ALM : Pourquoi ce rapport sur le Polisario dans la conjoncture actuelle ?
Claude Moniquet : Pour trois raisons. On s’intéresse depuis assez longtemps et de manière générale au Maghreb et donc à tous les problèmes de sécurité que connaît cette région. La deuxième raison est l’attaque de Lamghiti en Mauritanie l’été dernier et qui a remis cette région sous les projecteurs de l’actualité. Et puis il y a eu la mission du sénateur américain Lugar qui est arrivée à faire libérer, après parfois trente ans de détention, les prisonniers de guerre marocains. Toute cette actualité nous a poussés à nous poser des questions et en cherchant, nous nous sommes aperçus qu’il n’existait rien de scientifique et de sérieux sur le Polisario. Il y avait toute une série de textes de propagande, d’autres textes de contre-propagande souvent d’origine marocaine, mais aucune étude scientifique objective et neutre n’était disponible. A travers cette étude, on a voulu expliquer ce qu’était le Polisario, mais aussi la place qu’il pourrait avoir, s’il en aura une, dans l’avenir. On voit que les Américains veulent s’impliquer dans la région. Ils essaient de trouver une solution pour stabiliser le Maghreb et stabiliser les relations entre le Maroc et l’Algérie. Il nous a alors semblé utile d’expliquer, entre autres, aux Américains ce qui est vraiment le Polisario.
Vous vous apprêtez à porter plainte contre un hebdomadaire marocain. Qu’est-ce que vous reprochez au juste au «Journal Hebdo» ?
Il faut dire qu’on a beaucoup hésité avant de porter plainte. Je n’aime pas les plaintes contre les médias et moi-même j’étais journaliste pendant vingt ans comme la plupart de mes associés à l’ESISC. On a un profond respect pour la presse et on reconnaît aux médias le droit d’être d’accord ou non avec nous. L’ESISC est cité par tous les médias du monde et plusieurs fois chaque semaine. Il y en a qui sont favorables à nos idées et d’autres qui ne le sont pas et c’est leur plein droit. Dans le cas du «Journal Hebdo», nous estimons que l’on n’est pas dans le cadre d’une opinion. Cet hebdomadaire a sous-entendu dans ses articles que cette étude était «téléguidée» et même «payée» par le gouvernement marocain et cette assertion porte atteinte à notre image et à notre respectabilité.
Justement, est-ce que vous entretenez des relations avec les autorités marocaines ?
Aucune pour le moment, mais pourquoi pas dans l’avenir ? Aujourd’hui, soyons très clairs, le gouvernement marocain n’est pas un client ou un partenaire de l’ESISC. Ce centre a deux domaines d’activité. On publie des notes, des analyses et des études. Le deuxième domaine est celui de la réflexion de type universitaire pour faire avancer le débat. On fait très attention dans ce domaine-là à ce que ces études et ces notes ne soient jamais payées ou subventionnées par une partie qui pourrait tirer un intérêt quelconque des résultats de ces travaux. Nous travaillons avec des universités et des groupes de recherches et notre crédibilité est à ce prix-là. On a aussi d’autres activités liées au conseil, aux opérations de lobbying pour des clients dont des états. L’Etat marocain n’en fait pas partie.
N’y avait-il pas moyen de procéder autrement que par un recours à la justice ?
Je leur reproche les insinuations, le fait qu’on avance pas mal d’affirmations sans aucune preuve. Les preuves, ils auront du mal à trouver parce qu’elles n’existent pas. Il y a une erreur basique que n’importe quel étudiant en première année de journalisme sait et évite. Quand on met en cause qui que ce soit, le B.A.-BA est de poser la question au concerné et de dire voilà ce qu’on projette d’écrire et «quel est votre commentaire ?». A aucun moment, ce journal n’a pris la peine de nous poser la question. Pour nous, il y a bel et bien une faute professionnelle. Nous savons qu’il y a encore, dans la législation marocaine, des peines privatives de liberté à l’encontre des journalistes. Nous ne tenons absolument pas à ce qu’une telle peine soit prononcée à l’encontre du ou des responsables de cet hebdomadaire. Mais nous tenons à un dédommagement, même symbolique et notre avocat étudiera cette question. Nous avons offert à ce journal la possibilité de réparer le tort qui nous a été fait. Dès que j’ai été en possession du numéro en question, j’ai appelé le directeur de cette publication qui était absent. J’ai parlé à son assistante pour expliquer qui j’étais et pourquoi j’appelais. On m’a dit « il vous rappellera» et il ne l’a jamais fait. A partir du moment où ce journal estime qu’il n’a pas à rendre compte pour les erreurs qu’il a commises, nous allons devant les tribunaux pour les lui rappeler et lui dire qu’il a eu tort.
Pour en revenir au rapport sur le Polisario, comment avez-vous procédé pour son élaboration ?
L’ESISC a à peine trois ans et demi d’existence. Au début, il comptait trois chercheurs et l’on se retrouve aujourd’hui avec 9 permanents en plus de 12 à 15 chercheurs indépendants. Pour ce rapport, nous avons créé un groupe de travail qui a procédé à des recherches bibliographiques classiques sur l’histoire des pays de la région pour essayer de trouver les racines du problème et puis une série de rencontres avec des experts, des spécialistes qui connaissent bien cette question. Ensuite, nous avons interrogé d’anciens membres et responsables du Polisario rencontrés au Maroc. Il faut dire qu’il n’était pas aisé de les retrouver pour la simple raison que nous n’avons bénéficié d’aucun soutien de l’Etat marocain.
Vous écriviez que le Polisario pourrait représenter une dérive terroriste pour la région. Comment ?
Il y a un risque fondamental de dérives et de violences dans le Maghreb et dans l’Afrique subsaharienne et qui n’est pas forcément terroriste. Il s’agit de dérives criminelles en général comme le trafic d’êtres humains, mais aussi les trafics d’essence, de cigarettes, de médicaments…
Il s’agit aussi de détournements de l’aide humanitaire. Et, dans tous ces trafics, le Polisario joue un rôle et cela a été prouvé. On ne dit pas que le Polisario est une organisation terroriste, mais on dit que c’est une entité en voie de déliquescence et de décomposition. Une partie de ses membres pourrait être tentée par une aventure terroriste surtout que ces gens sont armés, connaissent le terrain dans toute la région. Il y a ce risque pour toute la zone.