ChroniquesSociété

Pédocriminalité : La face cachée des emojis

Dr Imane Kendili | Psychiatre et auteure.

La pédocriminalité se digitalise. Elle se travestit. Elle ne prend plus les formes classiques de l’agression frontale. Elle se glisse dans les interstices du numérique, contourne les filtres parentaux…

Ils sourient, font un clin d’œil, lancent un cœur ou une aubergine. Les emojis. Ces icônes familières, légères, parfois enfantines, peuplent nos échanges numériques à une vitesse vertigineuse. Et pourtant, certains d’entre eux sont devenus le lexique secret des prédateurs. Derrière ces symboles colorés, une grammaire du silence s’est installée. Sournoise. Invisible.
Dangereuse.Je suis psychiatre. Je reçois dans mon cabinet des enfants, des adolescents, qui ne savent pas ce qu’ils ont vécu, mais qui en portent les stigmates. Des regards fuyants. Des silences lourds. Des cauchemars récurrents. Ils n’ont parfois échangé que quelques messages.

Quelques emojis. Un 🍑 , un 🐱 , une 🍕 . Et tout a basculé. Ce que l’on pensait inoffensif devient un outil d’approche. Une stratégie de manipulation. L’emoji «pizza»🍕 , par exemple, a récemment été identifié par les polices européennes et américaines comme un code utilisé sur des plateformes comme TikTok et Telegram pour désigner des contenus pédopornographiques. Le terme «Cheese Pizza» – CP – utilisé en anglais pour désigner la «child porn», est détourné et glissé dans les conversations à travers cet emoji anodin. Ce n’est plus du fantasme. C’est une réalité documentée, inquiétante, qui évolue plus vite que nos systèmes de protection.
En tant que clinicienne, je le vois : la pédocriminalité se digitalise. Elle se travestit. Elle ne prend plus les formes classiques de l’agression frontale. Elle se glisse dans les interstices du numérique, contourne les filtres parentaux, s’impose dans les jeux en ligne, dans les tchats entre enfants, dans leurs téléphones que l’on pense maîtriser. Mais comment repérer un prédateur quand son message ne comporte que des symboles ? Quand tout se dit sans un mot ?

Le plus pernicieux dans cette violence, c’est son silence. L’absence de traces physiques. L’absence de langage pour nommer ce qui s’est produit. Alors l’enfant se tait. Il s’agite. Il régresse. Il s’auto-agresse. Et nous, adultes, cherchons des explications rationnelles à une douleur numérique que nous ne comprenons pas.

Il y a urgence. Urgence à former les professionnels de santé, les éducateurs, les familles. Urgence à décrypter ce nouveau langage, à intégrer cette réalité dans nos consultations, nos entretiens, nos interrogatoires cliniques. Il faut aller plus loin que la simple «éducation numérique». Il faut parler de santé mentale numérique. De prévention psychiatrique. D’écoute ciblée et spécialisée.
J’ai vu des enfants porter la culpabilité d’un échange auquel ils n’avaient pas consenti. J’ai vu des familles s’effondrer en apprenant que tout s’était passé en ligne, à quelques mètres d’eux. J’ai vu des mères tomber des nues en découvrant que leur enfant «sage» recevait des emojis à double sens tous les soirs. Et j’ai vu trop peu de prise de conscience institutionnelle, trop peu de politiques publiques, trop peu de plateformes réellement responsables.

Il faut que cela change. Le numérique doit devenir un enjeu de santé publique. Il est temps de faire tomber les masques, même les plus colorés.
Car chaque emoji peut être le début d’un drame. Et certaines blessures ne saignent pas, mais elles détruisent. Lentement. Profondément. Silencieusement.

Related Articles

Société

L’épidémie poursuit sa régression / Rougeole : 746 cas et 0 décès du 12 au 18 mai 2025

L’épidémie de rougeole au Maroc continue à ralentir. Le dernier bilan hebdomadaire...

Société

Lutte contre la corruption : Des projets de loi prochainement soumis à adoption

Plusieurs projets de loi seront prochainement soumis à la procédure d’adoption, dans...