Il est 6h00 du matin, Souad peine à voir où elle met les pieds tellement il fait sombre et le froid lui glace les os. Elle habite Errahma ou plutôt la campagne dans la zone où les bidonvilles existent toujours.
Pour arriver à son lieu de travail au centre de la métropole casablancaise, elle n’a d’autre solution que de se réveiller très tôt pour se rendre au quartier Lissasfa, point le plus proche pour prendre le bus de Mdina Bus.
Enfin, si elle a la chance de trouver sa place ! Son cas n’est pas isolé. Les usagers affluent, de toute part et se pressent les uns les autres pour monter dans le bus et s’asseoir, déjà fatigués par le chemin sinueux du matin…
Les retards ne sont plus permis et l’employeur, pris dans la tourmente de la crise peut très vite décider du destin de l’un ou de l’autre à cause de retards répétitifs.
Prises le couteau sous la gorge, les personnes utilisant ce moyen de transport et habitant les quartiers névralgiques de la capitale n’auront d’autre solution que de se rabattre sur le transport illicite bien connu sous le nom de «Khatafas».
Car c’est un fait. Si les bus n’arrivent pas à temps pour des raisons de trafic routier ou de travaux de chaussée (ce qui était le cas pendant un bon bout de temps sur la route des facultés sise route d’El Jadida), les habitués du bus n’auront d’autre choix que de se rabattre sur le système D. Un système qui coûte par ailleurs bien plus cher que le service de Mdina Bus facturé à 4,00 DH.
«Le car illicite transporte les usagers des points névralgiques au centre de Casablanca à 10 DH et les voitures qui remplacent les taxis blancs font le même déplacement à 5 DH», précise Souad, dépitée mais sans aucune solution de rechange. Ils sont d’ailleurs plusieurs de tout bord, chacun avec son lot de problèmes et de responsabilités au quotidien, dans le même cas. Le transport illégal devient dès lors juteux. «Le transport illicite est une problématique à elle seule dans la gestion du transport public à Casablanca et signe largement le déficit de l’autorité délégante. D’ailleurs, pour rappel, trois opérateurs dont le contrat de gestion a pris fin en 1999 sont toujours opérationnels aux côtés des cars appelés communément «el khatafas», déplore Moulay Youssef El Ouedghiri, directeur du capital humain de Mdina Bus.
Silence radio du côté des parties prenantes. Le service permanent, chargé du contrôle dans le cadre de la gestion déléguée, ne réagit pas non plus. En attendant, le phénomène des transporteurs illicites grossit et se fraie un chemin dans les dédales même des circuits empruntés par les bus de la filiale de la CDG, chargée de moderniser le transport public et créer une complémentarité avec le service tramway.
Bref, la société de gestion se trouve face à un dilemme. Un dilemme aggravé par les phénomènes de vandalisme et d’agressions physiques dans les bus. Il faut croire que ce que les autorités ont baptisé dernièrement de «Tcharmil» ne date pas d’hier. L’été dernier déjà, des cas d’agression ont été enregistrés à plusieurs reprises et à différents points noirs de la ville.
Précisément au quartier Lissasfa, à hauteur du quartier Dar Al Iraqui, le hold-up survenu au mois d’avril dernier et effectué par trois personnes armées de couteaux a valu la vie à un homme, passager qui a eu le courage de secourir une femme. Sacs, portables, bijoux, tous les usagers sont passés à la caisse au risque de subir le même sort.
Les faits sont têtus. La ville de Casablanca fait étrangement penser aux villes des Etats-Unis, notamment New York dans les années 80. Les favelas au Brésil ont entraîné aussi le même phénomène. Un phénomène qui a été éradiqué par les forces de l’ordre et l’armée notamment.
Au Maroc, les agressions continuent de plus belle. La dernière, rapportée par Mdina Bus, a eu lieu le 15 mai dernier à 19h00 sur la ligne 800, reliant les villes de Mohammedia et Casablanca. C’est au niveau du douar Alachhab qu’une bande de malfaiteurs a pris d’assaut le bus que leurs complices avaient déjà emprunté à l’instar de clients normaux. Armes blanches et jets de pierres furent leurs dispositifs d’agression.
Face à ce fléau qui ne date pas d’hier mais qui s’amplifie de jour en jour, M’ dina Bus a mis en place, depuis décembre dernier déjà, un dispositif sécuritaire, basé sur des vidéosurveillances… «Chaque bus est équipé de quatre caméras de surveillance enregistrant tout ce qui se passe au niveau du véhicule en plus d’un kit radio communication et un boîtier de suivi par satellite GPS», rappellent les responsables de l’opérateur.
Seul hic, les autorités compétentes ne suivent pas encore. «La convention avec la Sûreté nationale à l’instar du tramway, qui vise à mettre des personnes dédiées dans chaque bus tarde à être signée au grand désarroi des passagers de plus en plus apeurés par ce qui se passe régulièrement lors des trajets. Pour l’heure, tout est bouclé mais nous attendons la réponse de la part de l’autorité compétente depuis un an. En clair, nous avons besoin de 40 policiers car nos équipes n’ont pas les moyens juridiques pour faire le nécessaire.
Même quand ils arrivent à acheminer les agresseurs dans le commissariat le plus proche rien n’est fait», regrette M. El Ouedghiri.
Un autre phénomène plombe le bon fonctionnement du transporteur, celui du refus de paiement du ticket. «Le phénomène est d’autant plus grave puisqu’il s’est propagé même dans la tranche des usagers âgés et qui avaient l’habitude de payer», poursuit, non sans dépit, le directeur du capital humain à Mdina Bus.
Bref, le tableau demeure noir. Et les parties prenantes semblent encore hésitantes quant à la manière d’éradiquer globalement le phénomène. Il est vrai que des arrestations sont opérées régulièrement mais la solution radicale qui consisterait à déployer des forces de l’ordre dans les bus tarde à venir.
Casablanca manquerait-elle d’effectifs d’agents de police? Un autre dispositif est-il prévu? Pour l’heure, le silence plane autour de cette question de sécurité des usagers des bus. Du côté du Conseil de la ville, les comptes rendus hebdomadaires de Mdina Bus restent sans réponse. Et ce , au grand désarroi des Casablancais qui sont obligés d’utiliser ce moyen de transport.