Entretien avec Selwa Zine, présidente de l’association El Baraka Angels
[box type= »custom » bg= »#eeedeb » radius= »5″]Froid, neige, précarité, absence d’infrastructures sanitaires, d’écoles… plusieurs régions du Maroc restent enclavées et nécessitent un soutien surtout lors des périodes hivernales. Depuis 2013, l’association El Baraka Angels déploie ses efforts pour leur venir en aide et donner un minimum de dignité à ces populations défavorisées. La prochaine campagne de distribution aura lieu vendredi prochain. Les propos de la présidente Selwa Zine rappellent la gravité de la situation mais aussi l’implication des autorités publiques conscientes des enjeux dans un Maroc en plein rayonnement.
[/box]ALM : Pouvez-vous nous présenter l’association El Baraka Angels que vous présidez?
Selwa Zine : L’Association El Baraka Angels a été créée en février 2013 à l’initiative de personnes profondément animées par une même ambition, celle d’initier et d’accompagner une métamorphose nécessaire à l’amélioration des conditions de vie de nos concitoyens en zones montagneuses enclavées. L’éducation étant l’une de nos principales priorités, nous nous attelons, chaque année, à rénover des écoles primaires, construire des établissements préscolaires, équiper des maisons de l’étudiant, fournir des bibliothèques, aménager des terrains de sport et organiser des stages d’activités culturelles et artistiques au profit des enfants des villages. Dans quasi chaque école que nous rénovons, nous garantissons un accès à l’eau, l’électricité et des sanitaires pour que les élèves puissent être dans de bonnes conditions.
À chaque hiver et à chaque mois sacré de Ramadan, nous menons des caravanes humanitaires afin de réduire temporairement les conditions d’enclavement et donner accès aux denrées alimentaires de base. Ces expéditions nous permettent également d’explorer de nouveaux villages et d’identifier les éventuels besoins en rénovations d’écoles. À partir de 2022 nous démarrerons, je l’espère, de nouveaux projets à impact durable en mettant en place des activités génératrices de revenu au sein des villages.
Quel est le bilan des années antérieures de l’association ?
Nous rénovons chaque année au moins une ou deux écoles, équipons ou fournissons des maisons de l’étudiant et distribuons jusqu’à 1.500 cartables fournis à chaque rentrée scolaire. Pour ce qui est des caravanes humanitaires, nous ciblons entre 1.000 à 2.000 familles. En bientôt 9 ans maintenant, nous comptons plus de 350.000 bénéficiaires directs.
Pour nous au-delà de l’impact de chaque action, il y a cette relation de confiance qui s’est construite avec les autorités locales, les écoles, les représentants de l’éducation nationale, ou encore certains représentants de la société civile. Ils savent qu’ils peuvent compter sur notre soutien. Puis nous ne passons presque jamais au même endroit qu’une seule fois. Si nous ne revenons pas pour une caravane, nous le faisons pour une école.
Nous sommes fiers de nous positionner aujourd’hui comme un partenaire et un soutien fort pour les populations vivant dans ces zones enclavées.
Pouvez-vous nous parler de votre prochaine caravane destinée aux habitants de la région de Ait Tamlil-Azilal ?
Ce vendredi 17 décembre, vingt membres et bénévoles de l’association prendront la route pour la région de Ait Tamlil à Azilal pour notre caravane d’hiver. Nous resterons sur place 48h et mèneront plusieurs actions en parallèle afin de soutenir à la fois les familles mais aussi les élèves et étudiants. Ainsi nous prévoyons le 17 décembre de distribuer des vêtements chauds neufs au profit de 370 enfants des 3 écoles Akensou, Amassine et Ait Mekkoun de la Commune de Ait Tamlil. Le même jour sera consacré à la distribution de denrées alimentaires et vêtements chauds neufs au profit de 120 pensionnaires de Dar Ettaliba et Dar Ettalib de la commune de Ait Tamlil. Le 18 sera dédié à la distribution de packs de denrées alimentaires de base de 35 kg et de couvertures chaudes neuves au profit de 500 familles de la commune de Ait Tamlil.
Quelle est la contribution des pouvoirs publics pour vous faciliter la tâche?
Les autorités locales et les représentants locaux de l’éducation nationale sont des partenaires de taille depuis le tout début. Ils accompagnent nos actions depuis la préparation jusqu’à leur déploiement sur le terrain.
En amont, ils nous aident à identifier les besoins de manière précise. Pour les caravanes, ils nous proposent les villages les plus enclavés et nous aident à établir les listes nominatives des familles les plus nécessiteuses. Pareil du côté des délégations provinciales du ministère de l’éducation nationale ainsi que leurs directeurs d’écoles, ils nous proposent les écoles qui nécessitent le plus notre intervention, ou si ce sont des écoles que nous avons nous-mêmes identifiées ils nous confirment si elles font déjà ou non partie d’un plan de réforme prévu par le ministère. Ensuite ils nous aident à quantifier les besoins en mettant à notre disposition la liste des enfants scolarisés, leurs âges, nombres de filles et de garçons et leurs tailles pour que nous puissions offrir des packs de vêtements adaptés au cas de chacun.
Sur le terrain nous sommes automatiquement accompagnés et soutenus par les pouvoirs publics locaux. Ils supervisent nos actions d’abord pour des questions de traçabilité des dons mais aussi pour garantir leur bon déroulement tant sur le plan logistique que sécuritaire.
Quels sont vos principaux donateurs ?
Nos principaux donateurs sont des individus, citoyens lambda comme vous et moi qui croient en nous, en notre intégrité et en l’impact de nos actions. Nous avons, également, plusieurs entreprises qui nous font don de denrées alimentaires notamment ou qui contribuent au financement de nos rénovations d’école, mais on est vraiment dans un ratio de 80/20.
Avez-vous des campagnes ou des événements clés pour lever des fonds?
Très sincèrement nous sommes encore organisés de manière assez classique. D’ailleurs nos membres sont tous des bénévoles et nous n’avons pas de salariés ou de permanents au sein de l’association. Nos levées de fonds se font donc principalement sur les réseaux sociaux, et à travers des appels à contribution ciblés auprès de notre réseau de donateurs historiques. Les médias, comme vous, contribuent aussi à nos actions de communication et à notre exposition. Les interviews presse, passages télé ou encore radio permettent à chaque fois d’acquérir de nouveaux donateurs et soutiens. Pour information, notre prochaine caravane qui ciblera 500 familles et 450 élèves démarre début du mois de janvier. Nous espérons compter sur le soutien de nouveaux donateurs et partenaires.
Pouvez-vous nous raconter quelques situations qui vous ont le plus frappées, tellement la vie est dure dans les zones enclavées et en période de froid ?
Très sincèrement, la liste est longue et douloureuse, et nous prônons une communication positive qui permet de restituer à nos bénéficiaires une image digne d’eux-mêmes sans jamais tomber dans le misérabilisme ni jouer sur l’empathie et la pitié. Mais pour tout vous dire, il y a des situations inacceptables, où la dignité humaine est laissée pour compte. Les cas de maladie pas très graves mais handicapantes car non soignées faute de moyens ou d’accès aux soins de base. L’histoire d’un jeune garçon très studieux qui avait progressivement perdu la vue puis la mobilité totale et avait dû quitter l’école pendant 2 ans. Une intervention chirurgicale de 2h a permis de le remettre sur le chemin de l’école à la rentrée suivante alors que ses parents le pensaient infirme à vie. En parlant de chemin, les distances parcourues à pied par les enfants mal vêtus, mal chaussés en plein hiver et en pleine neige… Et puis il y a cette vieille dame qui vivait seule dans une grotte et qui n’était même plus capable de se lever de son lit de fortune. Les habitants passaient la nourrir … Vous le croyez, vous, que l’on puisse encore habiter dans des grottes ?!
Le mot de la fin peut-être Mme Zine…
Aussi longtemps que nous limitons notre quotidien à notre zone de confort et de sécurité, nous ne prenons pas réellement conscience de la chance que nous avons d’être nés là où nous sommes nés. Ce sont aujourd’hui plus de 8 millions d’habitants de villages montagneux qui vivent en décalage avec les temps modernes. Ils souffrent au quotidien d’un accès limité à tout ce que nous, citadins, pensons être de l’acquis : éducation, soins, approvisionnement en denrées alimentaires, opportunités de développement économique et j’en passe. Le gouvernement marocain mise énormément sur le développement de ces régions. Des plans d’actions nationaux sont tous les jours conçus pour permettre de sortir de cet enclavement.
C’est pourquoi il est aujourd’hui de notre devoir en tant que citoyens responsables et engagés de soutenir et d’accompagner cette vision au profit des populations cibles, d’agir et d’y contribuer. La prise de conscience doit être permanente, le bénévolat doit être un devoir citoyen, l’entraide durable (et non l’aumône) doit faire partie de nos objectifs en tant que personnes. C’est là la vraie force d’un pays : mutualiser les efforts.