L’ijtihâd est l’effort d’élaboration juridique à partir des textes sources, du Coran et des Hadîths. L’apparition de cette discipline se justifie par le nombre limité de références textuelles et la multitude de questions juridiques qui se posent dans la vie quotidienne. Ainsi, voulant que les hommes possèdent des orientations et des limites ne les laissant pas tomber dans le « tout relatif », l’islam leur propose les références textuelles (noussoûss) du Coran et des Hadîths. Les règles (ahkâm) présentes dans ces références textuelles traitent d’une part des modes et des modalités du culte de Dieu (al-‘ibâdât), mais aussi d’autre part des limites et des orientations concernant les affaires sociales (al-mu’âmalât), c’est-à-dire des affaires de la vie de tous les jours. Or, si dans le domaine cultuel aucune nouvelle forme n’a besoin d’être rajoutée à celles enseignées et pratiquées par le Prophète (sur lui la paix), il n’en est pas de même pour ce qui est du domaine social, puisque les sociétés changent, de nouveaux outils apparaissent, etc. C’est bien ce qu’avait enseigné le Prophète lui-même à Mu’âdh ibn Jabal lorsque, l’envoyant comme juge au Yémen, il eut avec lui cet entretien :
« Selon quoi jugeras-tu lorsque le besoin s’en présentera ? – Selon le Livre de Dieu, avait répondu Mu’âdh. – Et si tu ne trouves pas (de solution explicite) dans le Livre de Dieu ? – Je jugerai alors selon les Hadîths du Messager de Dieu, avait répondu Mu’âdh. – Et si tu ne trouves pas (de solution explicite) dans les Hadîths du Messager de Dieu ? – Je ne manquerai alors pas de faire un effort de réflexion (ijtihâd) pour formuler mon opinion, avait répondu Mu’âdh. »
Sur quoi le Prophète avait manifesté son approbation en ces termes : « Louange à Dieu qui a guidé le messager du Messager de Dieu sur ce qu’agrée le Messager de Dieu. » (La chaîne de transmission de ce Hadîth, rapporté par At-Tirmidhî et Abû Dâoûd, est faible. Son contenu est cependant authentique car approuvé par les dires et la pratique des Compagnons du Prophète: cf. A’lâmul Muwaqqi’îne, Ibn Qayyim, tome 1 pp. 49-50.). Dans le domaine social, rester fidèle aux références textuelles demande donc non pas de vivre exactement comme il y a 14 siècles, mais d’appliquer aux données d’aujourd’hui les principes édictés par le Prophète (sur lui la paix) à son époque. Aussi, des formes de transactions qui n’avaient pas cours à l’époque du Prophète peuvent très bien être pratiquées par les musulmans dès lors qu’elles respectent les limites (matérialisées par ce qui est « interdit » et « déconseillé ») et les orientations (mises en valeur par ce qui est « obligatoire » et « recommandé »).
En effet, dans ce domaine des affaires sociales, les règles stipulées (« man’sûs » ou « mantûq bih ») par le Coran ou les Hadîths soit rendent obligatoire, soit recommandent, soit permettent, soit déconseillent, soit interdisent. Or, le Coran et les Hadîths ne communiquent pas, ainsi, seulement la lettre d’une règle particulière (far’), mais, au-delà, un principe juridique qui en est la cause (illa) et qui en commande l’application. Toute règle ayant été formulée à propos d’un acte de l’époque du Prophète ne l’est donc que parce que cet acte renferme un principe (une « cause juridique », en droit musulman : « illa »), qui est à la base de cette règle.
Dès lors, la réglementation s’appliquant à cet acte stipulé (man sûs ou mantûq bih) par le Coran et les Hadîths s’applique également à tout acte dont ces deux sources n’ont rien dit et qui est donc « sous silence » (maskût anh) mais où se vérifie la présence de la même cause juridique (illa) que celle qui commande l’acte stipulé. L’absence de toute cause juridique (illa), en revanche, laissera cet acte demeurer dans la permission originelle, et ce même si le Prophète ne l’a pas fait à son époque.
L’effort de réflexion (raisonnement, ijtihâd) du juriste musulman consiste donc à :
* connaître le maximum de références textuelles ;
* être capable d’extraire des causes juridiques (illa) de ces textes ; c’est ce qu’on appelle « takhrîj ul manât » (extraction de la cause juridique) ;
* être capable de découvrir, à propos d’une nouvelle question, quelle cause juridique ‘(illa) y est présente ;
c’est ce qu’on appelle « tahqîq ul manât » (recherche de la présence de la cause juridique).
Un hadîth, par exemple, interdit, lors du troc de l’un de ces six produits (or, argent, blé, orge, dattes ou sel) contre le même produit, que les quantités échangées ne soient pas égales ou que les produits soient échangés à crédit et non au comptant. Cette règle (l’interdiction de toute différence de quantité ou de moment de paiement lors de la vente d’un produit contre le même produit) s’applique aux six cas stipulés (mansûs). Cette règle n’a cependant pas été édictée sans raison : il faut donc découvrir quelle cause juridique (illa) l’a entraînée. Et, dès que, dans un cas qui n’est pas mentionné dans le hadîth, la présence de cette cause juridique se vérifie, la règle s’appliquera aussitôt (c’est le tahqîq ul-manât).
Article paru sur le site http://www.maison-islam.com/