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Pr Kamal Marhoum El Filali : «C’est une erreur de ne pas vouloir se faire vacciner pour la troisième fois»

© D.R

Pr Kamal Marhoum El Filali, chef de service des maladies infectieuses à l’hôpital Ibn Rochd Casablanca et membre du Comité Covid-19 à Casablanca

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Face à la fermeture des frontières et à l’apparition ailleurs du nouveau variant Omicron, Pr Kamal Marhoum El Filali revient sur les principaux enjeux de la situation au Maroc face à la pandémie. Une situation certes contrôlée, mais qui continue à inquiéter compte tenu des évolutions à travers le monde. Le relâchement des gestes barrières visible inquiète aussi l’infectiologue. Ses réponses en rappellent la nécessité.

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ALM : Pouvez-vous nous dire la particularité du variant Omicron par rapport à la Covid-19 pour laquelle une large frange de la population marocaine a été vaccinée ?

Pr Kamal Marhoum El Filali : Omicron est une souche qui dérive de la souche initiale SARS-CoV2 et qui a subi une cinquantaine de mutations. Le plus inquiétant c’est qu’une trentaine de mutations codent la protéine S ou protéine Spike qui est très importante pour l’efficacité des vaccins actuels.

Le Maroc a fermé ses frontières pour deux semaines, est-ce à cause du risque d’entrée du nouveau variant ou de la recrudescence du virus Covid-19 en Europe ?

Il est évident qu’au Maroc nous avons de nombreux acquis, preuve en est que le nombre de cas a beaucoup diminué. Maintenant, il ne faut pas se dire que l’on a gagné mais c’est rassurant. Autrement dit, nous avons pu contrôler les virus qui circulaient jusque-là au Maroc et l’épidémie est sous contrôle. La fermeture des frontières est justifiée par la crainte d’entrée du nouveau variant parce qu’il risque d’entraîner de nombreux problèmes surtout que le virus n’est pas encore suffisamment connu. On sait qu’il se transmet relativement facilement mais le degré de transmissibilité n’est pas encore précisément estimé. Cela dit, il est probablement plus élevé que celui du virus Delta. Face à cela, est-ce que les vaccins que l’on a utilisés à travers le monde sont encore suffisamment efficaces ? C’est l’inquiétude aujourd’hui. En attendant, puisque nous n’avons pas de réponse à cette question, il vaut mieux fermer les frontières et attendre d’avoir davantage d’arguments scientifiques pour être sûr que les vaccins nous protègent, si ce n’est pas totalement, au moins partiellement.

Quelles sont vos recommandations face au relâchement visible en termes de gestes barrières au sein de la population ?

Justement, plus personne ou presque ne porte de masque dans la rue. Les gens ont complètement abandonné les gestes barrières que ça soit le masque ou l’hygiène par le biais du nettoyage avec le gel hydro-alcoolique ou juste à l’eau et savon de manière régulière, plusieurs fois par jour. On a aussi abandonné la distanciation physique. On est revenu à une vie pratiquement normale alors que nous ne nous sommes pas encore totalement débarrassés du virus au niveau de notre population. La preuve est que nous avons entre 50 et 200 cas confirmés par jour encore. Il y en a certainement plus qui ne sont pas diagnostiqués. Cela veut dire que le virus circule toujours et que si on se relâche cela risque de repartir à la hausse avec les souches anciennes que nous avons déjà subies lors de la dernière vague. Maintenant, si jamais le nouveau variant est déjà parmi nous et que la population ne respecte pas les gestes barrières, ce sera une diffusion extrêmement rapide. Ceci entraînera une nouvelle vague due à ce nouveau variant avec des personnes qui auront besoin d’hospitalisation, d’unités de soins intensifs et peut-être que le système de santé en sera malmené, voire dépassé…

Pourquoi la troisième dose demeure incontournable au-delà de ce nouveau variant ?

Elle reste incontournable car il a été bien démontré qu’après 6 à 8 mois de la deuxième dose vaccinale, l’immunité diminuait de façon suffisamment significative pour ne plus présenter une protection suffisante vis-à-vis des souches qui ont circulé au Maroc durant la dernière vague. La troisième dose est donc très importante parce qu’elle va permettre de booster notre immunité, d’augmenter nos anticorps et donc notre protection par rapport aux différentes souches qui ont circulé déjà et donc déjà connues. Maintenant, qu’en sera-t-il par rapport au variant si jamais il arrive à atteindre la
population marocaine ? Si on a pris déjà une troisième dose, on aura une immunité assez importante qui sera peut-être suffisamment élevée pour donner une protection, peut-être pas optimale, mais probablement suffisante pour ce virus. C’est en tous les cas ce que l’on espère… Mais en l’absence de données scientifiques fiables et sans confrontation des vaccins actuels sur le nouveau variant Omicron, la réponse est difficile à formuler. En résumé, la troisième dose reste importante car elle va permettre de booster l’immunité chez les personnes qui ont été vaccinées depuis plus de six mois. C’est une bonne chose même par rapport au virus Omicron si une protection vaccinale même partielle est là.

Que répondriez-vous aux personnes sceptiques qui ne veulent pas être vaccinées pour la troisième fois ?

C’est une erreur de ne pas vouloir se faire vacciner pour la troisième fois. Les données scientifiques montrent que l’on a besoin de cette 3ème dose, au-delà de 6 mois après une vaccination complète pour rester immunisé. Certains sont assez sceptiques parce qu’ils craignent des effets secondaires. Et là malheureusement, ces personnes prennent un risque. Pire, ils ne le prennent pas juste pour eux car s’ils contractent la maladie, ils risquent de faire un état grave et de transmettre le virus autour d’eux. Particulièrement pour les personnes fragiles non vaccinées à la troisième dose, elles peuvent contracter une maladie plus grave.

Existe-t-il des indicateurs plus précis, aujourd’hui, pour agir face à la pandémie ?

Les indicateurs principaux sont connus depuis le début de l’épidémie. Ils sont quotidiennement reportés par le ministère de la santé. Il s’agit du nombre de cas, de décès… Pour ce qui est d’indicateurs plus précis, il y a des calculs faits effectivement et qui sont communiqués, de temps en temps, par le ministère de la santé qui nous renseignent, par exemple sur le R ou R0, c’est-à-dire le taux de reproduction de la maladie. Ce taux est très important pour suivre la tendance de l’évolution de cette épidémie. Quand le R devient inférieur cela permet de dire que l’épidémie est en train de s’essouffler un peu, c’est-à-dire sous contrôle. Quand le taux est égal à 1, cela veut dire qu’il y aura autant de personnes qui vont guérir que de personnes qui vont être contaminées : nous sommes à ce stade au niveau d’un plateau. Et quand le R est supérieur à 1, cela veut dire qu’il y a plus de personnes qui sont contaminées que de personnes qui guérissent. Dans ce dernier cas, nous sommes dans une phase ascendante de la courbe épidémique. Cet indicateur est important et suivi régulièrement par le ministère de la santé. Il y a d’autres indicateurs comme celui de la létalité qui est de 1,6%, ce qui n’est pas très important. Ce n’est pas inquiétant mais le taux est supérieur à celui de la grippe. Il ne reflète probablement pas la réalité mais là aussi, c’est un élément important pour étudier sa tendance. Car face à des critères qui diminuent et un taux de létalité qui augmente, nous pouvons peut-être en déduire que les personnes décédées n’ont pas été prises en charge à temps ou par faute de moyens peut-être aussi… Ces personnes ne viennent pas à l’hôpital jusqu’à ce qu’elles décèdent. C’est aussi une possibilité… Quand le taux de létalité reste stable ou diminue, cela veut dire que la situation est sous contrôle, que les personnes hospitalisées sont bien prises en charge et que la mortalité n’augmente pas de façon importante même pendant les vagues épidémiques.
Il existe d’autres indicateurs encore plus sophistiqués et qui renvoient à la surveillance des souches de SARS-CoV-2. Autrement dit, il existe des sortes de sondages aléatoires qui sont réalisés. Concrètement, sur un certain nombre de souches qui ont été isolées chez des personnes qui ont contracté la Covid-19, on va choisir un certain nombre de souches en provenance d’un certain nombre de personnes pour faire ce que l’on appelle le séquençage des souches. En clair, on va étudier le matériel génétique de ces souches pour chercher les mutations. C’est ce qui nous permet de dire que nous avons des souches Delta, Alpha, etc. Ces recherches sont effectuées de manière régulière et lors de la vague précédente alors que nous n’avions pratiquement pas de Delta, eh bien le Delta est devenu prédominant. Notre inquiétude aujourd’hui c’est que si jamais Omicron touche la population, en surveillant, on va déjà le détecter et après on va peut-être constater une augmentation du nombre de cas d’Omicron…

Est-ce vrai que les grands laboratoires étrangers travaillent pour créer d’autres vaccins en réponse à cette nouvelle mutation ?

Les laboratoires qui travaillent sur des vaccins à ARN messager disent déjà travailler sur de nouveaux vaccins tenant compte des modifications qu’il y a au niveau d’Omicron. On sait aussi que c’est beaucoup plus facile de le faire sur les vaccins à ARN messager que sur d’autres vaccins, type vaccin sur un virus inactivé. En fait, ça sera beaucoup plus long de le faire sur un virus inactivé. On nous annonce déjà, qu’au bout de deux à trois mois, l’on aura des vaccins qui répondent aux besoins éventuels contre le nouveau variant Omicron.

Sommes-nous dans une spirale où ce virus devra être considéré comme un hôte avec qui nous devrions vivre ?

A ce jour, on peut dire que c’est le cas. C’est un hôte indésirable certes, mais il est là et s’impose… Nous sommes donc obligés de vivre avec. Maintenant nous sommes en train de s’armer. Pourquoi on essaye de contrôler l’épidémie à chaque fois ? C’est pour aussi nous donner suffisamment de temps pour que la recherche avance afin d’avoir des vaccins de plus en plus efficaces, plus faciles à fabriquer, plus faciles à transporter pour la logistique, etc. Pour aussi fabriquer des médicaments et ça c’est une grande première. Ce sont des antiviraux qui permettraient de réduire le risque d’évolution vers une aggravation chez les patients contaminés. Ils permettront peut-être aussi d’éviter la transmission à l’entourage de la personne contaminée voire être donné comme traitement préventif aux personnes contacts si cela s’avère nécessaire. Mais ce dernier point est encore au stade d’essai clinique et donc on n’est pas encore sûr. Par contre, le premier point, c’est-à-dire sur le plan curatif, a déjà été prouvé. Plusieurs produits sont arrivés en phase 3. Il y a eu, d’ailleurs, plusieurs annonces concernant ces produits et je pense que là l’arsenal thérapeutique est en train de s’améliorer. On pourra mieux prendre en charge les personnes qui sont malades et on pourra empêcher un certain nombre de personnes de contracter la maladie grâce au vaccin.

Le mot de la fin…

Je dirais que l’on ne sait pas de quoi l’avenir sera fait. Les virus, surtout quand ils sont des virus à ARN, mutent. Ils connaissent des mutations extrêmement fréquentes et rapides. Il ne faudra donc pas être étonné qu’il y ait autant de variants. Maintenant est-ce que cela va s’arrêter un jour ? Cela reste toujours possible. Il suffirait que le virus fasse une mutation qui le fragilise et donc il s’éteindra spontanément. Cela reste une hypothèse, une possibilité mais il ne faut pas rester en attente de cette hypothèse parce qu’il y en a d’autres plus inquiétantes. L’apparition des différents variants avec chacun une gravité particulière reste toujours d’actualité et qui peuvent mettre à dure épreuve notre système de santé. Maintenant il y a des traitements qui s’annoncent. Il y a des vaccins qui marchent. Bien sûr comme tout autre vaccin, l’efficacité n’atteint pas les 100% mais les vaccins existent et empêchent de faire des maladies graves. Et je pense qu’avec tout ça, il reste ce qui coûte le moins cher qui est le plus simple à mener et à contrôler une épidémie ; ce sont les mesures barrières. A mon sens, nous ne sommes pas encore tirés d’affaire donc quels que soient les chiffres annoncés par le ministère de la santé, c’est bien quand ils sont à la baisse mais il ne faut pas oublier que nous ne sommes pas un pays isolé du reste du monde. Il faut regarder ce qui se passe ailleurs. Et je dirais que tant qu’il y a des cas ailleurs, les mesures barrières doivent rester chez nous. C’est de mise car c’est le seul moyen bien sûr combiné à la vaccination qui permettra de réduire le risque de faire une maladie grave. En tous les cas c’est ainsi que l’on réduira le nombre de personnes contaminées pour pouvoir contrôler l’épidémie. Si on ne fait pas cela alors on risque de subir une autre vague épidémique. Et s’il s’agit d’un variant qui se transmet encore plus facilement que le Delta alors il ne faudra pas s’étonner de dépasser les 12.200 cas enregistrés quotidiennement lors de l’apparition du variant Delta. Ceci mettrait à rude épreuve le système de santé au Maroc. La vigilance est donc de mise !

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