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Najat Vallaud-Belkacem : La hausse des frais de scolarité des étrangers en France est une décision scandaleuse

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Entretien avec Najat Vallaud-Belkacem, ancienne ministre de l’éducation nationale française[box type= »custom » bg= »#eeedeb » radius= »5″]De ses origines marocaines, Najat Vallaud-Belkacem a gardé le meilleur assumant son attachement à son pays natal. Imprégnée aussi bien par la culture marocaine que la culture française, l’ancienne ministre socialiste de l’éducation nationale française a fait de l’éducation pour tous son cheval de bataille. Présente à la 8ème édition des Atlantic Dialogues, elle a répondu à nos questions. [/box]ALM : Au Maroc on parle récemment de revoir le modèle de développement, quel serait selon vous le meilleur modèle pour un pays comme le Maroc sur le volet éducation ? Faut-il prioriser la formation professionnelle ? Najat Vallaud-Belkacem : Tous les pays gagneront à fournir à leur jeune génération cette dimension formation professionnelle, c’est-à-dire la capacité à exercer un métier et l’apprentissage acquis grâce au contact avec l’entreprise. Mais en même temps, la théorie a tout son sens. C’est elle qui vous permet de s’adapter aux changements. Il n’y a pas que les sciences exactes dans la vie. Les sciences humaines et sociales permettent de développer l’esprit critique.La philosophie et l’éthique sont tout aussi importantes. Parce que finalement si on se projette dans un monde avec des machines qui sont capables de faire des tâches répétitives remplaçant les humains sur certaines tâches, on aura besoin de maîtriser ces machines si on veut qu’elles ne nous conduisent pas droit dans le mur. Pour éviter cela, il faut se poser les bonnes questions et éviter les erreurs de perception… et c’est ce que les sciences humaines et sociales permettent. De mon point de vue une éducation réussie est la combinaison entre la formation professionnelle, la technique et les «soft skills». Si on veut par exemple que nos enfants puissent être créatifs, il faut aussi les mettre au contact de l’art, de la culture et de la littérature pour leur apprendre à repousser les frontières.Vous avez remis en question le classement PISA. Quelles sont les failles de ce classement et que faut-il en tirer comme enseignements ? Il est important d’avoir un classement qui nous permet de nous comparer. Etant une ancienne ministre de l’éducation française, je sais qu’il y a une espèce de tentation à chaque fois qu’on parle d’éducation de ne parler que de ce qui se passe dans son pays, d’avoir des débats qui sont très refermés et de ne pas regarder ce qui se passe ailleurs. Le classement PISA permet d’avoir une réflexion plus large. En même temps, il ne faut pas non plus en faire «l’alpha et l’oméga» de tout.C’est-à-dire que le classement PISA tel qu’il existe aujourd’hui porte très concrètement sur entre autres : les compétences, la compréhension de l’écrit, et sur les compétences en sciences. On évalue aussi dans le classement PISA, la façon dont l’égalité sociale et les égalités de genre portent préjudice à la réussite scolaire. Cela permet d’éclairer les pays sur ces questions-là. Mais ce que n’évalue pas le rapport PISA c’est qu’est-ce qu’un pays veut faire de sa jeune génération. Par exemple si vous me posez la question est-ce que votre pays forme bien l’esprit critique, l’éthique ou la philosophie… ce n’est pas dans le rapport PISA qu’on va trouver la réponse. Par conséquent, je pense qu’il faut regarder ce rapport mais il faut aussi avoir les idées claires sur ce qu’on veut faire d’une génération à l’échelle d’un pays, avec quelle identité, avec quelles valeurs, et avec quelle culture.De par votre expérience, quelles sont les axes prioritaires sur lesquels doit se fixer le Maroc pour améliorer l’accès à l’éducation ? Je pense que le Maroc a encore des difficultés de scolarisation de tous ses enfants malheureusement et notamment la scolarisation des filles. Il y a des zones rurales dans lesquelles les filles arrêtent l’école trop tôt. C’est à mon sens la première priorité sur laquelle il faut s’atteler. La deuxième priorité qui ne concerne pas seulement le Maroc est la qualité pédagogique de ce qu’on offre, à savoir la formation des enseignants. Vous savez, il y a ce qu’on appelle l’effet maître, c’est-à-dire il ne suffit pas de mettre des élèves dans une salle de classe pour assurer une bonne transmission des connaissances. L’interaction avec le professeur est le meilleur moyen pour apprendre. Il faut avoir des professeurs qui soient formés et former tout au long de la vie. Car la façon dont on éduque un élève va changer en fonction des circonstances, du changement du monde.A l’ère ou les élèves trouvent des informations sur Internet aussi facilement qu’on le sait, à l’ère où ce qui se passe au bout du monde ils le voient sur les réseaux sociaux, il faut que la façon dont on les éduque prenne en considération cette globalisation de l’information et les changements dans les canaux de l’information. Les élèves trouvent par exemple que regarder des documentaires, surfer sur Internet est quelque chose de pertinent pour apprendre. Il faut prendre en considération cette aspiration des jeunes. On peut partir de l’idée que si c’est en surfant sur Internet qu’ils trouvent de l’information, on va leur apprendre à surfer sur Internet pour aller chercher l’information la plus pertinente. Les professeurs doivent être formés à prendre en compte toutes ces considérations. Or s’ils ne sont formés qu’au début de leur carrière, 15 ans plus tard ce n’est plus du tout le même sujet. C’est pour cela que la formation des enseignants tout au long de la vie est importante.Pour vous, faut-il passer par l’éducation au secteur privé pour assurer une bonne qualité d’enseignement ? L’éducation est un bien public. Il doit être pris en charge par la puissance publique. L’idéal c’est quant même d’abord que la puissance publique, qui investit le plus largement possible dans l’éducation, veille à assurer un enseignement de qualité. Après, quand on regarde à l’échelle du monde, parfois en l’absence de réponse publique il y a des offres privées qui se sont développées. Il s’agit de prendre en considération cette réalité-là aussi. Mais par exemple quand le privé se développe, il faut veiller à ce qu’il accueille aussi dont les enfants qui n’ont pas les moyens de payer, c’est-à-dire fournir un système de bourse. A mon sens, l’une des choses qui fait progresser les élèves c’est la mixité sociale. Les professeurs sont certes importants, mais les pairs sont aussi essentiels dans le parcours d’un élève.La France a augmenté les frais de scolarité pour les étudiants étrangers, ce qui empêchera un certain nombre d’étudiants de rejoindre les établissements français. Qu’est-ce que vous pensez de cette décision et quelles en seront les conséquences ?Je me suis opposée à cette mesure parce que je la trouve scandaleuse. Et je continue à dire qu’elle est scandaleuse car je crois que la France joue un rôle important en matière d’éducation. Elle a su attirer à elle justement des élèves venant de différents pays et qui ont fait de brillantes réussites académiques en France. Ils nous ont enrichis de ce point de vue. Ces talents font ensuite de merveilleux ambassadeurs du système académique français à l’étranger. Avoir cette augmentation considérable des frais de scolarité, qui dans les faits va empêcher un certain nombre d’élèves de faire leur étude en France, est une grave erreur.

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