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Tbourida : Plus qu’un spectacle, c’est un art

© D.R

Ce n’est plus seulement une démonstration de force ou de bravoure

Tradition  : Sur la grande piste sablée du Parc des Expositions Mohammed VI, une quinzaine de cavaliers en ligne fusils levés, regards droits, chevaux tendus s’élancent à plein galop. Et dans une synchronisation parfaite, les détonations claquent, s’élèvent, résonnent.

C’est le point culminant d’une tradition millénaire : la Tbourida, cet art équestre marocain inscrit au patrimoine immatériel de l’humanité et, qui, aujourd’hui plus que jamais, se redéfinit au cœur du Salon du cheval d’El Jadida. Elle simule une succession de parades militaires, reconstituées selon les conventions et rituels arabo-amazighs ancestraux. Chaque parade de tbourida est effectuée par une troupe constituée d’un nombre impair de cavaliers et de chevaux (de 15 à 25), alignés côte à côte et au milieu desquels se place le chef de la troupe. Car, ce n’est plus seulement une démonstration de force ou de bravoure. Dans cette 16ème édition du Salon, placée sous le thème «Le Bien-être du cheval, trait d’union entre les pratiques équestres», la Tbourida prend un nouveau visage : celui d’une tradition qui reste fière de son héritage martial, mais qui choisit de mettre le cheval au centre du geste non comme simple instrument, mais comme partenaire à part entière.
C’est en 2008 qu’il a été créé, et depuis, le Salon du cheval a consacré à la Tbourida un espace de choix. Et pour cause, cet art n’est pas seulement spectaculaire, il est emblématique de l’identité équestre marocaine. Le Grand Prix de Sa Majesté le Roi Mohammed VI de Tbourida, organisé durant toute la semaine du Salon, est devenu la compétition de référence pour les sorbas du Royaume. Chaque jour voit s’affronter les meilleures troupes du pays, venues des douze régions du Maroc, pour une place sur le podium. Mais le Salon ne se limite pas à offrir un terrain de compétition. Il agit en profondeur : il structure et améliore les conditions d’exercice, veille à la sécurité des cavaliers, encadre la santé des chevaux, repense les protocoles d’accueil et de soins. Les chevaux de Tbourida, souvent issus de lignées traditionnelles, bénéficient ici de conditions optimales, de points d’eau bien répartis pour abreuvement et douchage, d’une gestion fine des temps de repos et d’effort. Chaque troupe est suivie par une équipe technique et vétérinaire, garantissant que l’intensité du spectacle ne se fasse jamais au détriment de l’intégrité de la santé de l’animal et de son bien-être.

Une forme d’accord, presque chorégraphique

Le lien entre Tbourida et bien-être équin peut sembler contre-nature à première vue. Comment concilier les accélérations brutales, les arrêts nets, les salves coordonnées, avec la douceur que l’on attend aujourd’hui dans la relation au cheval ? C’est tout l’enjeu et toute la beauté de cette transition. Au fil des années, un nombre croissant de Moqaddems (chefs de sorba) ont modifié leurs approches. Moins de répétitions forcées, plus de séances de préparation à pied. Moins de mors rigides, plus de harnachement adapté. Moins d’intensité dans les premières séances, davantage de travail sur le souffle et l’endurance. Ces évolutions ne sont pas imposées : elles viennent du terrain, du dialogue avec les vétérinaires, des retours d’expérience et de la réglementation des concours. Et elles sont visibles. Le cheval de Tbourida d’aujourd’hui est plus souple, plus expressif, plus confiant. Il ne subit plus la salve : il l’exécute dans une forme d’accord, presque chorégraphique. Ce tournant vers une Tbourida plus respectueuse est en grande partie rendu possible par l’environnement que crée le Salon. En offrant des conditions optimales d’accueil, en ouvrant des espaces de dialogue entre les régions, en rendant visible l’exemplarité de certaines troupes, le Salon joue un rôle de levier. Il valorise les pratiques les plus vertueuses. Il encourage la fierté dans l’excellence, pas dans la souffrance. Il crée un effet d’émulation entre sorbas. Des démonstrations pédagogiques sont proposées durant la semaine : préparation du cheval avant la salve, débriefing avec les cavaliers, partage d’astuces de dressage. Ces moments, ouverts au public, permettent aussi aux jeunes passionnés de mieux comprendre la complexité de la Tbourida. Car ce n’est pas un simple spectacle folklorique, c’est un art équestre complet, qui exige précision, cohésion, intelligence du cheval, et fidélité au geste.

L’arrivée des femmes : élégance et rigueur

L’un des phénomènes marquants de ces dernières années est l’émergence de sorbas féminines. Longtemps cantonnée à un rôle périphérique, la femme est aujourd’hui pleinement actrice de la Tbourida. À El Jadida, certaines éditions ont vu défiler des troupes exclusivement féminines, avec une élégance, une rigueur, une puissance qui ont bouleversé les représentations. Le Salon leur donne la même visibilité, le même respect, le même accès à la compétition. Et cette égalité ne fait pas que réparer une absence historique. Elle transforme la Tbourida elle- même. Le rapport au cheval évolue. La chorégraphie s’affine. La transmission s’ouvre à de nouveaux récits, de nouveaux corps, de nouvelles voix. C’est là encore l’un des effets du Salon : être un lieu de reconnaissance, mais aussi de projection. Aujourd’hui, les spectateurs qui assistent aux finales du Grand Prix S.M. le Roi Mohammed VI de Tbourida voient bien plus qu’un alignement de cavaliers tirant en rythme. Ils assistent à la mise en scène d’une mémoire, à la perpétuation d’un art, à la célébration d’un savoir-vivre ancestral. Mais désormais, ils voient aussi des chevaux épanouis, des cavaliers attentifs, des pratiques ajustées, une éthique partagée. En choisissant cette année le thème «Le bien-être du cheval, trait d’union entre les pratiques équestres», le Salon ne signe pas une rupture. Il propose un pont. Un pont entre les gestes d’hier et les exigences d’aujourd’hui. Entre la force du baroud et la finesse du lien. Entre la beauté du feu et la sérénité du souffle. À El Jadida, la Tbourida n’est plus seulement un moment de ferveur. Elle devient une déclaration de respect.

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