Le Conseil de la Concurrence dénonce un marché caractérisé par un niveau élevé de concentration
La gestion déléguée du transport public urbain et interurbain a révélé que la création de sociétés de développement local (SDL) non contrôlées directement par l’autorité délégante pour réguler le transport, n’a pas permis de mettre fin à la multiplicité des acteurs dans ce modèle de régulation.
Le Conseil de la Concurrence vient de livrer son avis sur le fonctionnement concurrentiel de la gestion déléguée du transport public urbain et interurbain par autobus. L’analyse concurrentielle du fonctionnement du marché a permis de constater le niveau élevé de son encadrement régi par un arsenal de textes juridiques divers et variés. Cela dit, le Conseil a observé que ce cadre juridique est resté inachevé, ce qui a conduit les autorités délégantes à s’appuyer sur les dispositions réglementaires régissant les marchés publics pour lancer leurs appels d’offres et sélectionner le concurrent adjudicataire . La gestion déléguée du transport public urbain et interurbain a révélé que la création de sociétés de développement local (SDL) non contrôlées directement par l’autorité délégante pour réguler le transport, n’a pas permis de mettre fin à la multiplicité des acteurs dans ce modèle de régulation. Bien au contraire, «ce modèle a amplifié l’asymétrie d’informations et a créé des problèmes de coordination, de gouvernance entre les acteurs, tout en diluant les responsabilités et en entrainant des coûts de fonctionnement alourdissant les coûts d’exploitation», indique le Conseil.
Dominance de la société ALSA avec une part de marché de 70%
Quant au marché, celui-ci se caractérise par un niveau élevé de concentration, où les deux premières sociétés ALSA et City bus ont une part de marché cumulée se situant entre 80 et 90% durant la période 2018-2020. Les entreprises restantes (Lux transport, Foughal bus, Karama bus, Vectalia Maroc, Lima Bus et Rokia Bus) ont chacune une part de marché qui varie entre 0-6 %. Signalons une dominance nette de la société ALSA qui a vu sa part de marché passer de 50 à 70%. Le Conseil de la Concurrence explique cette situation par la combinaison de trois facteurs. Le Conseil relève des barrières à l’entrée très élevées, édictant des conditions techniques et financières d’accès qui favorisent les grandes entreprises. Ces conditions empêchent ainsi l’arrivée de nouveaux entrants. Il faut aussi noter un nombre réduit d’appel d’offres portant sur des contrats de gestion de longue durée se situant entre 10 et 15 ans, qui sont généralement prolongés par avenant en faveur de l’opérateur exploitant. Sur la période 2010-2020, le nombre moyen d’appels d’offres est de 3,4 pour chaque année. Ceci veut dire que sur une année, les autorités délégantes lancent entre 3 et 4 appels d’offres.
Cette moyenne souligne le nombre restreint d’appels d’offres par an, ainsi que la faiblesse de la rivalité sur un appel d’offres donné et la pression modérée exercée par les petits opérateurs locaux. A ceci s’ajoute le faible taux de participation des opérateurs aux appels d’offre des grands centres urbains en raison de leurs capacités techniques et financières limitées. De même, le coût de réponse aux appels d’offres contraint les opérateurs de taille moyenne à ne participer qu’à un nombre limité de ces appels d’offres, du fait de leurs coûts irrécupérables. Cette tendance semble s’accélérer ces dernières années, et s’est confirmée par la dominance de l’opérateur leader du marché à savoir Alsa, dont la part de marché a augmenté de 22 points durant la période 2018-2020.
Les mesures à prendre pour améliorer le fonctionnement concurrentiel du marché
En vue d’améliorer le fonctionnement concurrentiel du marché et son mode de régulation, le Conseil de la Concurrence a émis plusieurs recommandations. Ainsi, le Conseil suggère une révision du statut et du cadre juridique régissant les SDL, en vue de professionnaliser ces entités et leur donner les moyens juridiques et matériels pour jouer pleinement leur rôle de régulateur de ce marché. Cette révision doit en outre, permettre de renforcer les capacités des collectivités territoriales et leurs émanations, en tant qu’autorités compétentes, de maîtriser le processus de la gestion déléguée allant de l’identification des besoins, à l’appel à la concurrence, la négociation, la contractualisation, la mise en œuvre et au suivi des contrats. «Ceci permettra aux délégants de bénéficier d’un transfert de savoir-faire et de la pérennisation de l’actif immatériel de connaissances et des systèmes de gestion, afin de leur assurer une autonomie managériale durable pour la continuité du service public après l’expiration du contrat», note le Conseil. Il propose de régionaliser la Stratégie Nationale de la Mobilité Urbaine et d’accorder plus de pouvoirs aux autorités délégantes dans la gestion déléguée du transport public urbain et interurbain en termes de planification, de contrôle et de financement. Par ailleurs, le Conseil a proposé des suggestions pour assurer une concurrence libre et loyale dans le marché. Il s’agit principalement d’établir une grille d’évaluation actualisée des offres, basée sur des critères objectifs focalisés davantage sur le business plan des soumissionnaires au lieu de la grille d’évaluation notée essentiellement sur les tarifs. Il est aussi question d’introduire et attribuer un scoring significatif à l’expertise et l’expérience cumulées des managers comme critères de sélection des candidats aux appels à la concurrence des marchés et ce, pour valoriser l’entrepreneuriat national dans le secteur.
Le Conseil préconise également de préciser au préalable à tout appel à la concurrence le degré de partage des risques industriels et commerciaux, et du coût de l’investissement global entre le délégant et le délégataire, en plus de revoir un schéma clair et connu à l’avance par l’ensemble des soumissionnaires des subventions qui seront octroyées lors de l’exploitation des contrats. Enfin, le Conseil de la concurrence recommande de veiller à ce que les tarifs restent accessibles pour tous les citoyens, à travers notamment l’encadrement des marges générées par la gestion déléguée.