfant. Pour moi, c’était fini, c’était l’enterrement à vie», dit Nouri. M’hamed Nouri et Abdelouahed El Mouli sont privés, indûment, d’un de leurs droits principaux, le droit à la liberté. C’était le comble de la souffrance, de la douleur psychique, de l’amertume et du désespoir. C’était l’enfer. M’hamed Nouri n’est plus un nom et prénom. Il n’est qu’un numéro d’écrou : 93250. «Tout le monde nous considère comme des mis en cause. Le médecin de la prison m’avait dit que la prison ne renferme que les criminels et non pas les innocents. Lorsque j’ai protesté contre lui, il a donné ses ordres de me mettre au cachot», affirme Nouri. Le premier mois, le deuxième…la première année, la deuxième, la troisième…sont passés. La seule question que M’hamed Nouri posait à sa famille qui lui rendait visite était : «Quoi de neuf ?». Mais, la réponse était toujours un petit «rien», pour que le désespoir s’empare de son cœur. Il est devenu certain qu’il ne retrouvera plus sa liberté, qu’il restera enterré à vie, qu’il ne quittera la prison que pour être conduit au cimetière.  Le 2 juin 2001, c’était le coup de théâtre. Mohamed Belahrach est arrêté pour le meurtre de Zahra Enniyar à Derb El Hilali. Il a avoué être l’auteur de tous les meurtres qui ont été commis à Derb El Hilali, y compris celui d’Aïcha Slima. Entre le 23 juin 1993 et le 2 juin 2001, M’hamed Nouri et Abdelouahed El Mouli ont passé, indûment, huit ans d’injustice et de souffrance. Juste à cause d’une erreur… judiciaire.

«En prison, j’ai rencontré Belahrach».
«En prison, j’ai rencontré Mohamed Belahrach. Il m’a expliqué qu’il ne nous a pas fait de mal et que la police et les juges étaient responsables de notre souffrance», déclare Nouri à ALM. «Il m’a confié avoir pris personnellement l’initiative de révéler la vérité. Quand il plongeait dans un profond sommeil, il a rêvé de sa mère qui lui a demandé de révéler toute la vérité pour avoir la conscience tranquille. C’est ce qu’il m’a confié lors de notre rencontre», ajoute-t-il. Et pourtant, la complexité de la procédure pénale et la lenteur judiciaire les ont obligés à passer cinq autres mois en prison ! Ils n’ont été libérés que le 23 décembre 2001. Au début, c’était la joie. Et après ? C’était le regret. «Nous avons commis une erreur en sortant de prison. Car, en nous relâchant, personne, parmi les responsables du calvaire que nous avions enduré ne s’est intéressée à notre cas», proteste-t-il. Le Tribunal administratif a alloué à M’hamed Nouri et Abdelouahed El Mouli, chacun, des dommages-intérêts d’un million cinq cent mille dirhams. «Nous avons frappé à toutes les portes sans avoir le moindre sou de cette somme. Et je n’ai pas d’argent pour aller à chaque fois à Rabat», précise Nouri. Il y a trois ans, Abdelouahed El Mouli a rendu l’âme sans toucher le moindre sou de cette somme qui ne peut en aucun cas réparer tout ce que la machine judiciaire et la détention injuste ont détruit en lui. Quant à M’hamed Nouri, il n’a pas pu continuer son combat pour avoir son indemnisation. Il a croisé les bras sans savoir à quel saint se vouer.

 Enquête réalisée par :
  Abderrafii Al Oumliki et Mohamed Aswab

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