Société

Terroristes sans le savoir

Samedi 30 novembre 2002. Aux alentours de 20 heures, deux frères et leur père ont rendu visite à la rédaction de notre journal. Motif : remercier le journal pour avoir soulevé l’affaire des deux frères qui étaient incarcérés aux Etats-Unis pour terrorisme, selon les premiers rapports de la police américaine.
L’accusation s’est ensuite transformée en «séjour illégal» aux Etats-unis pour finir par une expulsion illico presto le 31 octobre 2002.
Tarik et Hatim Ibrahimi, deux frères originaires de l’Oriental, natifs d’Ahfir, résident à Casablanca ; leur père Ahmed Ibrahimi est directeur d’une école primaire publique au quartier Sidi Maârouf Ouled Haddou à Casablanca.
Avec une licence ès littérature anglaise de l’Université Hassan II de Casablanca, Tarik obtient un diplôme du troisième cycle en commerce international toujours à Casablanca.
1997. Direction les Etats-unis. Tarik est inscrit à l’université de Texas Laredo où il décroche avec brio son magister, le 14 août 1999. Grâce à ses excellentes notes, il a pu avoir un poste de professeur à l’United independant school district. Tout semble aller comme sur des roulettes pour ce jeune marocain, qui n’a d’autre activité depuis sa tendre jeunesse que ses cours et ses classes.
Jeune et charmant, c’est le coeur d’une Mexicaine qu’il a cru avoir charmé. Le coup de foudre. Une histoire d’amour passionnante et passionnée est née entre Tarik et Cecile. Elle a abouti logiquement, tout bonnement à un mariage dans les pures règles de l’art.
Tarek est enseignant dans une école américaine à Laredo et il poursuit ses études. Tout ce qu’il y a de normal pour un Marocain vivant aux USA selon les lois en vigueur dans ce pays. Tout cela se passe au Texas…
Au Tennesee, c’est son frère Hatim, né en 1979, cinq ans après Tarik, qui mène une belle vie de commerçant bien en vue. Des bijoux en or, des gadgets chics, des parfums de luxe, le commerce de Hatim est un exemple de réussite, d’autant plus qu’il n’a pas nécessité une fortune pour sa mise en marche. Combatif comme le sont les gens de l’Oriental, à quelques exceptions près, Hatim ne manquait de rien et ses rapports avec l’Etat où il vit, les banques avec lesquelles il traite, les clients qu’il a su fidéliser, sentent à la fois l’honnêteté et l’attachement à un travail bien fait, bien ficelé. Lui aussi ne pouvait se passer du mariage et sa femme une sudiste elle aussi, est la cause de ses problèmes…
Le divorce est inéluctable. Mais ce n’est pas fini pour Hatim. Il faut revenir à Laredo pour voir comment la réussite crée fatalement des jaloux, des aigris de tous poils qui n’ont rien d’autre pour objectif que de détruire la réputation de celui qui gravit durement mais sûrement les échelles de la vie saine et aspire à évoluer. Les suites du 11 septembre pour les Arabes se font sentir durement et aisément on pouvait accuser un Arabe ou un Musulman de terrorisme. Au mois de novembre 2001, le couple Tarik et Cecile se sépare. En instance de divorce, devant le tribunal, Cécile traite son ex-époux de terroriste. «Elle a assuré que ce sont les accointances de son ex-mari avec les groupes terroristes qui sont derrière leur divorce», lâche-t-elle devant une salle d’audience ordinaire qui avait à régler un différend conjugal pas plus. Tarek réfute les accusations de Cécile, exigeant du président de bien notifier la gravité des propos tenus à son rencontre, sans preuve aucune. Le juge obtempère et la sentence est tombée. Le couple est divorcé et le père a droit de rendre visite à sa fillette trois fois pas semaine.
En mars 2002, Tarik est convoqué et entendu. Il s’agit bel et bien d’un litige conjugal. Aucune suite n’a été donnée. Deux mois plus tard, Tarik est arrêté, cette fois-ci, « pour ne pas avoir répondu aux convocations que le bureau de l’immigration lui a adressées. L’objectif est le retrait de sa carte de séjour ». Devant le tribunal, Tarik prouve qu’il n’a rien reçu et c’est son ex-femme qui a reçu et caché lesdites convocations si convocations il y avait… 24 jours de détention avant que le tribunal ne prononce la relaxation. Manque de pot, à la sortie du tribunal, Tarik est interpellé par les agents du FBI qui se considèrent en possession de nouvelles preuves, de nouvelles déclarations de Cécile et de sa mère, comme quoi le Marocain est un terroriste.
Après plusieurs audiences, Tarik pouvait sortir sous caution. Il fallait payer 10 000 dollars, un record. Hatim débarque à San Antonio pour payer la caution et accompagner son frère. Ce n’est plus 10 000 mais 50 000 dollars. Impossible de trouver une somme pareille en un laps de temps. Pire, au moment où le jeune frère s’apprêtait à quitter les lieux, des agents du FBI l’interpellent. Son ex-épouse l’accuse lui aussi de terrorisme. C’était le 12 juin. Les deux frères se retrouvent dans la même prison. Motif : appartenance à des organisations terroristes. Preuves : aucune sauf les paroles de leurs ex-épouses.
D’audience en audience, on se rend à l’évidence. La comédie a trop duré. Et les deux frères devraient être relaxés.
Ce n’est pas si simple que cela. Au moment où tout allait rentrer dans l’ordre, on leur sort un nouveau délit: séjour illégal aux USA. Leurs papiers sont confisqués et les deux frères expulsés avec pour seul document officiel un laisser passer du consulat marocain à New York. Le 31 octobre, après un long voyage New York-Madrid-Casablanca, les deux frères sont enfin libres et parmi les leurs.
Pour Tarik, qui n’en revient toujours pas, « ce qui s’est passé est un vrai cauchemar. J’ai enseigné les enfants des Américains en toute légalité. Je leur ai appris le sens du civisme et de la responsabilité. Et on m’accuse trois ans après d’être un immigré clandestin. Ce n’est pas le pays des droits de l’Homme et de la liberté, c’est simplement de l’arbitraire. » Quant à Hatim, son cas est plus révoltant encore. « Comment aurai-je pu être clandestin alors que j’ai mes comptes en banques américaines, mes cartes de crédit et mon numéro de registre de commerce ? C’est à dormir debout ».
Maintenant, les deux frères sont au Maroc. Ils considèrent que leurs droits ont été bafoués. Que la loi qui a prévalu dans leur cas est celle des mafiosis mexicains. Ils ne vont pas s’arrêter là, ils comptent recouvrer leurs droits. Par le droit.

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