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Reconstruction post-séisme : L’approche doit impliquer les populations à toutes les phases

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Questions à Mohamed Mahdi, socio-anthropologue marocain

Le socio-anthropologue marocain, Mohamed Mahdi, s’exprime sur ses conceptions du procédé à adopter en reconstruction des zones sinistrées après le séisme. L’occasion pour lui d’expliciter l’agropastoralisme qui caractérise la région touchée. Et ce n’est pas tout ! L’expert livre également ses regards sur la démarche à adopter en tourisme dans ces zones.

ALM : En votre qualité de socio-anthropologue, comment concevez-vous la reconstruction des zones sinistrées après le séisme ?
Mohamed Mahdi : Je préfère que «zones sinistrées» soient remplacées par leur nom historique et à forte charge émotionnelle, Adrar n’dern, la montagne de dern. Car, c’est de la montagne du Haut-Atlas qu’il s’agit et qui est touchée en plein cœur. Et on ne peut que se réjouir que l’agence qui sera chargée du suivi de la reconstruction soit appelée Agence de développement du Haut-Atlas. Le séisme est un «fait total», dans le sens de l’école durkheimienne de sociologie, qui a ébranlé toutes les dimensions, sociale, économique, patrimoniale, des communautés de montagne. Aucune dimension n’a été épargnée.

C’est tout le substrat matériel sur lequel repose la vie de ces communautés qui a été gravement secoué. Tout programme de reconstruction et de mise à niveau se doit, à son tour, d’être total, global. Le mot «intégré» est évoqué dans les récits politiques produits à l’occasion du séisme, ce qui dénote une volonté politique de vouloir prendre en charge tous ces aspects détruits ou endommagés par le séisme et aller au-delà pour entreprendre le développement de tout le Haut-Atlas. En effet, ces récits politiques qui se sont succédé ces derniers jours, avec une dextérité étonnante, parlent de reconstruction et de réhabilitation des habitations et des infrastructures et d’un programme ambitieux et intégré des provinces du Haut-Atlas à travers des programmes structurants.

C’est ce qui est souhaitable, et c’est ce que n’ont pas cessé de réclamer des acteurs soucieux de développement de toute la montagne marocaine (enseignants, chercheurs, développeurs, ONG) depuis plusieurs décennies, où l’idée d’une agence de développement de la montagne a été lancée, défendue, argumentée. Mais à quelque chose malheur est bon, il a fallu une catastrophe pour que l’idée soit adoptée.
Tout l’enjeu est de savoir comment ces programmes seront identifiés, déclinés en activités pour les rendre opérationnels, mis en œuvre, selon une approche qui implique réellement les populations à toutes les phases, depuis la conception jusqu’à la réalisation, voire le suivi et l’évaluation.

Tout va très vite, et il y a à craindre que passé le temps des passions et de la mobilisation, cette effervescence collective refroidisse et laisse place à la démobilisation, la lassitude, la routine bureaucratique. Aucun ne souhaite que soit ratée cette opportunité de rendre justice à ces marges marocaines et alléger les disparités territoriales qui les caractérisent.

La région secouée par le tremblement de terre est connue pour son agropastoralisme dont le ministère de tutelle est déjà conscient. Que pensez-vous de l’approche mise en avant à cet effet par le département en charge?
Adrar n’dern est réputé pour son agropastoralisme. Les populations vivent de l’élevage et de l’agriculture. C’est le sens même du mot «agropastoralisme». Il y a juste lieu de citer les pâturages d’altitude, appelés Agdal, Igoudlane au pluriel, de Tichka, d’Oukaïmeden, de Yagour (situés dans le versant nord du Haut-Atlas), de Tarkeddit dans le M’goun pour donner toute la mesure de l’activité pastorale qui se déploie sur ces hautes terres. Chaque été, ces Agdals accueillent des transhumants qui viennent à la recherche de l’herbe, de l’eau et de la fraîcheur estivale. Une littérature abondante a été consacrée au fonctionnement social et symbolique de ces espaces qui rentrent dans la catégorie des «paysages culturels de l’agropastoralisme» tel que défini par une convention de l’Unesco.
Pour les annonces du ministre, rien d’étonnant ni d’original, elles s’inscrivent dans le sillage de ce qui est pensé pour réparer les dégâts du séisme. Et effectivement, le bétail a fait les frais du tremblement de terre et de très nombreuses familles ont perdu leur cheptel. Juste une petite parenthèse pour rappeler que le mot cheptel dérive du latin capital. Les familles ont donc perdu une bonne partie de leur capital. Compenser le cheptel perdu et distribuer des aliments est une bonne action d’urgence, relancer l’activité d’élevage c’est encore mieux, en l’inscrivant dans la durée comme activité essentielle et prioritaire dans les programmes structurants annoncés et en l’intégrant à l’activité agricole. Encore une fois, tout dépend de l’effectivité sur le terrain des mesures qui seront prises. Et j’ajoute, tirer des leçons des expériences passées de soutien à l’activité d’élevage et éviter les dérapages constatés lors de la distribution des aliments subventionnés dans le cadre des programmes de sauvegarde de cheptel qui n’ont pas eu bonne presse.

Depuis cette catastrophe naturelle, plusieurs modèles de reconstruction sont proposés y compris ceux de l’intelligence artificielle. Quel commentaire en faites-vous ?
Oui, cela va des propositions fantaisistes et rigolotes à celles qui méritent d’être prises au sérieux pour envisager leurs études de faisabilité sociale, économique et environnementale. Ces propositions sont animées par des motivations variées, humaines, patriotiques, mercantiles, peut-être. Je pense que le critère d’éligibilité de ces modèles est qu’ils puissent répondre aux multiples fonctions d’un habitat rural, dans le respect et la préservation du patrimoine local.

Certaines zones dans les régions touchées sont taxées de «Maroc inutile». Comment d’après vous rompre avec cette expression tout en faisant en sorte que ces provinces contribuent davantage au PIB du pays ?
«Inutile» pour qui? Certainement pas pour les populations qui y vivent ou celles qui y sont attachées, je pense à toute la diaspora de ces douars vivant dans les villes marocaines ou à l’étranger et gardent des liens solides avec leur «pays», Tamazirt. Grâce à eux, ces territoires gardent leur vitalité. Cette catégorisation, chère à Lyautey, aura longue vie tant qu’une partie du Maroc restera à l’écart des efforts de développement réservé, jusqu’ici, à l’autre Maroc. Toutefois, ces territoires, inscrits dans ce Maroc dit inutile, ont toujours contribué et contribuent largement au PIB du pays. C’est le domaine de l’agriculture familiale et de subsistance qui permet à des familles de produire une partie des aliments qu’elles consomment, de générer une bonne partie de leur revenu qu’elles complètent par l’apport d’autres activités, mais aussi qui met sur le marché des excédents de ses productions. Par exemple, des territoires comme Imlil ou Ait Bouguemez déversent sur le marché national des quantités énormes de fruits (pommes, cerises, poires, etc.) et attirent des touristes qui laissent des devises sur place. Ce sera intéressant d’évaluer à son juste titre la contribution de ces territoires au PIB du pays.

Al Haouz et régions offrent des paysages époustouflants. D’après vous, quel serait le meilleur moyen pour en faire une zone attractive pour les touristes afin de générer des revenus pour la population sur place ?
Plusieurs des territoires d’Adrar n’dern affectés par le séisme attirent déjà beaucoup de touristes et permettent à de nombreuses familles de vivre de cette activité. Ma connaissance, étalée sur plusieurs décennies des réalités sociologiques d’Imlil, me permet de dire, sans risque de me tromper, que les gens d’Imlil ont opéré un développement endogène du tourisme, en comptant sur leurs propres ressources humaines et matérielles. C’est tout juste pour dire qu’existent des ressources et des dynamiques internes, des initiatives locales qui ne demandent qu’à être supportées et accompagnées dans leur accomplissement. Dans l’immédiat, il y a lieu de réhabiliter ou de reconstruire, de façon très urgente, les structures d’accueil des touristes (hôtels, aubergee, maisons d’hôtes) existantes qui ont été détruites ou endommagées pour les rendre fonctionnelles le plus tôt possible.

 

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