SociétéUne

Santé mentale ou santé psychique : Et si on s’était trompés… de mot ? 

© D.R

Je ne propose pas de bannir le mot «santé mentale». Mais je propose qu’on l’interroge. Et surtout, qu’on n’oublie pas ce qu’il tente de désigner : des douleurs invisibles, des blessures affectives, des héritages familiaux, des effondrements silencieux.

DR Wadih Rhondali
Psychiatre

Un jour, entre deux conversations sur nos projets respectifs, ma femme m’a lancé :
«Pourquoi tu dis toujours santé mentale… et jamais santé psychique ?»
Je suis resté silencieux. Pas par manque d’arguments. Mais parce que je réalisais, pour la première fois, que je ne m’étais jamais vraiment posé la question.
Pendant des mois, comme beaucoup d’autres cliniciens, communicants, institutions, j’ai écrit, parlé, enseigné sur la «santé mentale». Avec engagement, avec humanité. Mais sans jamais m’arrêter sur le mot lui-même. Or ce mot n’est pas neutre. Il est porteur d’un imaginaire.
Et à force d’être répété, il invisibilise ce dont on parle vraiment.
En anglais, mental health désigne clairement un état de bien-être émotionnel et psychologique. C’est une formule utilisée pour décloisonner, dédramatiser, favoriser l’accès aux soins. Mais lorsqu’on traduit mental health en français par santé mentale, un glissement s’opère. Car en français, le mot mental est loin d’être neutre : il évoque l’intellect, la performance cognitive, ou, à l’opposé, la folie.
Et contrairement à l’anglais, nous ne disons jamais «il souffre mentalement» pour désigner une douleur émotionnelle. Nous disons : «il souffre psychiquement». Le mot juste est là. Mais nous l’avons remplacé.
La preuve, il n’existe pas de «mentalogie». Aucune spécialité ne se réclame d’une «science du mental». Nous avons la psychiatrie, la psychologie clinique, la psychanalyse, les neurosciences, la psychosomatique.
Mais rien qui porte ce mot, «mental», dans son cœur disciplinaire. Et pour cause : le mental est une notion floue, qui amalgame fonctionnement cognitif et sphère émotionnelle, en gommant ce que la clinique cherche précisément à différencier.
Le paradoxe est là. On utilise «santé mentale» pour rendre les choses moins effrayantes, pour éviter les mots comme «psychiatrie», «troubles psychiques», ou «souffrance psychologique». Mais dans les faits, le mot mental, accolé à «maladie», fait souvent plus peur que les autres. Une maladie mentale évoque l’asile, la perte de contrôle, la folie. Une souffrance psychique, elle, évoque une douleur humaine, une crise existentielle, une fragilité.
L’une exclut. L’autre invite à comprendre.
La traduction de «santé mentale» en arabe ne résout rien. On hésite entre deux formules : sahha aqliyya (santé de la raison) : qui évoque l’irrationalité, la folie et sahha nafsiyya (santé de l’âme ou du soi) : mais qui renvoie aussi à la moralité, voire au péché.

Dans les deux cas, le vocabulaire reste piégé. Dire de quelqu’un qu’il souffre «nafsiyyan», c’est parfois le juger. Dire qu’il est «aqlan mrid» (malade mentalement), c’est souvent l’exclure. Alors on évite. On parle de stress, de fatigue, de pression: «andi ddaght», «ayyan», «rasi kaydurni»… La souffrance est là, mais le mot manque.
Ce n’est pas une question de jargon. C’est une question de langage, de culture et de soin.  En continuant à parler de «santé mentale», on maintient une confusion : on fait croire que le problème est dans la logique, le raisonnement, le contrôle. Alors que le plus souvent, il est dans la mémoire, l’émotion, le trauma, la perte de lien. Bref, dans ce que la psychologie et la psychiatrie appellent le psychisme.

Je le reconnais sans honte : j’ai moi aussi utilisé ce mot. Par commodité. Par réflexe. Parce qu’il circulait partout. Parce qu’il semblait moins stigmatisant. Mais à force de simplifier, on finit par appauvrir. À force de vouloir rassurer, on évite de dire ce qui dérange. Et ce qui dérange, c’est justement ce qu’il faut nommer.  Je ne propose pas de bannir le mot «santé mentale». Mais je propose qu’on l’interroge. Et surtout, qu’on n’oublie pas ce qu’il tente de désigner : des douleurs invisibles, des blessures affectives, des héritages familiaux, des effondrements silencieux. Pas un logiciel défaillant. Mais une part de nous, vivante, fragile, bouleversée.
Alors, même si c’est moins tendance, et si on osait dire : santé psychique ? Juste pour rappeler que l’humain ne se répare pas comme une machine. Il se soigne… avec des mots justes, des liens vrais, et du temps.

Related Articles

ActualitéUne

Reportage. Oracle inaugure son centre R&D à Casablanca

Le Chef du Gouvernement, Aziz Akhannouch, a inauguré mardi à Casablanca, le...

ActualitéUne

Taxe spéciale annuelle sur les véhicules : plus de 4,2 MMDH de recettes en 2024

La taxe spéciale annuelle sur les véhicules (TSAV) a généré des recettes...

ActualitéUne

Benguérir à l’heure de la 5e édition des Assises Nationales de l’Economie Sociale et Solidaire

Les travaux de la 5e édition des Assises Nationales de l’Economie Sociale...

RégionsSociétéUne

Khouribga à l’heure du 4e Salon régional de l’économie sociale et solidaire

Plus de 320 exposants représentant 170 coopératives et associations y prennent part