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Tout savoir sur les normes parasismiques dans le bâtiment

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Entretien avec l’architecte-urbaniste Rachid Boufous

Analyse.
L’application des normes parasismiques dans la construction permet de préserver les vies humaines en cas de tremblement de terre. Toutefois, certaines structures ne répondent pas à cette exigence, notamment dans la vieille médina et dans les villages. Ceux-ci ont été fortement touchés par la secousse qui a frappé le Maroc dans la nuit du 8 septembre 2023. De plus, la région d’Al Haouz compte un nombre incalculable de monuments historiques. Ce patrimoine bâti a été impacté par l’intensité de ce séisme. Pour y voir plus clair, l’architecte-urbaniste Rachid Boufous nous livre son analyse.

ALM : Que signifient les normes parasismiques ? Et quels types de constructions sont concernés ?
Rachid Boufous : Au Maroc il existe un Règlement de construction parasismique dit «RPS 2000», qui a été approuvé par le décret n° 2-02-177 du 9 Dhou al Hijja 1422 (22 février 2002). Il a pour objectif de limiter les dommages en vies humaines et matériel susceptibles de survenir suite à des tremblements de terre. Il est appliqué depuis 2002 par les architectes, les bureaux d’études techniques et les bureaux de contrôle, dans la conception des ouvrages et bâtiments autant que dans leur construction. Ce règlement est appelé à être révisé périodiquement pour tenir compte des progrès scientifiques dans le domaine du génie parasismique.
Avec un retour d’expérience de 10 ans, le RPS 2000 a nécessité une révision en 2013, dans un cadre partenarial entre le ministère de l’habitat, de l’urbanisme et la politique de la ville et l’Université Mohammed V- de Rabat, pour faciliter son application.
Le règlement de construction parasismique, R.P.S.2000, est applicable sur l’ensemble du territoire, à toutes les constructions, à l’exception des bâtiments conçus selon les techniques traditionnelles et dont la structure utilise essentiellement la terre, la paille, le bois, le palmier, les roseaux ou des matériaux similaires. Il n’est pas appliqué également aux bâtiments d’un niveau à usage d’habitation ou professionnel d’une superficie totale inférieure ou égale à 50 m².

Certaines constructions datent d’avant l’application de ces normes parasismiques. Comment peut-on faire pour renforcer les structures existantes ?
Il existe plusieurs techniques de renforcement des bâtiments existants construits avant cette règlementation en 2002, sauf qu’elles sont onéreuses et hors de portée de la plupart des citoyens. Toujours est-il que le béton armé et le métal sont les matériaux les plus aptes à supporter une secousse sismique sans trop de dommages. Les bâtiments construits en matériaux friables comme la terre, l’argile ou en bois résistent difficilement aux secousses sismiques. D’un autre côté construire parasismique ne signifie pas qu’aucune fissure n’apparaîtra dans une bâtisse lors d’un fort tremblement de terre. Les normes prévoient deux niveaux de sécurité. Le plus haut niveau concerne les bâtiments qui non seulement ne doivent pas s’effondrer, mais doivent rester fonctionnels après un séisme (hôpitaux, casernes de police, de pompiers, centres télécoms…) ainsi que ceux qui sont susceptibles de causer des catastrophes environnementales s’ils sont abîmés (centrales nucléaires ou réservoirs de produits chimiques toxiques). Pour les bâtiments sensibles situés sur des zones à haut risque, les ingénieurs peuvent aller jusqu’à installer une isolation sismique : le bâtiment est alors posé sur des amortisseurs qui lui permettent de rester stable alors que le sol zigzague. L’autre niveau de sécurité se contente de sauver les vies. Tant pis si l’eau vient à manquer, si le téléphone ne sonne plus ou si la lumière s’éteint. L’important, c’est que le ciel ne tombe pas sur la tête des gens.

On a vu vaciller la Koutoubia. Quel effet d’un séisme d’une telle ampleur peut-il avoir sur les monuments historiques ?
Un effet catastrophique. Les monuments sont les premiers à souffrir des tremblements de terre. Les constructeurs de la Koutoubia, autant que de la Tour Hassan à Rabat ou la Giralda à Séville, Ali de Ghomara et Ahmed Ben Basso ont imaginé un système de construction original avec une base en pierre solide, un corps en terre compactée et une enveloppe en pierre de taille. D’ailleurs à la construction de la Koutoubia par les Almohades au 12ème siècle, on a laissé la tour haute de 68 mètres se stabiliser durant un an avant de continuer la construction du reste du minaret. On ne connaissait pas la nature du sol de Marrakech à l’époque et on ne disposait pas de laboratoire géotechnique pour fournir les composantes et résistances de ce sol et on avait surtout peur que la tour ne s’effondre. La même procédure a été appliquée aux autres tours.
D’ailleurs lors du tremblement de terre de Lisbonne en 1755, la Tour Hassan a été juste fissurée alors que le reste des villes de Rabat et de Salé avait subi de terribles dommages.
Depuis cette époque, on a décrété un peu partout la réception définitive des ouvrages un an après l’achèvement des ouvrages de constructions, le temps de laisser les bâtiments se stabiliser dans les sols.
Maintenant je doute fort que si un tremblement de terre intense venait à survenir, beaucoup de monuments puissent résister au séisme.
Le séisme actuel dans la région d’Al Haouz touche effectivement beaucoup de constructions rurales, construites traditionnellement en terre ou ne respectant pas les règles parasismiques du RPS 2000, même construites en béton armé car souvent bâties par de simples maçons sans connaissances techniques suffisantes.

Y a-t-il des mesures d’anticipation pour protéger ces monuments de telles catastrophes naturelles ?
Le statut de monument historique impose des contraintes tant pour les tests sur site initiaux – respect de l’existant – que pour un éventuel renforcement ou «confortement». Mais pour tous les édifices plus anciens, cette technique a montré ses limites. Plus le matériau est hétérogène, plus le problème est ardu. Or ces bâtiments sont par nature très hétérogènes : histoire longue avec superposition de phases de construction, matériaux de qualités variées. Maintenant après le tremblement de terre et si le bâtiment historique est sévèrement atteint, on doit veiller à le reconstruire méticuleusement en essayant d’utiliser les techniques ancestrales sans altérer l’aspect du bâtiment. Les constructeurs de terre du Tafilalet et de la vallée du Drâa ont fait cela durant des centaines d’années, puisque les Ksour et Kasbah s’effondrent souvent par les intempéries. Ils les reconstruisent à l’identique avec les techniques ancestrales du pisé.

«Nous avons constaté d’importantes fissures sur le minaret de la Koutoubia», Eric Falt, directeur régional du Bureau de l’Unesco pour le Maghreb
Dégâts. «Le plus important est de préserver les vies humaines. Mais il faut aussi prévoir immédiatement la deuxième phase, qui comprendra la reconstruction des écoles et des biens culturels affectés par le tremblement de terre. Marrakech regorge de ces lieux qui sont inscrits au Patrimoine mondial de l’Unesco. La directrice générale, Mme Azoulay, a exprimé sa solidarité avec le gouvernement et le peuple marocain et souhaitait mieux comprendre l’impact de la catastrophe. On peut d’ores et déjà dire qu’ils sont beaucoup plus importants qu’on ne l’attendait», explique Eric Falt, directeur régional du Bureau de l’Unesco pour le Maghreb, après une visite de terrain dans la médina de Marrakech. Et de poursuivre : «Nous avons constaté d’importantes fissures sur le minaret de la Koutoubia, la structure la plus emblématique, mais aussi la destruction quasi complète du minaret de la mosquée Kharbouch sur la place Jamaâ El Fna. Les remparts de la ville sont aussi endommagés en de multiples endroits. Le quartier à l’évidence le plus affecté est cependant le Mellah (ancien quartier juif) où les destructions de maisons anciennes sont les plus spectaculaires».

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