Société

Rêves brisés

Vendredi 26 avril 2002. Il est 14h. Au port de Tanger, un camion semi-remorque, de marque Scania, immatriculé au Maroc, tirant un conteneur chargé d’une cargaison de fils électriques y stationne. Les douaniers effectuent les procédures nécessaires avant de lui permettre d’embarquer dans un navire en partance pour l’Italie. Tout à coup, les douaniers entendent des appels au secours et des hurlements provenant de l’intérieur du conteneur. Les douaniers et les employés qui les entourent se posent (et posent) des questions. «…D’où viennent ces cris ?, s’interroge l’un des douaniers. Un autre demande aussitôt : où est le conducteur de ce camion ?, où est-il allé?…». Ils ne le trouvent pas. Personne ne sait où il se trouve, s’il a pris la poudre d’escampette ou s’il est attablé dans un café de la ville. Les services compétents interviennent, ouvrent le conteneur.
Tout le monde reste bouché-bée, ne sachant quoi faire, ni quoi dire. Ce qu’il voient est horrible; les têtes de quelques jeunes garçons apparaissent, ils sont tous dans un état lamentable, maigres, les yeux mi-clos. Quelques uns n’arrivent même pas à se mettre debout. Les douaniers leur demandent de sortir l’un après l’autre. Cinq d’entre eux y arrivent. Les autres?. «Ils sont à l’intérieur en train de mourir et je crois qu’il y en a qui sont morts…». Les douaniers alertent les éléments de la Protection Civile qui arrivent en moins d’une minute. Et qui commencent à évacuer les pauvres jeunes gens du conteneur. Ils y a treize autres jeunes garçons dans un état de santé lamentable, critique, au seuil de la mort. Ils sont aussitôt transportés vers les urgences de l’Hôpital Mohammed V. Là, trois d’entre eux rendent l’âme. Un drame insupportable pour ces jeunes garçons qui rêvaient d’aller ailleurs, gagner leur vie, voulant fuir la misère et l’indigence. Aucun d’entre eux ne dépasse la trentaine. Et ils sont originaires de Casablanca, de F’kih Ben Salah, Khénifra, Khouribga, Beni Mellal.
Hicham, 30 ans, qui vient de Taza, raconte sa mésaventure aux enquêteurs : «…Je rêvais d’émigrer depuis belle lurette et j’y suis parvenu fin 2000-début 2001…J’ai émigré clandestinement vers l’Espagne à bord d’un navire…Je me suis infiltré dans le port de Beni N’sar, à Nador…Sa destination était Valence…». Mais, apprenant que son père était malade, Hicham était retourné au Maroc, pour y passer quelques jours avec son père, qui est décédé par la suite. Voulant retourner à Valence, il commença à chercher à droite et à gauche. Au fil des jours, il apprend que des chauffeurs de camions semi-remorques aident les rêveurs de l’Eldorado à émigrer clandestinement. Les sommes varient entre 10.000 et 50.000 dirhams. Il a marchandé avec un rabatteur contre 30.000 dirhams.
Jeudi 25 avril. Il est 22h. Hicham arrive dans un quartier chic de Casablanca qu’il ne connaît pas, désert, personne n’y passe à cette heure-ci. Il n’est pas seul, mais en compagnie de 17 autres jeunes garçons qui attendent. Une heure plus tard, un camion arrive. Les 18 jeunes gens, y compris Hicham y montent. Le camion démarre, s’arrête au quartier industriel à Hay Moulay Rachid, Casablanca. Là, ils trouvent un camion-remorque à leur attente, ils y entrent sans attirer l’intention de personne. Vendredi 26 avril. Vers 2h. Le camion-remorque démarre, avec à son à bord, 18 rêveurs de l’Eldorado. Ils n’ont rien à manger ni à boire. C’est une aventure. Chacun d’eux a payé entre dix et cinquante milles dirhams. Leurs familles se sont débrouillées, ruinées, endettées pour ramasser ces sommes. Tout cela dans l’unique objectif de se retrouver au delà du continent africain, de l’autre côté de la Méditerranée, en terre d’Europe. Mais loin de là. Ils se sont trouvés devant la fin de leur vie, devant la mort.
La police arrête le chauffeur du camion-remorque, qui a fini par revenir au port. Il fait partie d’une bande organisée spécialisée dans ce genre de «voyages». «Je suis chauffeur depuis deux ans dans une société de transport international à Casablanca, …».
Dernièrement, il a rencontré un certain Saïd, précise-t-il aux enquêteurs. Saïd lui a proposé d’ «aider» les candidats à l’émigration clandestine contre une commission de 10.000 dirhams par tête. Le chauffeur a accepté et le coup d’envoi de la première opération a été donné. Seulement elle a échoué. Mais trois pauvres jeunes y ont laissé la vie.

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